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Les Jeux olympiques de Tokyo se sont déroulés en 2021 avec une année de décalage en raison de la pandémie qui affecte la planète, mais le livre de Jean-Pierre Augustin et Pascal Gillon intitulé Les jeux du monde renouvelle l’approche critique de l’olympisme. La couverture de l’ouvrage symbolise l’objectif en représentant le planisphère sortant du porte-flamme. Cet ouvrage préfacé par Thierry Terret, historien du sport, comprend cinq grands chapitres. Dans le premier chapitre, les auteurs considèrent que l’olympisme s’inscrit dans une géopolitique en rapport avec les forces qui transforment nos sociétés. C’est l’occasion de rappeler le rôle majeur joué par les États européens dans le développement des Jeux olympiques. Cette influence perdure d’ailleurs malgré les évolutions récentes. Les auteurs insistent également sur la nécessité pour les institutions qui gèrent les Jeux olympiques d’évoluer en fonction des transformations économique et sociale mondiales. Le tournant majeur se situe sous la présidence de Juan Antonio Samaranch qui fait passer l’olympisme du statut de sport amateur à celui de sport professionnel et introduit des liens de plus en plus étroits entre les Jeux olympiques, les médias et les multinationales qui souhaitent accompagner et profiter de cet événement. Pour autant, bien que puissant du fait de ses ressources financières, le Comité international olympique (CIO) doit constamment défendre son existence face à des États qui peuvent influencer le déroulement des compétitions et s’opposer à ses choix.

À la suite de cette frise chronologique, les auteurs étudient, dans le deuxième chapitre, le système olympique et proposent un schéma qui illustre la complexité de cette organisation. Jean-Pierre Augustin et Pascal Guillon décortiquent les composantes du CIO regroupées en quatre grands ensembles. En premier lieu, les partenaires institutionnels exercent leur contrôle sur le système olympique. Outre le CIO, on y trouve les Fédérations internationales (FI), les Comités nationaux olympiques (CNO) et le Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO) qui reçoivent des financements du CIO. Les autres partenaires institutionnels sont les États et la ville organisatrice des Jeux. Les partenaires commerciaux financent les Jeux : parmi eux les commanditaires et les médias, lesquels posent de plus en plus leurs exigences dans la diffusion des images de la compétition. Viennent enfin les organismes mis en place pour lutter contre la fraude (Agence mondiale antidopage) ou pour trancher juridiquement en cas de litige (Tribunal arbitral du sport).

En conclusion de ce chapitre, les deux auteurs écrivent « Ainsi les acteurs du Mouvement olympique s’inscrivent dans une géopolitique interne complexe. Ceux du premier cercle, le CIO, les CNO, les COJO et les FI sont engagés dans des rapports de force et sont soumis aux influences du second cercle » qui comprend les financeurs et les États.

Le troisième chapitre traite de la capture de la performance olympique car, s’il y a de plus en plus de nations participantes, de sportifs à tenter d’obtenir une médaille, si on observe également une nette féminisation dans les compétitions, il n’en reste pas moins que les Jeux olympiques demeurent inégalitaires. Quelques nations s’accaparent le plus grand nombre de médailles. Certes, il y a des changements et la domination de l’Europe et des États-Unis est moins forte depuis la participation des pays du bloc communiste, l’entrée de la Chine et également l’ouverture des Jeux olympiques à la presque totalité des pays qui ont obtenu leur indépendance. Mais au final, les pays qui disposent des ressources financières, de programmes sportifs favorisant l’élite sportive, dominent dans le classement des médailles.

