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Introduction

Inventée en 1653 par le banquier italien Lorenzo Tonti, la tontine est une technique patrimoniale qui permet à des épargnants de mettre en commun des fonds pour une période librement déterminée pour acquérir un même bien, meuble ou immeuble. En droit français, la propriété du bien revient au dernier des survivants après le décès des autres coacquéreurs (Kern et Nkakleu, 2009).

Contrairement à la conception de Tonti, la tontine africaine ou asiatique est essentiellement un produit financier (Lelart, 1990). Il est devenu un instrument clé de réduction de la pauvreté et de financement de l’entrepreneuriat dans les pays en développement (Henry et al., 1991). La portée des tontines africaines est double : elle est à la fois un moyen d’épargne et de financement de projets pour pallier les insuffisances des banques, mais davantage un lieu de création du lien social et de solidarités multiples, en particulier dans les organisations africaines (Kern et Nkakleu, 2009 ; Nkakleu, 2009).

Le développement des tontines africaines s’est traduit notamment par la transposition des pratiques dans les entreprises africaines, à savoir : la création du lien social par les salariés sur leurs lieux de travail grâce aux solidarités financières, sociales et de travail (D’Iribarne, 1986). Dans le cadre du fonctionnement de l’entreprise africaine, ces pratiques dépendent de l’origine professionnelle, de l’origine ethnique des membres et des services qui leur sont offerts (Kern et Nkakleu, 2009). Dans cette perspective, se pose la question de la force du lien social impulsée par la tontine pratiquée dans l’entreprise (tontine d’entreprise), sachant que l’identité sociale (Albert et Whetten, 1985) qui en découle constitue un vecteur de convergence des différences perçues et vécues des individus membres de la tontine en situation de diversité en milieu organisationnel (Jackson, 1992 ; Tajfel, 1978).

Ce questionnement trouve un écho chez les chercheurs et les professionnels de gestion des ressources humaines dans la mesure où la tontine d’entreprise se présente comme un réseau social générateur de capital social (Nkakleu, 2009). De ce fait, elle constitue un ferment de développement de la confiance interpersonnelle, notamment la confiance dans les relations de travail entre le personnel d’une même entreprise (Neveu, 2004). Pour autant, si la confiance interpersonnelle facilite l’attachement et la loyauté des personnels à leur organisation (Neveu et Thevenet, 2002 ; Campoy et Neveu, 2007), il convient de préciser qu’en contexte camerounais, la recherche sur la tontine d’entreprise met en exergue des conflits résultant de l’existence de plusieurs tontines dans une même entreprise (D’Iribarne, 1986 ; Nkakleu et Kamdem, 2007 ; Kern et Nkakleu, 2009). Par conséquent, on pourrait questionner le maintien de la confiance interpersonnelle dans des situations de travail où le personnel appartiendrait à plusieurs tontines. Dans cette perspective, il est possible que le personnel adhérent ou non de plusieurs tontines d’entreprise s’implique différemment dans leur entreprise.

En outre, s’il est admis que l’IO est une relation à l’organisation (Thévenet, 2002) qui se traduit par le dévouement volontaire et le sens de responsabilité du personnel à l’égard de leur organisation (Klein et al., 2012), les dimensions pertinentes de l’IO ainsi que ses déterminants sont toujours en débat. En particulier, la tridimensionnalité de l’IO qui a été la plus utilisée, se trouve remise en cause par les résultats de travaux empiriques en raison de la forte corrélation entre l’implication affective et l’implication normative (Cohen, 2007 ; Bietry, 2012) ou encore de l’unicité de l’implication calculée (Meyer et al., 2002 ; 2012). Ces débats prennent plus de sens en contexte culturel camerounais réputé communautaire (Kamdem, 2002). Dans ces conditions, la tridimensionnalité de l’IO peut être mise à l’épreuve de la réalité parce que l’individu y est contraint par des normes sociales qui régissent la vie en groupe. Or, la mise en relation théorique entre tontine d’entreprise et IO souffre d’une rareté de tests empiriques.

Aussi, la question de recherche dans cet article est-elle la suivante : quels sont les liens significatifs entre la tontine d’entreprise et les formes d’IO dans les PME camerounaises ? Pour y répondre, une revue de littérature sur le cadre théorique pertinent permettra d’énoncer des hypothèses de travail. Ensuite, sera présentée la méthodologie de l’étude empirique de la relation entre tontine d’entreprise et IO dans les PME camerounaises. Enfin, une discussion des résultats mettra en relief les contributions théoriques et les implications managériales de cette recherche.

1. Cadre théorique

Avant de développer les hypothèses qui traduisent les relations possibles entre la tontine d’entreprise et l’implication organisationnelle du personnel-cadre dans les PME camerounaises, nous allons définir et approfondir l’analyse des concepts clés de cette recherche, à savoir la tontine d’entreprise et l’implication organisationnelle.

1.1. La tontine d’entreprise : pratique informelle de solidarités financières et communauté de pratique

La tontine d’entreprise est présentée dans la littérature comme un modèle de réseau social basé sur les solidarités financières ou comme une communauté de pratique.

1.1.1. La tontine comme modèle de réseau social basé sur les solidarités financières

La tontine en Afrique est une association de personnes qui font des versements réguliers, en nature ou en argent, et dont le total est distribué à tour de rôle aux membres de l’association (Lelart, 1990 ; Henry et al., 1991 ; Nkakleu, 2009). Il s’en suit que les tontines africaines sont diverses (Kern et Nkakleu, 2009) : des tontines de personnes de même village appelées réunion générale ; des tontines de famille regroupant des personnes issues d’un même quartier du village ; des tontines d’élites du même village (intellectuels et personnes matériellement aisées) ; des tontines d’affaires regroupant des entrepreneurs ; des tontines d’amis ou d’anciens d’un établissement scolaire ; des tontines entre les membres du personnel d’une entreprise (tontines d’entreprise).

