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Introduction

La pandémie de COVID-19 peut être considérée comme un évènement de rupture qui a influencé (et qui continuera d’influencer) l’enseignement supérieur et la formation à distance (FAD) (Bernatchez et Alexandre, 2021; Gagnon, 2021). À l’Université du Québec en Outaouais, la crise engendrée par la COVID-19 a été exacerbée par le fait que la vaste majorité des cours y sont normalement donnés en personne. Il est donc apparu pertinent de documenter l’expérience de l’enseignement à distance d’urgence (Naffi, 2020) chez les personnes enseignantes dans cet établissement[1], d’autant plus que quelques études antérieures datant d’avant la pandémie rapportaient que la formation à distance était associée à des changements dans différentes facettes de l’enseignement supérieur (Boissonneault, 2009; Ferone, 2017).

Notre objectif initial consistait à décrire les changements perçus par les personnes enseignantes sur divers aspects, entre autres les interactions avec leurs étudiants et étudiantes, la relation pédagogique et leur posture enseignante. Une étude pilote réalisée durant l’été 2020 (Goulet et Thibault, 2020) avait toutefois fait ressortir les difficultés d’interroger des personnes enseignantes sur les concepts de « relation pédagogique » et de « posture enseignante » dans un questionnaire autorapporté. D’un autre côté, l’analyse des résultats de cette étude pilote suggérait que la question sur les interactions engendrait des réponses mieux circonscrites et plus riches. De plus, ce thème s’était révélé des plus opportuns dans le contexte des confinements répétés où les interactions humaines ont dû être repensées, et ce, dans tous les domaines de la vie. Ainsi, nous nous concentrons dans cet article sur les interactions entre les personnes enseignantes et leurs étudiants et étudiantes. Nos questions de recherche sont :

  • En comparaison avec un cours donné en personne, comment les interactions avec les étudiants et étudiantes ont-elles été perçues par les personnes enseignantes, en termes de quantité et de qualité, au trimestre d’automne 2020?

  • Quels sont les éléments précis évoqués par les personnes enseignantes pour quantifier et qualifier ces interactions?

Dans la section suivante, nous présenterons un état de la question sur les interactions entre les personnes enseignantes et les étudiants et étudiantes en formation à distance. Par la suite, nous fournirons les détails de la méthodologie. Suivront les résultats, nommément les statistiques descriptives et l’analyse thématique des commentaires. Nous conclurons avec une discussion étayée.

État de la question

La nature des interactions

Commençons par définir ce qu’on entend par interaction. En linguistique, le terme interaction désigne « toute forme de discours produit collectivement, par l’action ordonnée et coordonnée de plusieurs “interactants” » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p. 55). L’interaction, interpersonnelle, implique donc au moins deux personnes. Dans cette étude, les personnes interactantes sont les membres du personnel enseignant et les étudiants et étudiantes. Logiquement, une interaction peut se produire entre la personne enseignante et un étudiant ou une étudiante, entre la personne enseignante et plusieurs étudiants et étudiantes, ou entre deux étudiants ou étudiantes. Les interactions dont il est question dans cet article relèvent des deux premiers types.

En contexte pédagogique, les interactions font partie intrinsèque de l’acte social qu’est la communication (Verquin Savarieau et Daguet, 2020). Enseigner, n’est-ce pas communiquer? Si la plupart des interactions sont verbales, leur analyse doit tenir compte également du langage non verbal (Lévesque-Roy, 1980). Comme nous le verrons dans les résultats, cet aspect des interactions est important aux yeux de plusieurs personnes enseignantes de notre étude.

