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Ce livre est à la fois un hommage au fondateur de la limnologie, François-Alphonse Forel, et une initiation à la limnologie optique de l’auteur, Warwick F. Vincent. Le livre est composé de sept chapitres qui, pour la plupart, sont structurés de la même manière. L’auteur commence par la présentation de la contribution de Forel dans chacune des thématiques de l’ouvrage, à savoir les eaux profondes, les mouvements de l’eau, les systèmes vitaux, les chaînes alimentaires, les lacs extrêmes et les impacts anthropiques sur les lacs. Puis il poursuit par une mise à jour des connaissances sur le même thème en prenant soin de bien expliquer les mécanismes biologiques, géochimiques, géophysiques et physiques impliqués dans la vie des lacs, le tout appuyé de plusieurs exemples pertinents d’ici ou ailleurs.

En guise d’introduction, l’auteur présente les définitions d’un lac en fonction des disciplines de sciences de la nature. Par exemple, pour les biologistes, un lac est une oasis dans le paysage « où les microbes, les plantes et les animaux interagissent en réseau (...) » (p. 1).

Dans le premier chapitre « Eaux profondes », le lecteur comprendra qu’il y a plusieurs causes à l’origine de la formation des lacs, notamment les mouvements de la croûte terrestre, les effets glaciaires et périglaciaires, les impacts fluviaux, volcaniques ou météoritiques et la construction humaine de réservoirs. L’auteur explique ensuite qu’à partir de cartes bathymétriques, on peut calculer différents indicateurs sur la forme sous-marine des lacs, la hausse et la chute des niveaux d’eau, le temps de résidence d’une molécule d’eau, etc. En outre, on peut mesurer des paramètres physiques à partir de microfossiles de sédiments lacustres où peut être reconstituée l’histoire de l’eau à travers le temps.

Dans le chapitre « Lumières et mouvement », Warwick Vincent s’intéresse à l’environnement physique du lac, notamment aux interactions entre la lumière, la température, le vent et les vagues. Dans la section « Eaux claires ou troubles », il présente une méthode pour évaluer la transparence de l’eau, celle du « disque de Secchi » qui permet de mesurer la zone photique d’un lac (jusqu’à quelle profondeur il y a photosynthèse). La section suivante (« Les couleurs de l’eau ») traite de la différence de couleur de l’eau entre les lacs, ou à l’intérieur d’un même lac, et les causes expliquant ces différences. Ainsi, les lacs les plus purs sont foncés, les algues en suspension rendent les eaux vertes, etc. Ensuite, l’auteur analyse l’eau comme une substance chimique aux propriétés changeantes (« Eau mystérieuse ») où la molécule d’eau tend à s’agréger en grappes de complexité et de tailles différentes. Dans la « Saison du lac et mélange », on apprend que l’étendue de la structure en couche des lacs (stratification) varie selon les saisons. Plus encore, ces couches peuvent avoir des propriétés physiques et chimiques très différentes. Dans « Ondes vives » et « Ondes lentes », le lecteur est initié au monde des ondes : les ondelettes, entraînées vers le haut par le frottement du vent puis s’abaissant en formant des creux qu’on appelle « ondes capillaires ». Il y a aussi les ondes de gravité, pouvant atteindre différentes hauteurs selon la vitesse du vent. Dans « Courants dans le lac », on étudie l’écoulement associé aux seiches de surface et aux seiches internes d’un lac. Toute la section est consacrée à la grande variété de mouvements des masses d’eau dans les lacs à différentes échelles géographiques

Dans le chapitre suivant, « Système vitaux », l’auteur rappelle que Forel avait déjà constaté la présence généralisée de microbes dans l’eau et l’existence d’écosystèmes qui dépendent en grande partie de l’énergie solaire à l’origine de la photosynthèse. Cette section démontre que les lacs sont intégrés dans le paysage et l’environnement terrestre. Par exemple, Vincent explique l’apport de matière organique issue des plantes et des sols entraînés dans le lac par les ruisseaux et rivières du bassin versant. Dans la section « Oxygène précaire », il est question de l’équilibre précaire entre les gains et les pertes en oxygène dans les lacs qui sont constamment au bord de l’anoxie (absence d’oxygène). Cela s’explique par la faible solubilité de l’oxygène dans l’eau. Dans « Identifier l’invisible », on explore le monde des bactéries, et la recherche a montré la diversité de microbiotes actifs. Ces microbiomes regroupent des composantes microbiennes ayant chacune leurs cellules caractéristiques propres et leurs fonctions biogéochimiques. Ensuite, l’auteur décrit le cycle du carbone, qui est au coeur du fonctionnement de l’écosystème. Il présente plusieurs exemples, dont celui des lacs de thermokarst (créés par la fonte du pergélisol). Dans la dernière section « Zones de production », il s’intéresse à deux zones types des lacs : la zone riveraine qui abrite principalement des plantes aquatiques dominant souvent la production biologique globale de l’écosystème ; puis, la zone limnétique (au large du lac) où se trouvent des planctons très divers, de tailles, de formes et de couleurs variées. Ce phytoplancton (présent dans la plupart des lacs) se quantifie par centaines d’espèces appartenant à plusieurs grands groupes.