Les spécificités des tontines africaines[2] sont marquées par le fonctionnent sur la base d’un référentiel de valeurs sociales partagées par ses membres : égalité devant les obligations et droits, solidarités financières, entraide, assistance lors des événements heureux (mariages) ou malheureux (décès) dans la famille d’un membre, équité, confiance mutuelle, don contre don symbolisé par la réciprocité dans l’action (Nkakleu, 2009) ; toutes choses égales par ailleurs qui leur permettent de construire leur réalité sociale au sens de Berger et Luckman (1996). À cet effet, les tontines africaines apparaissent comme une forme de réseau social (Kern et Nkakleu, 2009 ; Nkakleu, 2009) basé sur des solidarités financières et sociales et des liens forts entre les personnes qui en sont membres. La force des liens entre les tontiniers semble consubstantielle à la confiance créée dans le cadre des échanges sociaux et que ceux-ci s’accordent mutuellement.

Dans son fonctionnement, la tontine d’entreprise présente des similitudes avec les autres formes de tontines africaines, à savoir : collecte et redistribution de l’épargne, entraide, assistance diverse, réciprocité dans l’action, égalité devant les obligations et droits, organisation informelle et autorégulée (Henry et al., 1991 ; Nkakleu, 2009). Cependant la tontine d’entreprise se distingue des autres tontines africaines par le partage d’expériences de travail et la mise en commun de compétences individuelles au service de l’atteinte des objectifs organisationnels (Kern et Nkakleu, 2009).

Des études (Nkakleu et Kamdem, 2007 ; Nkakleu, 2009) ont montré que le regroupement informel des individus à travers la tontine les incite à se connaître et surtout à se comprendre (ils vont construire une identité communautaire autour de ce qu’ils sont) et à entretenir des relations de coopération au travail (les membres de la tontine vont construire une autre forme d’identité qualifiée de contractuelle autour de ce qu’ils font). À cet effet, les normes sociales partagées étant le ferment de la consolidation du contrat psychologique (Rousseau, 1995), celles-ci vont orienter les comportements du personnel tontinier envers le groupe tontinier qui se manifestent par des relations affectives et l’action collective dans l’organisation.

La tontine d’entreprise est surtout une structure autorégulée qui met en commun les ressources des membres pour résoudre collectivement les problèmes auxquels ils sont confrontés, l’intérêt collectif primant sur l’intérêt individuel (Lélart, 1990 ; Nkakleu, 2009). La tontine d’entreprise déploie également des mécanismes de contrôle interne pour dissuader tout comportement opportuniste. Un adhérent est ainsi tenu, contraint par la logique de don contre don (réciprocité dans l’action)[3], de continuer à agir pour la tontine, car le bénéfice d’une action est considéré comme une dette envers le groupe tontinier. Quitter le groupe précipitamment ferait de ce membre un être asocial et le coût de départ dans cet environnement socioculturel marqué par la vie en communauté (Kamdem, 2002) peut être rédhibitoire. Mais aussi, le personnel pourrait difficilement quitter l’entreprise alors qu’il n’a pas encore tiré les bénéfices de son investissement dans la tontine (Nkakleu et Kamdem, 2007 ; Nkakleu, 2009).

1.1.2. La tontine d’entreprise : une communauté de pratique

Wenger et al. (2002) ont défini la communauté de pratique comme une structure sociale réputée informelle, autorégulée et source de développement de compétences. Sur cette base, des études (Kern et Nkakleu, 2009 ; Nkakleu, 2009) ont révélé que la tontine d’entreprise s’apparente à une communauté de pratique, car les personnels négocient de façon délibérée leur adhésion ainsi que le sens commun de leurs actions. Ainsi, les tontines se caractérisent par la mise en commun de ressources pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les adhérents en situation de travail. Pour ce faire, le rôle de régulation que joue la tontine d’entreprise renforce deux types de confiance observée dans le fonctionnement organisationnel : la confiance relationnelle et la confiance interpersonnelle (Neveu, 2004). La confiance relationnelle tient à la réussite des interactions passées entre les tontiniers qui va conditionner les échanges futurs, et la confiance interpersonnelle quant à elle traduit la relation de collaboration aboutie entre les personnels (Nkakleu et Kamdem, 2007).

1.2. L’implication organisationnelle et sa tridimensionnalité

1.2.1. Définitions et modèles d’implication organisationnelle

Le concept d’implication organisationnelle trouve ses origines dans les travaux en comportement organisationnel et en gestion des ressources humaines sur la motivation au travail dans une perspective de construction de la loyauté et de la fidélité du personnel envers leur organisation. À cet effet, l’IO a fait l’objet de nombreuses définitions qui, au fil du temps, ont trouvé un consensus autour de la relation qu’entretient le personnel envers son organisation. Wiener (1982, p. 421) définit l’IO comme « l’ensemble des pressions normatives intériorisées par l’individu qui le poussent à agir d’une manière répondant aux objectifs et intérêts de l’organisation ». Selon O’Reilly et Chatman (1986, p. 493), l’IO est « l’attachement psychologique ressenti par une personne pour son organisation ; il reflète le degré auquel elle internalise ou adopte les caractéristiques ou perspectives de son organisation ». Cette définition rejoint celle de Mathieu et Zajac (1990, p. 171) qui considère l’IO comme « le lien qui unit un individu à son organisation » ; ou encore celle de deux auteurs canadiens Allen et Meyer (1996, p. 252) pour qui l’IO est « le lien psychologique qui unit l’employé à son organisation et qui rend moins probable son départ volontaire de l’organisation ». Il apparaît que l’accent est mis sur la relation entre l’individu et l’organisation qui l’emploie. Dans ces conditions, nous retenons que l’IO représente la relation durable entre le personnel et son entreprise, et ce lien peut être de nature diverse. Par conséquent, plusieurs modélisations de l’implication organisationnelle sont sujettes à controverse.