Les interactions peuvent se produire en temps réel (mode synchrone) ou en différé (mode asynchrone), sous forme orale ou sous forme écrite (Nissen, 2011). Dans une formation en personne, on s’attend à de nombreuses interactions orales en temps réel, mais des interactions peuvent aussi se produire à l’extérieur de la salle de cours, par courriel par exemple. En formation à distance (FAD), on observe plusieurs combinaisons d’interactions. Par exemple, un cours en ligne peut être conçu de manière à ce que toutes les interactions soient écrites et en différé, ce qui serait inacceptable dans un cours en personne. Pour donner un autre exemple, un cours à distance peut être conçu sur la base d’interactions orales en temps réel (sur Zoom par exemple) et d’interactions écrites en différé. D’une part, la FAD offre plus de souplesse quant aux types d’interactions possibles. D’autre part, l’on peut se demander ce qu’il advient de cette souplesse en temps de crise. Aura-t-on tiré profit de cette souplesse lors de la FAD obligée? Et, si oui, comment ces interactions auront-elles été perçues par les personnes enseignantes de notre université?

L’importance des interactions

Selon Kozanitis, la relation pédagogique peut être définie comme « l’ensemble des interactions du domaine cognitif, affectif et social entre apprenants et enseignants qui vise l’apprentissage et l’épanouissement de la personne » (Kozanitis, 2015, p. 4). La relation pédagogique est assurément liée au climat d’apprentissage, même si le climat ne se réduit pas à la relation pédagogique. De plus, la relation pédagogique peut avoir un effet décisif sur la réussite scolaire. Toujours selon Kozanitis, la qualité de la relation pédagogique reposerait sur des interactions positives. Toutefois, nous ne connaissons pas les caractéristiques des interactions dites positives. En outre, comment la relation pédagogique est-elle affectée en contexte de FAD?

Dans leur revue systématique des écrits sur l’interaction entre les personnes apprenantes, Papi et al. (2017) insistent sur le rôle clé joué par la personne enseignante dans le développement des interactions. Les interactions, et plus particulièrement celles se déroulant entre cette personne et les étudiants et étudiantes, constituent l’une des dimensions primordiales à considérer en FAD (Caron, 2021; Moore, 2012). En effet, les interactions peuvent contribuer à réduire la distance provenant de l’éloignement physique entre les personnes. Comme l’explique Jézégou (2019), « un apprenant en e-learning peut ressentir, penser et apprécier la présence du formateur jusqu’à le sentir proche, notamment en raison de la réactivité de ce dernier dans ses réponses, de son soutien motivationnel » (p. 148). Nous en savons toutefois peu sur les caractéristiques des interactions qui permettent de créer de la présence. À l’inverse, le manque d’interactions entre les personnes enseignantes et étudiantes constitue l’un des facteurs pouvant influencer la distance pédagogique (Angulo Mendoza, 2021).

Quelques études empiriques rapportent des changements occasionnés par la FAD sur différents aspects de l’enseignement au supérieur. Mentionnons d’abord l’étude de Ferone (2017), où 23 enseignants et enseignantes de l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) de Créteil ont répondu à un questionnaire[2] dans le contexte d’une nouvelle FAD. Les résultats aux questions fermées indiquent que 96 % des 23 personnes enseignantes interrogées ont remarqué des changements dans l’accompagnement offert aux étudiants et étudiantes, 91 % dans les activités qui leur sont proposées et 87 % dans les responsabilités qui leur sont confiées, pour ne nommer que ces items. Par ailleurs, relativement aux réponses à la question ouverte sur la modification éventuelle du rôle de la personne enseignante en FAD, le changement le plus souvent mentionné concerne la relation et le suivi avec les étudiants et étudiantes. Voici deux réponses en lien avec la relation pédagogique ou les interactions :

  • Relation plus égalitaire, moins hiérarchique avec les étudiants. La posture d’accompagnement est plus développée en FAD.

