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Introduction

Tout processus d’écriture est une tâche complexe où le chercheur est appelé à résoudre des problèmes propres à chaque composante de ce processus, à savoir le contexte de la tâche, les ressources cognitives et matérielles, la planification, la mise en texte, la révision et la publication (Hayes et Flower, 1980). Or, les défis se révèlent plus importants, sur les plans cognitif et affectif, quand il s’agit de la rédaction scientifique.

En effet, si on considère par exemple le contexte de la tâche, l’intention de l’auteur d’un article scientifique est de produire de nouvelles connaissances, ou de proposer une compréhension améliorée d’un objet d’étude, que ce soit un concept, un phénomène, ou une théorie. Pour y parvenir, le chercheur doit constamment actualiser ses connaissances sur ledit objet d’étude, suivre le débat scientifique le concernant, proposer une nouvelle hypothèse et apporter des arguments convaincants ou des données rigoureusement recueillies pour l’appuyer.

Les nombreux défis liés à la rédaction scientifique expliqueraient des difficultés qu’éprouvent les étudiants à cet égard (Carter et Laurs, 2018). Pour les pallier, différentes stratégies d’encadrement sont proposées dans la littérature afin de les soutenir (Sword, 2018). Parmi ces stratégies, trois ont retenu notre attention en vue de les intégrer dans une démarche d’encadrement de futurs chercheurs lors de la rédaction scientifique. La première consiste à inviter les futurs chercheurs à observer un scripteur chevronné pendant son processus de rédaction (Silvia, 2018).  La mise en place de cette stratégie implique des discussions durant lesquelles le scripteur expérimenté partage avec ses étudiants tous les détails de son processus rédactionnel que Sword (2018) appelle stratégie de partage d’expérience (stratégie 2). Celle-ci se révèle particulièrement bénéfique pour les futurs chercheurs quand ils observent différents chercheurs rédiger un article scientifique. Finalement, l’encadrement des futurs chercheurs dans la rédaction scientifique s’avère plus efficace quand ils sont impliqués activement dans le processus de rédaction, notamment en leur demandant de rétroagir sur les différentes versions du manuscrit (Nielsen et Rocco, 2002) (stratégie 3). La démarche d’encadrement impliquant une direction de recherche (1re auteure) et deux étudiantes (2e et 3e auteures) a été mise en place en 2018. Elle est décrite en détail dans la chronique Rédiger à plusieurs mains : l’encadrement des futurs chercheurs dans la rédaction d’un article scientifique (Fejzo et al., 2022)[1] publiée au numéro précédent de cette revue. Dans le cadre de cet écrit, nous rapportons les retombées de cette démarche, sur les plans cognitif et affectif, chez les futures chercheuses.

Retombées d’ordre cognitif de la démarche d’encadrement

L’apprentissage le plus saillant réalisé par les futures chercheuses lors de la démarche d’encadrement était la compréhension du caractère itératif du processus de rédaction. Elles ont lu, relu et commenté diverses versions du manuscrit révisé après chaque rencontre. Des manipulations telles que l’ajout, la suppression, le remplacement et le déplacement des paragraphes ont eu lieu à plusieurs reprises tout au long du processus. Cette implication dans le processus leur a ainsi fait comprendre qu’elles ne sont pas les seules à devoir reprendre la rédaction d’un écrit, notamment d’un chapitre de la thèse. De plus, les discussions avec la première auteure durant lesquelles elle partageait les réflexions qui ont orienté la rédaction de chaque section du manuscrit et le retour sur les rétroactions des étudiantes leur ont permis d’avoir une idée plus concrète des défis de la rédaction d’un article scientifique, et ce, sur le plan du contenu et de la forme.

Par ailleurs, les futures chercheures ont pris connaissance de divers outils susceptibles de les aider lors de la rédaction d’un article scientifique tels que des banques d’expressions propres à la rédaction scientifique en français et en anglais ou des grilles de vérification. De surcroit, elles ont développé leur propre grille de vérification intégrant les divers apprentissages réalisés lors de la démarche d’encadrement (Saidane et al., 2021).

Retombées d’ordre affectif de la démarche d’encadrement

Sur le plan affectif, l’encadrement a permis aux étudiantes de percevoir un processus de rédaction plus accessible et de déconstruire de fausses conceptions en lien avec la rédaction scientifique (ex. : les chercheurs expérimentés rédigent leurs articles d’un trait). Par conséquent, la retombée la plus importante était sur la confiance en leur capacité à relever les défis de la rédaction scientifique. En effet, après la démarche d’encadrement, les étudiantes se sont lancées dans la rédaction d’articles scientifiques où elles étaient première auteure : en l’espace d’un an et demi, elles ont rédigé 3 articles (Saidane et al., 2018 ; Saidane et al., 2020, Whissell-Turner et Fejzo, 2021)

Par ailleurs, les futures chercheures ont grandement apprécié le geste pédagogique qui consistait à ce que la chercheure expérimentée demande leur avis sur des aspects précis d’une section en mettant les questions en marge du document. D’une part, cette précision leur permettait, d’alléger la charge cognitive requise si toute la section était à commenter. D’autre part, invitées à donner leur avis sur un ou des aspects précis, elles se sentaient plus à l’aise de commenter le travail de leur directrice de recherche. Cette stratégie s’est avérée judicieuse pour désamorcer le syndrome de l’imposteur ou la crainte de contrarier sa direction de recherche.

De plus, la réception positive et respectueuse de leur rétroaction par la première auteure les a convaincues de leurs capacités de rétroaction constructive. Le nombre croissant de leurs commentaires lors de la démarche témoignait de leur confiance accrue. Enfin, ayant fait le lien entre la qualité de la dernière version du manuscrit et les efforts soutenus de révision, les doctorantes ont souligné que ce constat les amènerait à recevoir avec plus d’ouverture les commentaires des évaluateurs de leurs futurs écrits.

Par ailleurs, la première auteure aussi a apprécié l’expérience pour les nombreuses retombées sur la formation des étudiantes à cet égard. En effet, elle a vécu un processus de rédaction qui a été grandement enrichi de rétroactions constructives, de suggestions de qualité et de soutien de la part des étudiantes lors du processus rédactionnel. Elle est persuadée que le manuscrit qui a résulté de cette démarche est nettement meilleur que si elle l’avait rédigé seule.

Conclusion

La démarche d’encadrement des futurs chercheurs lors de la rédaction scientifique se révèle un moyen pédagogique prometteur sur les plans cognitif et affectif. En effet, elle a permis aux futures chercheures de démystifier le processus de rédaction et d’accroitre leur confiance à rédiger un article scientifique. Force est de souligner qu’une telle démarche s’avère également bénéfique pour les chercheurs expérimentés. Nous espérons que les retombées multiples d’une telle démarche d’encadrement encouragent les directions de recherche à impliquer activement leurs étudiants dans le processus rédactionnel de leurs futurs écrits scientifiques.