La littérature (Cohen, 2007 ; Biétry, 2012 ; Klein, 2012 ; Meyer et al., 2012) souligne le débat récurent autour de la conceptualisation et la mesure de l’IO car plusieurs modèles s’opposent, à savoir : les modèles dans la lignée de Porter (Porter et al., 1974 ; Angle et Perry, 1981 ; Mayer et Schoorman, 1992), les modèles intégrateurs des dimensions affective et instrumentale (O’Reilly et Chatman, 1986 ; Penley et Gould, 1988), les modèles intégrateurs centrés sur les états d’esprit (Meyer et Allen, 1991)[4]. Si Porter et al. (1974) sont à l’origine de l’échelle de mesure de l’IO qui est caractérisée par une forte croyance et acceptation des valeurs et objectifs de l’organisation, une volonté de faire beaucoup d’efforts pour l’organisation et un désir d’en rester membre, la modélisation de Meyer et Allen reste dominante dans la littérature, car ces deux auteurs ont identifié trois dimensions de l’IO permettant de caractériser l’état psychologique de l’attachement de l’individu à l’organisation qui l’emploie et qui influence sa décision d’en rester ou non-membre (Meyer et Allen, 1991) : l’implication organisationnelle affective (IOA), l’implication organisationnelle normative (ION) et l’implication organisationnelle continue (IOC).

Les trois dimensions de l’IO se révèlent distinctes bien que corrélées (Meyer et al., 2002 ; Vandenberghe et al., 2009 ; Bentein et al., 2004). Les chercheurs alimentent continuellement les débats sur la validité de cette tridimensionnalité. En particulier, les tests empiriques révèlent une très forte corrélation entre l’IOA et l’ION (Klein et al., 2012 ; Biétry, 2012). Pour d’autres auteurs (Ko et al., 1997 ; Fischer et Manseil, 2009, cités par Biétry, 2012), l’ION est présente dans un contexte socioculturel marqué par la prégnance de la culture communautaire où les normes sociales conditionnent davantage les comportements des individus que les calculs coûts-bénéfices qui prévalent en contexte occidental, en particulier nord- américain. Une autre critique porte sur l’unicité conceptuelle de l’IOC qui comporterait deux sous facettes : la prise de conscience de sacrifices et l’absence perçue d’alternatives d’emploi en dehors de l’organisation (Bentein et al., 2005 ; Vandenbergen et al., 2009). Nonobstant ces critiques, le modèle de Allen et Meyer permet de caractériser de manière complète les contours de l’IO et à ce titre, chacune des trois dimensions trouve sa justification dans des fondements théoriques différents (Vernhet, 2012 ; Meyer et al., 2012).

1.2.2. La nature de l’implication organisationnelle

L’IOA renvoie à l’attachement affectif du personnel envers l’organisation dans laquelle il travaille (Allen et Meyer, 1990 ; Meyer et al., 2012). Cet attachement psychologique se traduit par une forte adhésion du personnel dans les buts et objectifs de l’organisation. Ainsi, le personnel réputé affectif est disposé à agir, à déployer des efforts pour favoriser l’atteinte des objectifs organisationnels et manifeste ipso facto un fort désir d’en rester membre (Porter et al., 1982 ; Pennaforte, 2011). La dimension affective de l’IO trouve sa justification dans la théorie des échanges sociaux (Blau, 1964) et de la théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1978). Les échanges entre individus conditionnant les comportements et attitudes, la confiance partagée et la norme de réciprocité (Gouldner, 1960) amènent l’individu à s’impliquer affectivement dans son organisation. En se référant à la théorie de l’identité sociale (Tajfel, 1978), le prestige externe que perçoit un employé de son organisation (Guerrero et Herrbach, 2009) est de nature à renforcer son identification à son organisation.

L’ION, dans le modèle de Fischbein et Ajzen (1975) et Ajzen (1988), est l’ensemble de pressions internalisées qui poussent le personnel à agir de manière à satisfaire les buts et objectifs organisationnels. Le personnel perçoit à travers la norme subjective une série d’obligations et de pressions sociales qui le poussent à adopter un comportement attendu par l’organisation au sein de laquelle il travaille (Gamassou, 2004). Par conséquent, un individu développe une implication normative (Meyer et Herscovitch, 2001 ; Meyer et al., 2012) lorsqu’il a internalisé une série de normes sur le comportement idoine, quand il a bénéficié de profits et d’expériences qu’il souhaite transmettre ou quand il perçoit l’existence d’un contrat psychologique, c’est-à-dire d’un contrat moral (Rousseau, 1995) avec l’organisation ou d’autres entités formelles ou informelles de l’organisation (Gamassou, 2004). Au-delà de la théorie des échanges sociaux, de la norme de réciprocité ou de la théorie de l’identité sociale qui peuvent également expliquer l’ION, l’individu reste dans l’organisation parce qu’il a intériorisé des normes qui sont contraignantes et ne lui offrent pas d’autres alternatives (Vernhet, 2012, p. 69). Dans ces conditions, la socialisation apparaît comme le socle de développement de l’ION (Ashforth et al., 2007 ; Cohen et Veled-Hecht, 2010).