  • Mon rôle d’accompagnateur en FAD s’est renforcé, car la relation construite avec l’étudiant est plus fréquente et individualisée à travers les nombreux échanges sur le forum, qui sont à la fois individuels et collectifs. (Ferone, 2017, paragr. 21)

Dans une vaste étude empirique, Jaggars et Xu (2016) ont analysé les réponses à un questionnaire de 678 étudiants et étudiantes ayant participé à 23 cours à distance (complètement asynchrones) dans deux universités aux États-Unis. Les résultats font ressortir un lien positif et significatif entre la qualité des interactions interpersonnelles et les résultats scolaires des étudiants et étudiantes. Plus spécifiquement, des données complémentaires issues d’entrevues auprès de 24 personnes enseignantes et de 47 étudiants et étudiantes suggèrent que la qualité de l’interaction entre la personne enseignante et les étudiants et étudiantes permet de créer un environnement qui encourage ces derniers à s’engager dans le cours et à mieux performer, notamment lorsque la personne enseignante favorise l’engagement actif, offre une rétroaction rapide et se soucie des étudiants et étudiantes (Jaggars et Xu, 2016). Il est à noter que les variations d’interactions d’un cours à l’autre semblaient découler principalement des actions mises en place par la personne enseignante plutôt que par l’initiative des étudiants et étudiantes.

Les interactions en contexte de COVID-19

Plusieurs personnes se sont intéressées à l’expérience de la FAD dans le contexte de la COVID-19, ce que nous pouvons appeler l’enseignement à distance d’urgence (Naffi, 2020). Trois études en particulier ont attiré notre attention, car elles évoquent les interactions entre les personnes enseignantes et leurs étudiants et étudiantes. Commençons par l’étude de Mercier (2021), qui présente les résultats d’une enquête en ligne auprès d’étudiants et étudiantes de master. Dix-huit d’entre eux ont répondu à cette enquête, qui visait à connaitre les pratiques relatives à l’utilisation des caméras en classe virtuelle. Plus précisément, l’objectif consiste à décrire l’utilisation des outils numériques qui favorisent les interactions lorsque les caméras ne sont pas activées en classe virtuelle. On apprend, notamment, que le clavardage a été utilisé à chaque début de cours pour les salutations et les premiers échanges sur le quotidien. De plus, les émoticônes comme « applaudir » et « coeur » ont permis aux étudiants et étudiantes de s’exprimer rapidement sans passer par le micro, l’image ou le clavardage. Ainsi, de nouvelles formes d’interactions sont apparues afin de pallier la non-activation des caméras. Toutefois, comme le souligne Mercier (2021), les outils complémentaires à la caméra et au micro ne peuvent pas compenser totalement les interactions qui se produisent lorsque les caméras sont allumées, car « les informations non verbales sont extrêmement précieuses pour lire la compréhension des sujets traités sur le visage des étudiants » (Bonnaire et Lips, 2020, cité dans Mercier, 2021, p. 11).

Deuxièmement, l’étude de Messaoui et al. (2021) a pris la forme d’un questionnaire comprenant 46 items dont l’objectif était de documenter les pratiques pédagogiques et les usages du numérique chez les personnes enseignantes d’un institut universitaire de technologie (IUT). Le questionnaire a été lancé en juin 2020, donc au terme du premier confinement en France. À la question sur la relation pédagogique, 67 % des 60 personnes répondantes ont affirmé avoir manqué d’interactions avec leurs étudiants et étudiantes. Les résultats à la question sur les avantages de la FAD amènent toutefois les chercheuses à nuancer leur interprétation, car 15 % des personnes répondantes ont mentionné que l’un des avantages de la FAD était justement de pouvoir maintenir la communication avec les étudiants et étudiantes. Ces résultats pourraient-ils suggérer que les interactions ont été vécues autrement en FAD d’urgence?