Jean-Pierre Augustin et Pascal Guillon évoquent le débat qui a eu lieu au moment de la création des Jeux olympiques, le roi de Grèce soutenant l’idée que les jeux devaient se dérouler en un seul lieu en Grèce, alors que Pierre de Coubertin défendait l’organisation des Jeux dans des villes différentes. C’est cette dernière position qui l’emporte et qui est évoquée dans le chapitre suivant. Il en découle une géographie des villes candidates et des villes organisatrices. Il en résulte également une géographie des espaces urbains en raison de l’impact considérable des Jeux dans ces différentes villes. D’autant que le nombre d’épreuves augmente considérablement, de même que le nombre d’athlètes et aussi de journalistes qui couvrent cet événement. Les auteurs montrent, à partir de l’exemple des villes récemment retenues pour organiser les Jeux, que les choix stratégiques et les conséquences géographiques varient d’une métropole à une autre. Les études réalisées sur les villes qui ont accueilli récemment les Jeux olympiques sont contradictoires en ce qui concerne les effets positifs ou négatifs en matière d’aménagements urbains. Seule certitude, aucune de ces villes n’a respecté le budget initial et cela permet peut-être de comprendre pourquoi le nombre de villes candidates diminue. C’est ainsi que pour les prochains Jeux, Paris, Los Angeles et récemment Canberra n’avaient pas réellement de villes concurrentes.

Dans un dernier chapitre assez bref, les auteurs abordent les défis de l’olympisme. C’est l’occasion de revenir sur les rapports de force entre le CIO et ses différents partenaires, en particulier les États et les différentes multinationales qui financent les Jeux olympiques. Sur ce point, il est dommage que le schéma du système olympique n’ait pas proposé une hiérarchisation entre les différents partenaires et une meilleure approche des interactions entre les différentes composantes. Se pose aussi la question de la diversification des Jeux. De nouvelles épreuves ont été introduites en particulier pour attirer les populations les plus jeunes et élargir ainsi l’audience des Jeux olympiques. Enfin le CIO est confronté à différents problèmes qui traversent la société, notamment la question du sexe, du genre, du rapport à l’islam, afin de permettre à des femmes issues de pays qui pratiquent cette religion de pouvoir participer aux compétitions.

Quelques grands thèmes ressortent au fil des pages dans la plupart des chapitres démontrant que les Jeux olympiques s’inscrivent bien dans l’évolution de l’économie, de la société et de la gouvernance mondiale. Théâtre, scènes de théâtre, dramaturgie, spectacle, illusion, constituent quelques éléments du vocabulaire utilisé par nos deux chercheurs dans l’analyse géopolitique des Jeux. De fait l’ouvrage souligne à l’évidence que l’universalisme porté par les membres fondateurs s’est moulé dans la mondialisation offrant aux multinationales une vitrine auprès de la population mondiale. A ce titre, malgré son statut d’association basée en Suisse, le CIO n’est-il pas une sorte de multinationale du spectacle sportif ? De même il est fondamental de noter que les villes ne sont plus désignées, mais mises en compétition dans le cadre de cette mondialisation au sein de laquelle les métropoles jouent un rôle de plus en plus actif. Et quand la mondialisation est affectée par les crises, les pandémies, quand les villes ne veulent plus ou ne peuvent plus dépenser sans compter, le système olympique est affecté et doit être repensé. La page de couverture peut se lire de deux manières dans une perception interactive. Le porte-flamme de l’olympisme aspire-t-il l’espace monde pour construire une nouvelle gouvernance mondiale dans laquelle le sport rapproche les nations et les hommes ? Ou bien les Nations sortent-elles du carcan de la gouvernance que veut imposer le CIO pour continuer de peser sur l’organisation et la gestion des Jeux comme elle tente de le faire à l’échelle du monde ? Au fil des différents chapitres, malgré la volonté du CIO d’être une voix qui influence, malgré le point de vue des auteurs qui estiment que le CIO a des marges de manoeuvre dans la gouvernance mondiale, il nous semble que l’ouvrage met plutôt en évidence le rôle des États. Une chose est certaine, ce livre est d’une réelle richesse par les informations qu’il apporte, les clés de compréhension qu’il propose, et les pistes de réflexion qu’il offre aux lecteurs.