L’IOC quant à elle est dictée par le comportement passé qui peut amener l’individu à rester dans l’organisation lorsque les bénéfices tirés dans le cadre de la relation de travail sont supérieurs aux sacrifices consentis (Becker, 1960 ; March et Simon, 1958). L’IOC est relative aux coûts associés au départ de l’organisation (Commeiras, 1994 ; Bietry, 2012). Dans cette perspective, le personnel est impliqué de manière calculée ou continue lorsqu’il a fait des investissements dans l’organisation et a le sentiment qu’il les perdrait s’il arrêtait son activité ou qu’il lui manquerait d’alternatives (Meyer et Herscovitch, 2001 ; Meyer et al., 2012). Tout en relevant la pertinence de la dimension calculée de l’IO, certains auteurs (Bentein et al., 2004) soutiennent que l’implication calculée comporte deux sous-facettes : la prise de conscience de sacrifices découlant d’un ensemble d’investissements qui serait perdu si le personnel quittait l’organisation (Becker, 1960 ; Meyer et al., 2012 ; Biétry, 2012) ; et l’absence perçue d’alternatives d’emploi hors de l’organisation qui oblige l’individu à rester dans son emploi (Vandenbergen et al., 2009). Mais, pour Meyer et al. (2002), la perte potentielle des investissements consentis en cas de départ apparaît comme le noyau central de l’IOC. Ainsi, nonobstant l’actualité du questionnement sur la pertinence du modèle d’Allen et Meyer, nous retenons que dans des contextes où la culture est à dominante communautaire – c’est le cas du Cameroun, comme le montre Kamdem (2002) –, l’IO est tridimensionnelle. Cette dernière sera mise en relation avec la tontine d’entreprise et fera l’objet d’une validation empirique en contexte camerounais.

1.3. Tontine d’entreprise et implication organisationnelle : hypothèses de recherche

L’originalité de cette recherche est de considérer que la tontine d’entreprise, en tant que réseau social qui se tisse autour de regroupement informel de personnel ayant accepté librement d’en être membre, a un pouvoir prédictif sur chacune des trois dimensions de l’IO. Sur la base des caractéristiques de la tontine d’entreprise et des trois dimensions de l’implication organisationnelle (affective, calculée et normative), il est possible de formuler trois hypothèses générales de recherche.

La tontine se caractérise par la libre adhésion de ses membres, la mise en commun de ressources financières, la confiance, le respect mutuel, la loyauté ou l’engagement dans la parole donnée (Lelart, 1990 ; Henry et al., 1991)[5]. En outre, toute tontine fonctionne selon des normes précises, des obligations et des attentes réciproques (Kern et Nkakleu, 2009). Eu égard à la problématique découlant des relations conflictuelles entre le personnel et leur entreprise, il y a comme un contrat psychologique (Rousseau, 1995) entre l’individu et le groupe tontinier et partant entre l’individu et son entreprise. Il est essentiellement de nature perceptuelle (Morrison et Robinson, 1997). Aussi, la qualité relationnelle est-elle tributaire d’une satisfaction des attentes des partenaires qui développent alors entre eux des normes de réciprocité. Tous ces éléments sont à la base d’une implication normative dans l’organisation, perçue comme l’obligation de rester dans l’entreprise par devoir moral, par loyauté ou pour achever un projet dans lequel la personne est engagée (Thevenet, 1992) ; ou encore comme l’acceptation des valeurs et attentes de l’organisation comme guide de la conduite individuelle (Weiner, 1982).

La seule adhésion à la tontine d’entreprise ne saurait garantir l’implication organisationnelle du personnel tontinier. En effet, la tontine d’entreprise étant une structure informelle, réputée autorégulée, le respect des règles de fonctionnement ou encore l’inscription de la tontine dans la durée font partie des caractéristiques de la tontine (Kern et Nkakleu, 2009) qui consolident les relations de confiance entre tontiniers.

Dans les sociétés africaines, les individus s’identifient par rapport à leurs groupes d’appartenance qui leur garantissent une certaine stabilité sociale (Kamdem, 2002). Transposée dans les entreprises africaines, cette logique communautaire amène le personnel à se regrouper par affinités ethniques, professionnelles ou culturelles (D’Iribarne, 1986 ; Kern et Nkakleu, 2009). Ainsi lorsqu’il existe plusieurs tontines dans une entreprise, l’appartenance à une tontine délimite les zones de coopération au travail. Par conséquent, l’existence de plusieurs tontines dans une entreprise créerait paradoxalement des conflits relationnels et de travail entre le personnel n’appartenant pas à la même tontine d’entreprise (D’Iribarne, 1986 ; Nkakleu et Kamdem, 2007). Vu la probabilité d’un développement de comportements non coopératifs découlant de la présence de plusieurs tontines dans la même entreprise, il est fort probable que la réduction du nombre de tontines créées dans l’entreprise participe du renforcement de la cohésion sociale entre tout le personnel tontinier. Aussi énonçons-nous l’hypothèse 1 pouvant se décliner en quatre sous hypothèses :

  • H1 : La tontine d’entreprise influence positivement l’implication organisationnelle du personnel dans les PME camerounaises.

  • H1.1 : L’adhésion du personnel à la tontine d’entreprise améliore son implication organisationnelle.

  • H1.2 : Le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise améliore l’implication organisationnelle du personnel tontinier.

  • H1.3 : La durée de vie de la tontine d’entreprise détermine l’implication organisationnelle du personnel tontinier.

  • H1.4 : Le nombre de tontines dans une entreprise influence l’implication organisationnelle du personnel tontinier.