La troisième étude postérieure à la COVID-19 que nous souhaitons mentionner reposait elle aussi sur un questionnaire administré dans un établissement d’enseignement supérieur, mais s’adressait à des professeurs et professeures de musique. Dans cette étude, Terrien et Güsewell (2021) rapportent que selon leurs perceptions (n = 56), l’impact de la FAD sur la qualité de la relation avec les étudiants et étudiantes serait minime. Lorsqu’on observe les résultats de près, on remarque qu’en fait, la qualité de la relation pédagogique est inchangée, du moins aux yeux des professeures et professeurs interrogés. Les interactions n’étaient pas précisément abordées, mais nous savons que ces dernières font partie intégrante de la relation pédagogique. Si la qualité de la relation pédagogique ne change pas, cela signifie-t-il que les interactions n’ont pas changé? Le cas échéant, à quoi peut-on attribuer ce maintien de la qualité de la relation pédagogique?

Méthodologie

Pour résumer la manière dont cette recherche exploratoire a été menée, nous présentons le questionnaire administré, nous décrivons l’échantillon, puis nous expliquons les méthodes d’analyse des données recueillies.

Questionnaire

Afin de mettre à l’essai le questionnaire développé, nous avons mené une collecte de données préparatoire auprès des personnes enseignantes ayant donné un cours universitaire à distance à l’été 2020 (Goulet et Thibault, 2020). Les réponses provenant de 23 personnes répondantes (sur une possibilité de 194 pour un taux de réponse de 12 %) nous ont permis d’apporter plusieurs ajustements au questionnaire en vue de la collecte de données principale. Par exemple, nous avons reformulé des questions et nous avons transformé plusieurs questions à développement en questions à choix multiples (afin de diminuer le temps de réponse au questionnaire et de faciliter l’analyse des données), tout en conservant un espace pour que les personnes répondantes puissent expliquer leurs réponses, au besoin.

Pour la collecte de données principale, un questionnaire anonyme en ligne a aussi été utilisé. En décembre 2020, toutes les personnes ayant donné un cours à l’Université du Québec en Outaouais au trimestre d’automne 2020 (n = 547) ont reçu un courriel les invitant à répondre au questionnaire. Tirant son inspiration de la vaste enquête européenne sur la formation hybride (Lameul et al., 2014), notre questionnaire autorapporté comporte 15 items. On y retrouve six questions fermées qui concernent le contexte de l’enseignement universitaire de la personne répondante :

  1. nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire;

  2. compétence technologique perçue;

  3. expérience d’enseignement en contexte de FAD;

  4. cycle d’enseignement;

  5. nombre d’étudiants et étudiantes;

  6. département.

À l’aide de ces données, des statistiques descriptives ont été générées pour décrire l’échantillon.

Les neuf autres questions peuvent être qualifiées de semi-ouvertes, car on y retrouve à la fois des choix de réponses ainsi qu’un espace pour que les personnes répondantes puissent développer en fournissant des précisions. Ces questions ciblent ce que les enseignants et enseignantes universitaires ont fait dans leur enseignement synchrone et asynchrone (activités, outils et nombre d’heures), leur perception de quantité et la qualité des interactions survenues avec les étudiants et étudiantes, leurs questionnements sur l’efficacité de leur enseignement, leur rôle d’enseignante ou d’enseignant, puis leur préférence quant à la modalité d’enseignement (à distance, hybride ou en présence). L’annexe A permet d’accéder à l’ensemble du questionnaire, même si cet article cible plus spécifiquement quelques-uns de ses items.

Échantillon

Notre échantillon est composé de 84 enseignants et enseignantes universitaires, ce qui correspond à un taux de réponse de 15 %. Au trimestre d’automne 2020, la majorité des personnes répondantes (68 %) en étaient à leur première expérience d’enseignement à distance. Concernant l’expérience d’enseignement à l’université, les personnes répondantes sont bien réparties dans les tranches d’années. Elles enseignent majoritairement (56 %) à de petits groupes (30 étudiants et étudiantes ou moins) et oeuvrent dans onze des douze départements de l’Université. La compétence technologique de l’ensemble des personnes répondantes peut être qualifiée de bonne, avec une moyenne déclarée de 7 (et une médiane de 7), sur une échelle de 1 à 10. En ce qui concerne le cycle universitaire, c’est sans surprise le 1er cycle qui est le plus représenté, alors qu’environ deux tiers des personnes répondantes déclarent enseigner uniquement au 1er cycle.

