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Avertissons le lecteur dès l’entrée : le titre de l’ouvrage ne rend pas bien compte de son contenu véritable, relativement décentré par rapport à l’objet peuplement. Il est d’ailleurs révélateur que le terme « peuplement » qui, paradoxalement, ne fait l’objet d’aucune définition, n’apparaisse qu’en troisième position hiérarchique au sein du nuage de mots présenté en conclusion ; et que l’on trouve comme termes les plus cités « ville » et « système », en premier lieu, puis « espace », « temps », « processus » et « territoire ». « Établissement humain » n’apparaît pas.

Le grand intérêt de cet ouvrage, qui résulte d’une démarche pluridisciplinaire menée durant plus de six années par un groupe de travail réunissant géographes, historiens et archéologues, est qu’il propose un approfondissement épistémologique de notions et de concepts-clés permettant d’aborder les systèmes d’occupation de l’espace terrestre par les sociétés humaines, sur le temps (très) long de plusieurs millénaires. Cette clarification est d’autant plus pertinente que les définitions de certains de ces termes ne sont pas toujours partagées par les différentes disciplines scientifiques représentées par les auteurs et que les termes ont été parfois appropriés par les sphères politico-administratives, par exemple, « territoire » ou « résilience », ou parfois même par le grand public, avec l’approximation et la confusion qui en résultent souvent.

Comme l’exprime bien Denise Pumain, qui a signé l’introduction de l’ouvrage, davantage qu’un dictionnaire, il s’agit d’un lexique structuré de manière originale à partir des « termes forts » issus des différentes disciplines mobilisées ici. Ces termes sont groupés en quatre « grappes » dont la construction aurait d’ailleurs pu être précisée. Chacune des grappes est introduite par un texte présentant de manière détaillée l’étymologie des principaux termes, la genèse de leurs différentes acceptions, leurs usages parfois controversés et leur déclinaison à travers des notions qui leurs sont associées au sein de la grappe. Ils sont enfin illustrés dans le cadre de « dossiers » présentant des cas empiriques, mettant notamment l’accent sur les outils de modélisation.

Les deux premières grappes permettent au lecteur de prendre connaissance du cadre de pensée des auteurs à travers les termes génériques, les « mots-outils », qui illustrent leur approche systémique et relationnelle de la spatialité des sociétés humaines : autour des termes « temps/temporalités » et « espace/spatialités » pour la première grappe et autour des termes « dynamique » et « processus » – déclinés en « transition », « transmission », « mémoire » et « apprentissage » – pour la seconde, mettant notamment l’accent sur les transferts à partir de disciplines parfois éloignées de celles des différents auteurs.

La troisième grappe porte principalement sur les notions de réseau, territoire et métropole – cette dernière notion faisant l’objet d’un développement particulièrement important – déclinées par la suite en frontières, limites, pôles. La vision fixiste du territoire proposée ici, en contrepoint de celle dynamique du réseau, ainsi que l’opposition entre nomade et sédentaire auraient pu être nuancées à partir d’un point de vue davantage anthropologique.

La quatrième grappe traite des dynamiques récessives trouvant leur origine dans la diminution de la population autour des notions d’effondrement, de déclin et de décroissance, particulièrement utilisées ces derniers temps.

La prégnance de la pensée systémique et relationnelle qui structure l’ensemble de l’ouvrage et l’approche multiéchelles, dans l’espace et le temps, conduisent à une certaine dilution du principal objet de l’ouvrage, le peuplement, au milieu d’un abondant appareil conceptuel. Le lecteur est ainsi invité à chevaucher les temporalités (du Pléistocène supérieur au temps présent en passant par l’époque précolombienne) et les spatialités (du « croissant fertile » aux périphéries de la France continentale) avec le risque d’en être désarçonné. C’est cependant tout le pari et l’intérêt de la pluridisciplinarité revendiquée dans cet ouvrage. Celui-ci est donc important par l’éclairage qu’il fournit sur les notions retenues, offrant ainsi un précieux support de débats et d’échanges, et par la tentative de déterminer un corpus qui puisse être partagé par les différentes disciplines convoquées, et bien au-delà.