Les PME se caractérisent par une relation proxémique (Torrès et Gueguen, 2008). En contexte africain, cette relation proxémique est d’autant plus renforcée que les échanges sociaux (Blau, 1964) sont gouvernés par des valeurs communautaires, à savoir : le rôle dominant de la communauté d’appartenance de l’individu, l’entraide et la solidarité entre acteurs appartenant à un même groupe social (Kamdem, 2002). La tontine d’entreprise renforçant sur les lieux de travail les espaces de coopération au travail (Nkakleu et Kamdem, 2007), il apparaît fort probable que l’implication des acteurs dans l’organisation soit contrainte par les comportements tontiniers (D’Iribarne, 1986) ainsi que par la taille humaine de l’entreprise qui favoriserait les relations de travail (Torrès et Gueguen, 2008). D’où les hypothèses H2 et H3.

  • H2 : La taille de l’entreprise modère la relation entre tontine d’entreprise et implication organisationnelle des personnels dans les PME camerounaises.

  • H3 : Les relations entre tontine d’entreprise et implication organisationnelle sont de nature différente chez les tontiniers et les non-tontiniers dans les PME camerounaises.

2. Étude empirique de la relation entre tontine d’entreprise et implication organisationnelle

L’étude empirique a été conduite sur la base du design de recherche adopté ad hoc, à partir duquel nous avons collecté les données et procédé à la mise en évidence de liens entre les concepts mobilisés. L’interprétation des résultats montre la portée de la tontine d’entreprise dans le processus d’implication organisationnelle.

2.1. Le design de recherche adopté

L’approche méthodologique retenue étant quantitative, nous avons procédé à un échantillonnage par convenance, en l’absence de données officielles sur les entreprises camerounaises. Nous avons administré 400 questionnaires auprès de personnel-cadre de 192 PME camerounaises[6] parmi lesquelles 38 % appartiennent au secteur commerce ; 24 % appartiennent à l’industrie et 38 % sont des entreprises prestataires de services. 225 questionnaires renseignés sont exploitables soit environ 57 % ; ce qui est satisfaisant dans le contexte camerounais où le personnel et les dirigeants sont hostiles aux enquêtes. 51 % des répondants font partie du personnel-cadre des entreprises ayant un effectif compris entre 10 et 49 personnes ; et 49 % appartiennent à des entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 100 personnes.

S’agissant de la mesure des déterminants de l’implication organisationnelle, cinq variables de nature dichotomique ou catégorielle ont été utilisées pour mesurer la tontine d’entreprise (D’Iribarne, 1986 : Henry et al., 1991) : l’adhésion du personnel à la tontine d’entreprise (V1), le nombre de tontines dans l’entreprise (V2), la durée de vie de la tontine d’entreprise (V3) qui permet d’apprécier la relation de confiance entre les membres, mais aussi envers la tontine qui protège les intérêts de tous les adhérents ; le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise (V4) qui se matérialise par le respect de règles de fonctionnement, à savoir : adhésion libre, égalité de tous devant les obligations et les droits, équité dans la collecte et la redistribution de l’épargne, assistance en cas d’événement dans la famille de l’adhérent, aide mutuelle en situation de travail (Nkakleu, 2009). Ayant retenu le modèle d’implication organisationnelle d’Allen et Meyer, nous avons adapté à notre contexte d’étude la version française (Belghiti-Mahut et Briole, 2004) de l’échelle de mesure de Allen et Meyer (1996). S’agissant du débat sur les deux sous-facettes de l’IOC, nous avons retenu seulement la sous-dimension « sacrifice perçu en cas de départ » qui semble correspondre, comme l’ont soutenu Meyer et al. (2002), au noyau dur de l’IOC.

L’IOA comprend 6 items (par exemple : j’éprouve vraiment un sentiment d’appartenance envers mon entreprise) ; l’ION comprend également 6 items (par exemple : il ne serait pas moralement correct de quitter mon entreprise actuelle maintenant) ; l’IOC perçue (sacrifice perçu) est mesurée quant à elle par 3 items (par exemple : je ne voudrais pas quitter mon entreprise actuelle parce que j’aurais beaucoup à y perdre). Les trois dimensions de l’IO ont été évaluées grâce aux échelles d’accord de type Likert à cinq points (de « pas d’accord » à « très d’accord »). Enfin, nous avons utilisé comme variable de contrôle : la taille de l’entreprise (V5) représentée par l’effectif du personnel (le premier groupe d’entreprises a un effectif compris entre 10 et 49 personnes et le deuxième groupe est constitué d’un effectif compris entre 50 et 100 personnes).

2.2. Traitement et analyse de données

Le traitement des données est réalisé à l’aide du logiciel SPSS. Nous avons divisé notre échantillon en deux groupes : le premier groupe est composé de personnel-cadre adhérent de tontine dans leur entreprise (n = 88) et le deuxième groupe test de personnel-cadre non adhérent de tontine dans leur entreprise ou de personnel-cadre de PME échantillonnées au sein desquelles n’existent pas de tontines (n = 137). Nous avons utilisé le test de sphéricité de Bartlett qui repose sur l’identification de corrélations significatives entre les items. Les traitements statistiques effectués à l’issue de l’analyse factorielle montrent des indicateurs de validité et de mesure de la précision de l’échantillon globalement satisfaisants. La valeur du KMO est de 0,858 (>0,5), ce qui indique une forte capacité des données à être factorisées.

Des analyses factorielles ont été menées pour la dimensionnalité de l’IO. Un test de la fiabilité à l’aide du coefficient alpha de Cronbach a été réalisé sur les trois dimensions de l’IO et dans tous les cas, l’alpha de Cronbach est supérieur à 0,7. La somme des variances des trois facteurs (IOA, ION et IOC perçue) donne 74 % de variance expliquée qui est l’IO (voir Annexe 1).