Méthodes d’analyse des données

Comme mentionné précédemment, des statistiques descriptives ont été générées pour décrire l’échantillon à l’aide des six questions fermées. Concernant les neuf questions semi-ouvertes, les réponses aux choix multiples ont d’abord été analysées à l’aide de statistiques descriptives, puis les précisions à développement ont, quant à elles, fait l’objet d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2021).

L’analyse thématique a une intention descriptive pour éclairer un phénomène et vise à illustrer comment se déploie l’expérience vécue par les personnes visées (Paillé et Mucchielli, 2021). Plus précisément, une telle analyse a deux fonctions principales : une fonction de repérage et une fonction de documentation. Un thème est « un ensemble de mots permettant de cerner ce qui est abordé dans l’extrait du corpus correspondant, tout en fournissant des indications sur la teneur des propos. » (Paillé et Mucchielli, 2021, p. 280).

C’est de cette façon que nous avons mené l’analyse thématique, en notant ensuite les thèmes retenus, en procédant à des fusions, subdivisions, regroupements et hiérarchisations des thèmes et sous-thèmes, conformément à la procédure proposée par Paillé et Mucchielli (2021). Toutes les réponses à développement laissées par les personnes répondantes ont été analysées par au moins deux membres de l’équipe, puis les éléments de contenu ont été négociés pour assurer un accord de toute l’équipe.

Résultats

En guise de résultats concernant les perceptions des enseignants et enseignantes universitaires quant aux interactions avec les étudiants et étudiantes lors de cours à distance en temps de pandémie, nous présenterons d’abord les statistiques descriptives pour les choix de réponses, puis ce qui découle de notre analyse thématique pour les réponses à développement.

Statistiques descriptives pour les choix de réponses

Les items du questionnaire sur les interactions étaient au nombre de deux et portaient respectivement sur la quantité et sur la qualité des interactions. Nous présenterons l’analyse successive des réponses[3] à ces deux items du questionnaire ainsi que le croisement de ceux-ci.

Quantité d’interactions

En ce qui concerne la quantité d’interactions, voici le libellé d’un item du questionnaire (voir question 10 de l’annexe A), accompagné des résultats au tableau 1 :

Comment qualifiez-vous la quantité d’interactions que vous avez eues avec les étudiant(e)s dans le cours en non-présentiel[4] en comparaison avec un cours en présentiel?
Veuillez fournir des précisions si cela s’avère pertinent.

Tableau 1

Perceptions sur la quantité des interactions (N = 90)

Perceptions sur la quantité des interactions (N = 90)

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Ces résultats témoignent que les personnes répondantes ont affirmé en grand nombre que leurs cours à distance avaient suscité moins d’interactions (50 % des réponses), alors que d’autres ont perçu autant d’interactions (32 %) et même plus d’interactions (18 %). Si l’on combine les réponses où les enseignants et enseignantes ont perçu plus d’interactions ou moins d’interactions, on obtient 68 %. On peut donc conclure que le passage obligé à la FAD au trimestre d’automne 2020 a modifié la quantité d’interactions avec les étudiants et étudiantes dans la majorité des réponses, du moins pour les personnes enseignantes de notre échantillon.

Les facteurs ayant pu influencer la quantité d’interactions seront analysés plus en détail ultérieurement (analyse thématique des réponses à développement), mais il nous semble pertinent de souligner d’emblée qu’une grande quantité d’interactions n’est pas nécessairement associée à quelque chose de positif. En témoignent des commentaires comme celui de la figure 1, où « Le nombre de courriels, textos et appels téléphoniques ainsi que des heures de bureau virtuelles en Zoom ont fait en sorte d’augmenter drastiquement le nombre d’interactions. »

Qualité des interactions

En ce qui concerne la qualité des interactions, voici le libellé d’un autre item du questionnaire à ce sujet (voir question 11 de l’annexe A), accompagné des résultats au tableau 2 :

Comment qualifiez-vous la qualité des interactions que vous avez eues avec les étudiant(e)s dans le cours en non-présentiel en comparaison avec un cours en présentiel?
Veuillez fournir des précisions si cela s’avère pertinent.