Le chapitre sur les chaînes alimentaires explique que, pour de nombreux lacs, les apports provenant de l’extérieur du plan d’eau, notamment le bassin versant, sont importants. Ces plantes terrestres et les sols fournissent un supplément de carbone et d’énergie aux animaux aquatiques. Ce chapitre décrit ainsi la vie sur le fond des lacs, là où se trouvent des sédiments lacustres, habitat des nématodes, des oligochètes, des chironomes et des amphipodes, chacun ayant son rôle dans la chaîne alimentaire et la productivité animale. Dans ces réseaux d’interactions, plusieurs groupes de planctons jouent un rôle très important, car ensemble, ils constituent la majeure partie de la biomasse zooplanctonique à la base de l’alimentation des poissons. À la fin, on apprend comment ces planctons se déplacent dans les lacs.

La section suivante, « Sommes-nous ce que nous mangeons ? », décrit l’état nutritionnel des animaux du réseau trophique des lacs. Dans ces plans d’eau, la composition en carbone, en azote et en phosphore est très variable. Selon l’endroit où l’on se situe dans la chaîne alimentaire, le rapport entre ces éléments peut beaucoup varier. L’arrivée d’une espèce animale envahissante peut avoir un effet important sur toute la chaîne alimentaire (Section « Envahisseurs aux portes du lac »). L’auteur en présente de nombreux exemples, dont le cas du myriophylle à épis qui cause des problèmes d’approvisionnement en eau potable au lac Saint-Charles, près de Québec. Il parle également du fameux cas de cette « cascade trophique » au lac Flathead, dans le Montana, où l’on a introduit la crevette opposum pour améliorer la pêche au saumon, mais avec des conséquences désastreuses sur le réseau trophique. Évidemment, il cite le cas de l’infestation des moules zébrées dans de nombreuses régions du monde.

Les « lacs extrêmes » sont des plans d’eau qui présentent des caractéristiques physiques, chimiques et biologiques inhabituelles Dans ce chapitre, Vincent aborde trois types de lac : les lacs salés (la mer Caspienne en est un exemple), les lacs polaires ou alpins, aux profils microbiologique et géochimique spécifiques, et les lacs dont les eaux sont acides et alcalines (lacs volcaniques, par exemple). Il parle aussi de lacs explosifs où vit une variété d’extrémophiles.

L’auteur termine son livre avec un chapitre, « Les lacs et nous », sur notre rapport à ces plans d’eau. Il y discute de l’appropriation des lacs par l’humain qui, très tôt dans l’histoire, a construit des barrages pour l’irrigation des cultures, l’abreuvement du bétail, la lutte contre les inondations, l’approvisionnement en eau domestique, etc. Ces interventions ont causé d’immenses problèmes dans plusieurs lacs du monde, qu’il décrit dans la section « Verdissement des eaux douces du monde ». Par exemple, la fertilisation excessive des eaux a provoqué une prolifération d’algues et de plantes aquatiques, processus connu sous le nom d’eutrophisation. Une autre conséquence de l’action humaine (lacs toxiques) est la prolifération de toxines cyanobactériennes, une classe de toxines hydrosolubles ayant des effets directs sur la santé humaine et celle des animaux. Dans la section suivante, se pose la question : un lac mort par eutrophisation peut-il être restauré à son état d’origine ? La réponse se trouve dans le contrôle des rejets polluants d’azote et de phosphore notamment, l’installation de systèmes d’extraction du phosphore, etc. Enfin, l’auteur termine sa réflexion en se questionnant sur l’avenir des lacs dans un contexte de changement climatique.

En conclusion, tout cet ouvrage est écrit dans un langage simple. L’ensemble est pédagogique, accompagné de plusieurs figures illustrant très bien le contenu de chacun des chapitres. L’auteur s’est fixé le double objectif de rendre compte de la contribution de François-Alphonse Forel et d’offrir une initiation à la limnologie. De toute évidence, il a réussi avec brio. C’est un livre que tout géographe devrait lire.