Pour valider les hypothèses retenues, nous avons procédé à l’analyse de variance multivariée (MANOVA) qui vise à déterminer si des variables qualitatives (cinq variables caractéristiques de la tontine d’entreprise) ont des effets significatifs sur des variables dépendantes quantitatives prises collectivement (IOA ; ION et IOC perçue). Toutes les statistiques de précision de l’échantillon issues de l’examen de la matrice anti-image des corrélations sont supérieures à 0,5 et le test de sphéricité de Bartlett est significatif au seuil de 0,000 (voir Annexe 2). Le test de Fischer satisfaisant au seuil de 5 % établit l’existence de liens entre la tontine d’entreprise et les trois dimensions de l’implication organisationnelle.

2.3. Présentation des résultats

2.3.1. La tontine d’entreprise influence l’IOA et l’ION dans des PME camerounaises

Les résultats de l’étude révèlent les rôles différenciés des tontines d’entreprise sur l’implication organisationnelle du personnel-cadre[7] dans les PME camerounaises (cf. Tableau 1).

Tableau 1

Effets de la tontine d’entreprise sur l’IO du personnel-cadre dans les PME camerounaises

Effets de la tontine d’entreprise sur l’IO du personnel-cadre dans les PME camerounaises
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Test significatif, p<5 %

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Pour ce qui concerne les quatre variables caractérisant la tontine d’entreprise, la relation est significative et positive entre l’adhésion du personnel-cadre à la tontine d’entreprise et l’IOA (B = 0,87 ; t = 5,35) ; entre la durée de vie de la tontine et l’IOA (B = 0,42 ; t = 3,92). En revanche, la relation est significative et négative entre le nombre de tontine d’entreprise et l’IOA (B = -0,59 ; t = -7,08) d’une part, entre le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise et l’IOA (B = -0,44 ; t = -3,87) d’autre part. Pour ce qui concerne le test de liens entre tontine d’entreprise et IOC perçue, seule la relation entre nombre de tontines d’entreprise et IOC perçue du personnel-cadre dans les PME camerounaises est significative et négative. Enfin, l’analyse de la relation entre tontine d’entreprise et ION montre que seul le nombre de tontines d’entreprise n’influence pas l’ION du personnel-cadre dans les PME camerounaises ; les trois autres variables déterminant l’ION du personnel-cadre dans les entreprises étudiées. Globalement, il apparaît que la tontine d’entreprise influence l’IOA et l’ION des personnels-cadres dans les PME camerounaises. L’hypothèse 1 est vérifiée partiellement.

2.3.2. Les déterminants de l’IO sur le personnel-cadre tontinier et personnel-cadre non-tontinier dans les PME camerounaises

Les tests comparatifs font apparaître une différenciation des déterminants de l’IO sur l’échantillon des adhérents et des non adhérents de tontines dans les PME camerounaises (cf. Tableau 2).

La taille de l’entreprise influence différemment l’IO des personnels-cadres tontiniers et des non-tontiniers. Alors qu’il n’existe pas de relation de dépendance entre taille de l’entreprise et l’IOA des personnels-cadres tontiniers, la relation est plutôt significative et négative entre taille de l’entreprise et l’IOA des personnels-cadres non-tontiniers dans les PME camerounaises. Ainsi, plus la taille de l’entreprise est petite (effectif entre 10 et 49 employés), plus les personnels-cadres non-tontiniers s’impliquent affectivement dans leur entreprise. Ce résultat corrobore l’effet proxémique souligné par Torrès et Gueguen (2008) comme caractéristique de la petite entreprise. Cette relation proxémique qui repose, d’après ces deux auteurs, sur la confiance interpersonnelle favorise l’implication affective dans l’entreprise.

Tableau 2

Tests comparatifs des déterminants de l’implication organisationnelle sur l’échantillon des adhérents et des non adhérents de tontines

Tests comparatifs des déterminants de l’implication organisationnelle sur l’échantillon des adhérents et des non adhérents de tontines
(*)

Test significatif, p< 5 %

Légende :

V1 : l’adhésion du personnel à la tontine d’entreprise

V2 : le nombre de tontines dans l’entreprise

V3 : la durée de vie de la tontine d’entreprise

V4 : le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise

V5 : la taille de l’entreprise

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En outre, la relation est significative et positive entre taille de l’entreprise et l’ION des personnels-cadres non adhérents de tontine dans leurs entreprises. En revanche la relation apparaît significative quant à l’IOC perçue des personnels-cadres tontiniers et non-tontiniers : elle est positive dans le groupe de personnel-cadre tontinier et négative dans l’échantillon de personnel-cadre non adhérent de la tontine d’entreprise. Les personnels-cadres non- tontiniers s’impliquent d’autant plus de manière affective et calculée que l’effectif du personnel est compris entre 10 et 49 employés. L’ION des personnels-cadres non-tontiniers est d’autant plus forte que la taille de l’entreprise est comprise entre 50 et 100 personnes. Ainsi, les personnels-cadres non-tontiniers se sentent d’autant plus impliqués de manière affective et calculée que leur entreprise est de petite taille (effectif compris entre 10 et 49 personnes) ; et de manière normative que leur entreprise est de taille moyenne (effectif compris entre 50 et 100 personnes). Les personnels-cadres tontiniers s’impliquent uniquement de manière calculée lorsque les entreprises sont de taille moyenne. Globalement la taille de l’entreprise influence la relation entre tontine d’entreprise et l’IO de personnel-cadre dans les PME camerounaises. L’hypothèse 2 est vérifiée.