Tableau 2

Perceptions sur la qualité des interactions (N = 90)

Perceptions sur la qualité des interactions (N = 90)

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En comparant les cours à distance aux cours en personne, les personnes répondantes ont affirmé aussi fréquemment que les interactions étaient de moins bonne qualité (48 % des réponses) que de qualité similaire (48 %), et peu d’entre elles ont perçu une meilleure qualité (4 %). Force est d’admettre, d’une part, que le pourcentage de personnes enseignantes ayant perçu les interactions avec leurs étudiants et étudiantes comme étant de meilleure qualité dans leurs cours à distance est minime. D’un autre côté, près de la moitié d’entre elles attestent d’interactions de qualité similaire, ce qui mérite d’être souligné. Si l’on combine les réponses où les personnes enseignantes ont perçu une meilleure qualité ou une moins bonne qualité dans les interactions, on obtient 52 %. À l’instar de la quantité, la qualité des interactions a donc été affectée elle aussi dans la majorité des réponses.

Qualité des interactions selon leur quantité

Ces premières statistiques ne mènent toutefois pas à une conclusion claire. Puisque les perceptions sont relativement partagées dans les réponses aux deux items, nous avons croisé les réponses afin de vérifier si des liens se présentent. Par exemple, est-ce que les personnes enseignantes qui ont perçu moins d’interactions dans leurs cours à distance ont également perçu que ces dernières étaient de moins bonne qualité? Le tableau 3 présente les perceptions sur la qualité des interactions, mais classées cette fois selon la quantité d’interactions.

Dans la première ligne du tableau, on peut voir que les réponses où le nombre d’interactions a augmenté sont associées de manière partagée aux trois valeurs possibles de la qualité : 4 % de meilleure qualité, 8 % de qualité similaire et 6 % de moins bonne qualité. Dans certains cas, l’augmentation du nombre d’interactions est perçue comme positive, et on remarque qu’elle découle d’une mesure mise en place par la ressource enseignante : « J’ai fait des efforts pour être disponible pendant les périodes de cours et après, ou à l’extérieur des périodes au besoin, par Zoom ou par courriel. Les étudiants n’ont pas hésité à utiliser ces plages horaires et à m’interpeler au besoin. » Dans d’autres cas, l’augmentation du nombre d’interactions est perçue comme un élément négatif : « Surtout par courriel, beaucoup plus de demandes, parfois, totalement inutiles. »

Tableau 3

Perceptions sur la qualité des interactions, selon leur quantité (N = 90)

Perceptions sur la qualité des interactions, selon leur quantité (N = 90)

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Pour les réponses où les interactions en FAD ont été perçues en nombre similaire aux interactions en présence prépandémie (deuxième ligne du tableau), on remarque que la plupart sont associées à une qualité similaire (23 % des réponses). Dans la troisième ligne, on peut voir qu’un grand nombre des réponses où les interactions ont diminué en quantité sont associées à une moins bonne qualité d’interactions (33 % des réponses), ce qui laisse sous-entendre une insatisfaction des cours à distance pour ces personnes répondantes. Dans la section suivante, nous ferons ressortir les facteurs pouvant influencer positivement ou négativement les interactions (voir tableau 7).

