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Le monde du droit de la construction a été marqué cette année par la parution d’un ouvrage majeur en droit des sûretés et en droit de la construction : The Construction Hypothec, par les avocats David Kauffman et Guy Gilain. Sous l’égide du Code civil du Québec, voilà un ouvrage dont l’importance correspond vraisemblablement à celle de la thèse de doctorat présentée en 1933 à l’Université Laval par le notaire Georges-Michel Giroux, thèse à laquelle se sont référées plusieurs générations de juristes. D’ailleurs, l’auteur Kauffman en a entrepris la rédaction à l’aube de l’entrée en vigueur du Code actuel, dès 1994, ayant derrière lui plusieurs années d’expérience en vertu de l’ancien Code. Il a en outre été responsable pour le Québec des Construction Law Reports et professeur aux facultés d’architecture et de génie de l’Université McGill. Affirmant dans sa préface qu’en plusieurs praticiens se cachent des académiciens, il indique ainsi sa volonté de synthétiser la théorie et la pratique et de transmettre aux générations actuelles et futures d’avocats et de juristes les fruits de son expérience. Me Kauffman souligne aussi l’importante contribution de son associé, Me Gilain, et exprime le regret de ne pas avoir pu mener à terme une version française de son ouvrage.

La vision exprimée dans l’ouvrage de Mes Kauffman et Gilain est une vision globale de l’insertion de l’hypothèque légale de la construction dans le système général des sûretés et des contrats. Au-delà d’une simple analyse descriptive, les auteurs émettent des réflexions de fond susceptibles de diriger leurs lecteurs vers la solution de plusieurs problèmes connexes découlant des hypothèques de la construction et vers les arguments permettant de régler d’autres questions qui ne sont pas explicitement traitées dans l’ouvrage. En effet, les auteurs ne se limitent pas à la simple analyse exégétique des articles du Code civil traitant de l’hypothèque légale de la construction, mais ils examinent également les contrats qui peuvent lui donner naissance et les recours qui peuvent en découler. Ainsi, les auteurs abordent les recours hypothécaires dans la perspective de l’exercice des droits découlant précisément de l’hypothèque de la construction, en expliquant, le cas échéant, les difficultés particulières qu’ils peuvent occasionner et les questions qu’ils suscitent.

L’ouvrage se divise en sept chapitres principaux. Le premier chapitre, qui sert aussi d’introduction, comporte un bref historique législatif. Le deuxième chapitre expose le cadre général de l’application de l’hypothèque légale, soit son insertion dans les mécanismes du droit des sûretés : priorités, hypothèques légales et hypothèques conventionnelles. Référence est aussi faite aux contrats susceptibles de donner naissance à l’hypothèque légale de la construction ou d’avoir une influence sur celle-ci.

Le troisième chapitre examine en profondeur la nature des immeubles susceptibles d’être grevés de l’hypothèque légale de la construction et les circonstances dans lesquelles il est possible d’en bénéficier. Ainsi, sont abordés la notion d’immeubles par nature, l’unité d’exploitation, la copropriété divise, les biens insaisissables et la plus-value apportée à un immeuble qui aurait été perdu. L’ouvrage explique aussi, dans ce chapitre, la nature des travaux pouvant donner lieu à l’hypothèque légale de la construction : il précise en outre les personnes pouvant contracter de façon à générer une hypothèque légale et, enfin, qui en sont les bénéficiaires, soit les ouvriers manuels, les entrepreneurs, les fournisseurs de matériaux, les architectes et les ingénieurs. Pour chacune de ces situations, les auteurs ne se contentent pas d’explorer le Code civil : ils se penchent également sur le droit statutaire applicable, tel le droit du travail ou les lois régissant la profession des intervenants bénéficiaires de cette hypothèque légale.

Le chapitre 4 est consacré aux modalités de conservation, soit les avis de conservation d’hypothèque, les préavis d’exercice de recours hypothécaires, ou l’inscription des actions contre le propriétaire, de même que les délais pour les accomplir après la fin des travaux, laquelle est d’ailleurs exhaustivement décrite. Les auteurs y exposent également les principes de la substitution d’hypothèque.

Le chapitre 5 aborde l’étendue de l’hypothèque légale de la construction en définissant la notion de plus-value, la nature des créances pouvant donner lieu à une hypothèque de la construction, le rang de cette hypothèque par rapport aux autres sûretés et son effet en cas de faillite et d’insolvabilité.

Le chapitre 6 examine les recours hypothécaires appliqués à l’hypothèque de la construction et les collocations auxquelles elle donne lieu. À ce sujet, les auteurs remettent en question la notion de plus-value relative, qui entraîne une collocation du montant de la plus-value calculée d’après le pourcentage de la plus-value apportée par les travaux. C’est la théorie préconisée par Giroux, mais remise en question à la suite des modifications de textes, apportées par le nouveau Code.

Constatons aussi que Mes Kauffman et Gilain font référence, comme c’est la tradition dans l’étude de l’hypothèque légale de la construction, à une abondante jurisprudence. Cette dernière est bien sûr majoritairement postérieure à 1994, date d’entrée en vigueur du Code actuel, mais certaines décisions antérieures figurent dans la table de jurisprudence, quand leur effet se répercute encore dans le droit actuel. Malgré la survie du privilège ouvrier sous la forme de l’hypothèque légale de la construction, la jurisprudence antérieure conserve souvent sa pertinence. Cependant, elle doit, dans certains cas, être appliquée avec prudence, des aspects ayant été uniformisés ou modifiés dans le Code actuel. Quant à la doctrine, l’ouvrage se reporte à la plus récente, à quelques ouvrages antérieurs au Code actuel et aux principaux ouvrages publiés dans les provinces de common law.

Ce volume présente un intérêt non seulement pour les juristes québécois, mais aussi pour les juristes des autres provinces. Il explique, dans un langage qu’ils comprennent, le fonctionnement du Code civil dans les matières qui sont désignées dans leur droit comme les Mechanics’ Liens, la Builders Lien Act, ou la Construction Lien Act. De plus, Mes Kauffman et Gilain présentent en annexe la législation applicable en la matière dans les provinces de common law. Ils décrivent les principales dispositions du Code civil du Québec et du Code de procédure civile. L’ouvrage est en outre enrichi de tableaux synoptiques comparatifs, qui indiquent les délais à respecter pour accomplir les formalités nécessaires à la validité et à la conservation des sûretés en faveur des intervenants de la construction, et ce, dans les différentes provinces. Chacun sait que le respect des délais est primordial pour assurer une bonne et valable sûreté légale pour les constructeurs.

Dans leur conclusion, les auteurs signalent les avantages de la simplicité des dispositions du Code civil sur le sujet, par comparaison avec les textes des autres provinces. Malgré certaines lacunes ou imprécisions qui pourraient lui être reprochées, le système d’hypothèques légales de la construction dans le droit québécois est à la fois simple et relativement clair, en dépit de l’abondante jurisprudence qu’il génère depuis plusieurs décennies. Cela s’explique parce que l’hypothèque légale est un système dont l’application repose non seulement sur le droit, mais aussi sur les faits.

L’ouvrage de Mes Kauffman et Gilain constitue donc une contribution remarquable à la synthèse du droit et à son avancement. Toute personne qui s’y intéresse à titre de juriste, que ce soit comme praticien ou universitaire, devrait le consulter.