Pour ce qui concerne les tests comparatifs des déterminants de l’IOA sur l’échantillon des adhérents et des non adhérents, la relation est significative entre nombre de tontines et l’IOA dans le groupe de personnel-cadre non adhérent de tontines. Il existe une relation de dépendance significative entre durée de vie de la tontine d’entreprise et l’IOA : elle est négative dans le groupe de personnel-cadre tontinier et positive dans le groupe de personnel-cadre non-tontinier. La relation de dépendance est significative et positive entre le bon fonctionnement de la tontine et l’IOA dans les groupes de personnel-cadre tontinier et de personnel-cadre non-tontinier. Les tests des déterminants de l’IOC perçue sur l’échantillon des adhérents et des non adhérents révèlent que la relation de dépendance est significative et négative entre nombre de tontines d’entreprise et l’IOC perçue dans le groupe de personnel-cadre tontinier. Ainsi plus le nombre de tontines augmente dans l’entreprise, plus le personnel-cadre adhérent de la tontine a tendance à s’impliquer de manière calculée dans l’entreprise. Enfin, s’agissant des déterminants de l’ION, seule la relation entre le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise et l’ION des personnels-cadres adhérents de tontines est significative et négative (B = -0, 28 ; t = -1,24). En revanche, dans le groupe de personnels-cadres non adhérents de tontines d’entreprise, la relation de dépendance est significative et positive entre le nombre de tontines d’entreprise et l’ION (B = 0,75 ; t = 4,94) ; et elle est significative et négative entre le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise et l’ION (B = -0,47 ; t = 1,97). L’hypothèse 3 est corroborée puisque des différences de perception apparaissent chez les personnels-cadres tontiniers et les personnels-cadres non-tontiniers quant au rôle de la tontine d’entreprise sur leur implication organisationnelle dans les PME camerounaises.

3. Discussion et conclusion

Cette dernière partie présente les contributions théoriques de cette recherche ainsi que les implications managériales d’une part, les limites et les perspectives d’autre part.

3.1. Contributions théoriques et implications managériales

3.1.1. Contributions théoriques de l’étude

Bien que des études aient critiqué l’unicité conceptuelle de l’IO (Klein et al., 2012), les résultats de cette recherche valident la tridimensionnalité du modèle d’IO de Allen et Meyer en contexte des PME camerounaises. Plus précisément, la critique récurrente révèle la forte corrélation entre l’IOA et l’ION (Ko et al., 1997 ; Meyer et al., 2002). En effet, la méta-analyse que Meyer et al. (2002) ont menée auprès de 55 échantillons distincts aboutit à une corrélation consolidée de ,63. Les résultats de notre recherche relativisent la forte corrélation entre l’IOA et l’ION. Excepté deux corrélations qui sont de ,602 et ,611, les autres valeurs des statistiques propres sont inférieures ou égales à ,5 (cf. Annexe 2). De plus, la valeur de l’alpha de Cronbach est respectivement de ,904 pour l’IOA et de ,794 pour la dimension normative (cf. Annexe 1). Par conséquent la corrélation est faible entre l’IOA et l’ION. Ce résultat traduit l’indépendance entre les variables associées à l’IOA et à l’ION. Dans ce cas, l’IOA et l’ION sont effectivement présentes dans les PME camerounaises échantillonnées. Nous pouvons justifier cette présence par les arguments avancés par la méta-analyse de Fischer et Mansell (2009) démontrant que la dimension normative de l’IO se retrouve dans les pays à culture collectiviste (ou communautaire) ce d’autant plus que les normes sociales y régulent la vie en société et les comportements des individus.

Un autre apport de cette étude réside dans le rôle prédictif de la tontine d’entreprise sur l’IOA et l’ION du personnel-cadre de PME camerounaises. Ce résultat corrobore les conclusions des travaux précédents selon lesquelles l’IOA et l’ION sont les dimensions les plus valides (Neveu et Thévenet, 2002). Dans le contexte culturel camerounais, la tontine d’entreprise fait partie de la catégorie facteurs culturels qui détermine l’IO (Biétry, 2012). La singularité des tontines d’entreprise dans notre recherche tient au fait que leur bon fonctionnement repose sur l’égalité de traitement réservé à tous les adhérents, la confiance interpersonnelle, l’équité dans la collecte et la redistribution de l’épargne, le bénéfice d’une assistance en cas d’événement dans la famille d’un adhérent, l’aide mutuelle entre tontiniers en situation de travail (Nkakleu et Kamdem, 2007 ; Kern et Nkakleu, 2009 ; Nkakleu, 2009). Ces valeurs qui fondent l’existence des tontines d’entreprise constituent des obligations et des normes sociales, suivant la théorie de la norme de réciprocité (Gouldner, 1960), pouvant expliquer la perception qu’ont les personnels des effets de la tontine d’entreprise sur leur implication normative.