Avant d’aborder ces facteurs, nous souhaitons mettre de l’avant certains croisements que nous avons effectués entre les questions liées aux interactions et d’autres questions du questionnaire. Après avoir fait des tris croisés des données, nous avons retenu trois questions liées aux caractéristiques des personnes répondantes pour lesquelles les croisements nous permettent de soulever de nouvelles questions en lien avec les interactions. Ces trois questions concernent le nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire, le niveau déclaré de compétence technologique ainsi que l’expérience d’enseignement en FAD.

Croisement entre les interactions et le nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire

Dans le questionnaire, nous avons demandé aux personnes répondantes : « Combien d’années d’expérience en enseignement universitaire avez-vous accumulées (que ce soit à temps partiel ou à temps plein)? » (voir question 1 de l’annexe A). Il s’agissait d’une question à choix multiples avec des intervalles de cinq ans. Considérant la petite taille des sous-groupes de données, nous avons regroupé les réponses des personnes ayant moins de 10 ans d’expérience d’enseignement universitaire et celles des personnes en ayant 10 et plus. Cette catégorisation permet aux sous-groupes d’être mieux équilibrés, tout en distinguant de manière dichotomique les personnes ayant moins d’expérience d’enseignement de celles qui ont plus d’expérience. Le tableau 4 illustre les données croisées entre les interactions (quantité puis qualité) et le nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire.

Tableau 4

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard du nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire (N = 90)

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard du nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire (N = 90)

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Il convient d’interpréter prudemment ces tris croisés, considérant la petite taille des sous-groupes de données. Du côté de la quantité d’interactions, il semble que les personnes répondantes ayant moins d’expérience en enseignement universitaire (moins de 10 ans) ont majoritairement perçu moins d’interactions (58 %). Pour les personnes ayant plus d’expérience (10 ans et plus), les réponses sont plus réparties et une part non négligeable suggère qu’il y avait autant d’interactions (38 %) et même plus d’interactions (19 %). En ce qui concerne la qualité des interactions, les personnes répondantes ayant moins d’expérience ont majoritairement perçu une moins bonne qualité d’interactions (61 %), alors que c’est majoritairement une qualité similaire pour les personnes ayant plus d’expérience (58 %). De tels résultats pourraient indiquer un lien positif entre les interactions (quantité puis qualité) et le nombre d’années d’expérience en enseignement universitaire.

Croisement entre les interactions et le niveau déclaré de compétence technologique

Dans le questionnaire, nous avons aussi demandé aux personnes répondantes : « Au moment de débuter le trimestre d’automne 2020, comment auriez-vous qualifié votre compétence technologique sur une échelle de 1 à 10? (1 étant nulle et 10 excellente) » (voir question 2 de l’annexe A). Considérant la petite taille des sous-groupes de données, nous avons regroupé les réponses des personnes ayant déclaré un niveau de 1 à 6 et celles des personnes ayant déclaré un niveau de 7 à 10. Cette catégorisation permet aux sous-groupes d’être mieux équilibrés, tout en distinguant de manière dichotomique les personnes ayant un sentiment de compétence technologique plus faible de celles qui ont un sentiment de compétence technologique plus fort. Le tableau 5 illustre les données croisées entre les interactions (quantité puis qualité) et le niveau déclaré de compétence technologique.

À nouveau, il convient d’interpréter prudemment ces tris croisés, considérant la taille des sous-groupes de données. Du côté de la quantité d’interactions, il semble que les personnes répondantes ayant un sentiment de compétence technologique plus faible (1 à 6) ont majoritairement perçu moins d’interactions (65 %). Pour les personnes ayant un sentiment de compétence technologique plus fort (7 à 10), les réponses sont plus réparties et une part non négligeable suggère qu’il y avait autant d’interactions (37 %) et même plus d’interactions (20 %). En ce qui concerne la qualité des interactions, les personnes répondantes ayant un sentiment de compétence technologique plus faible ont majoritairement perçu une moins bonne qualité d’interactions (58 %), alors que c’est majoritairement une qualité similaire pour les personnes ayant un sentiment de compétence technologique plus fort (53 %). De tels résultats pourraient indiquer un lien positif entre les interactions (quantité puis qualité) et le niveau déclaré de compétence technologique.