Le bon fonctionnement de la tontine d’entreprise s’apparente ainsi à une communauté de pratique (Kern et Nkakleu, 2009 ; Nkakleu, 2009) qui, dans cette investigation empirique auprès des PME camerounaises, favorise l’implication affective et normative du personnel-cadre tontinier. Dans cette perspective culturaliste, le partage de valeurs sociales est consubstantiel à la qualité de l’échange social entre acteurs (Meyer et al., 2002) qui fonde l’IOA ainsi que l’ION des cadres dans les PME camerounaises. Aussi n’est-il pas étonnant que le personnel-cadre s’implique davantage affectivement dans leur entreprise, car la relation proxémique qui est une caractéristique des entreprises de petite taille (Torrès et Gueguen, 2008) renforce l’attachement psychologique des individus à leur organisation. L’effet taille de l’entreprise sur l’IOC des cadres tontiniers peut s’expliquer par le fait que lorsque les entreprises camerounaises dépassent la taille humaine supposée créer une relation proxémique sur les lieux de travail (Torrès et Gueguen, 2008), le personnel a tendance à adopter des comportements opportunistes. La présence de tontines permet de réduire ces comportements opportunistes, et l’implication calculée des cadres est d’autant plus faible que le nombre de tontines dans l’entreprise est réduit. Le bon fonctionnement de la tontine délimitant les frontières d’échanges intraorganisationnels (Nkakleu et Kamdem, 2007), l’existence d’une seule tontine contribue à l’élargissement des zones de coopération sur les lieux de travail. Il en résulte que la présence d’une seule tontine dans l’entreprise constitue un vecteur de convergence des différences perçues et vécues des cadres tontiniers dans leur entreprise.

Enfin, il a été démontré que, globalement la tontine d’entreprise n’influence pas l’IOC des personnels-cadres dans les PME camerounaises. On pourrait expliquer ce résultat qui semble singulier, par le fait que les cadres des entreprises étudiées ne perçoivent pas la tontine d’entreprise comme un instrument de « gestion des sacrifices perçus » qui pourrait les amener à ne pas quitter leurs entreprises (Bentein et al., 2004).

3.1.2. Retombées managériales

Compte tenu des conséquences de l’IO sur la fidélité du personnel et l’amélioration de la performance au travail (Biétry, 2012), les dirigeants se trouvent interpellés dans la mise en place d’actions susceptibles de renforcer l’implication du personnel dans l’organisation. Il est apparu dans cette étude qu’une frange du personnel non-tontinier s’est impliqué tout comme les cadres tontiniers dans les PME camerounaises. Ceci suggère que le soutien organisationnel serait un levier de motivation du personnel au centre de leur implication. De plus, dans le contexte culturel camerounais, la tontine d’entreprise s’est révélée comme une communauté de pratique prédictive de l’implication affective et normative des cadres dans les PME camerounaises. La force de la communauté de pratique découlant de son autorégulation, les dirigeants gagneraient à cultiver la tontine d’entreprise, comme le suggèrent Wenger et al., (2002) s’agissant de la communauté de pratique, en apportant leur appui financier pour développer les actions de la tontine d’entreprise en faveur du personnel tontinier. Ce soutien financier sera d’autant plus efficace que les dirigeants éviteront la régulation de la tontine par le contrôle. Car les échanges entre les tontiniers autour des problèmes personnels ou liés à leur travail devraient se faire librement.

Il est apparu également que la création de plusieurs tontines dans l’entreprise réduisait la propension des cadres à s’impliquer dans leur entreprise. La limitation du soutien organisationnel à la mise à disposition des tontiniers des fonds et la reconnaissance des tontiniers coopératifs et performants par le management sont susceptibles d’élargir les zones de coopération du personnel tontinier en situation professionnelle et de faciliter l’adhésion des non-tontiniers.

3.2. Limites et perspectives

Pour autant que les résultats de cette recherche démontrent que la tontine d’entreprise a un effet prédictif sur l’IOA et l’ION des cadres de PME camerounaises, nous devons souligner que ces résultats ne sauraient être généralisés à toutes les PME camerounaises. Nous avons procédé à un échantillonnage de convenance et mené l’étude empirique sans prendre en compte le rôle de la nature du secteur d’activité sur la relation entre tontine d’entreprise et IO dans les PME camerounaises. Une autre limite de notre travail tient à la réalisation d’une étude en coupe instantanée qui ne permet pas d’analyser sur une période longue l’implication du personnel dans leur entreprise.

Nonobstant ces limites, notre investigation empirique a permis de démontrer l’existence de liens entre la tontine d’entreprise et l’IO dans les PME camerounaises. Plus précisément, la tontine d’entreprise a un effet prédictif sur deux des trois dimensions de l’IO à savoir : l’IOA et l’ION. Les résultats n’ont pas révélé de liens significatifs entre la tontine d’entreprise et l’IOC des cadres dans les PME camerounaises. Contrairement à l’hypothèse de départ (H1), nos résultats valident partiellement l’hypothèse de liens entre la tontine d’entreprise et l’IO. Les résultats ont également établi que la taille de l’entreprise influence la relation entre la tontine d’entreprise et l’IO de personnel-cadre dans les PME camerounaises, confirmant ainsi l’hypothèse 2. Enfin, l’hypothèse 3 est corroborée puisque les cadres tontiniers et les personnels-cadres non-tontiniers s’impliquent de manière différenciée dans leur entreprise.

Les résultats de cette investigation empirique ouvrent des perspectives de recherche future. Étant donné que les cadres tontiniers et non-tontiniers s’impliquent à des degrés divers dans leur entreprise, nous envisageons dans la lignée des orientations définies notamment par Meyer et al. (2012) de mener des études empiriques permettant d’identifier les profils du personnel impliqué dans les PME camerounaises dans une perspective multi-sources. Dès lors, nous pourrons mesurer l’impact de la tontine d’entreprise et d’autres mécanismes formels de socialisation organisationnelle sur l’IO des personnels dans les PME camerounaises. En contexte de PME, la prise en compte du rôle du LMX (échange entre leader et subordonnés) peut révéler des résultats intéressants dans un contexte de culture communautaire. En outre, dans un contexte de développement des carrières nomades où la fidélisation du personnel détenant notamment des compétences stratégiques est un levier de performance, il nous semble également fertilisant de mener des études longitudinales sur l’implication organisationnelle des talents et des hauts potentiels dans les PME africaines.