Tableau 5

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard du niveau déclaré de compétence technologique (N = 90)

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard du niveau déclaré de compétence technologique (N = 90)

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Croisement entre les interactions et l’expérience d’enseignement en FAD

Enfin, nous avons demandé aux personnes répondantes : « Au trimestre d’automne 2020, en étiez-vous à votre première expérience d’enseignement en non-présentiel? » (voir question 1 de l’annexe A). Cette catégorisation dichotomique (oui/non) permet de distinguer l’expérience préalable d’enseignement en FAD. Le tableau 6 illustre les données croisées entre les interactions (quantité puis qualité) et l’expérience d’enseignement en FAD.

Tableau 6

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard de l’expérience d’enseignement en FAD (N = 90)

Nombre (et pourcentages) de réponses liées à la quantité d’interactions, puis à la qualité des interactions au regard de l’expérience d’enseignement en FAD (N = 90)

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Encore une fois, il convient d’interpréter prudemment ces tris croisés, considérant la petite taille des sous-groupes de données. Du côté de la quantité d’interactions, il semble que les personnes répondantes n’ayant pas d’expérience préalable en FAD (première fois) ont majoritairement perçu moins d’interactions (53 %). Pour les personnes ayant une expérience préalable en FAD (pas la première fois), les réponses sont plus réparties et une part non négligeable suggère qu’il y avait autant d’interactions (36 %) et même plus d’interactions (21 %). En ce qui concerne la qualité des interactions, les personnes répondantes n’ayant pas d’expérience préalable en FAD ont majoritairement perçu une moins bonne qualité d’interactions (52 %), alors que c’est généralement une qualité similaire pour les personnes ayant une expérience préalable (50 %). De tels résultats pourraient indiquer un lien positif entre les interactions (quantité puis qualité) et l’expérience d’enseignement en FAD.

Analyse thématique pour les réponses à développement

Au-delà des statistiques descriptives sur la quantité et la qualité des interactions et les croisements avec d’autres caractéristiques des personnes répondantes, les commentaires laissés par celles-ci dans les espaces prévus à cet effet dans les deux items du questionnaire nous éclairent sur certains éléments pouvant justifier les perceptions rapportées. Selon l’analyse des commentaires, les facteurs évoqués sont de trois ordres différents, soit ceux liés aux cours, ceux liés aux attitudes ou comportements de la personne enseignante et ceux liés aux attitudes ou comportements des étudiants et étudiantes.

Le tableau 7 présente les facteurs perçus par les personnes enseignantes qui peuvent influencer la qualité et la quantité des interactions. Il est à noter que les facteurs communs aux deux questions (quantité et qualité des interactions) ont été fusionnés. Par exemple, dans le tableau 7, on voit que le facteur « permet le travail en sous-groupes » a été mentionné dans les réponses à la question sur la quantité et dans celles sur la qualité des interactions. Cette décision s’est imposée lors de l’analyse, car de nombreux commentaires suggéraient que les personnes répondantes n’avaient pas fait la distinction entre la quantité et la qualité dans cette partie du questionnaire et nous avons voulu rester le plus près possible des données pour ne pas dénaturer les perceptions des personnes répondantes.

Facteurs liés au cours

Onze facteurs différents liés au cours, qui peuvent concerner le format ou la conception du cours, ont été évoqués par les personnes enseignantes pour justifier les perceptions rapportées sur les interactions (voir tableau 7). Plusieurs de ces facteurs relèvent de caractéristiques résultant de leur décision. En effet, on constate que certains enseignants et enseignantes ont mis des moyens en place afin de favoriser le nombre d’interactions dans leurs cours à distance : plages horaires fixes pour les rencontres individuelles, plusieurs moyens de communication, modalités synchrones et asynchrones, travail en sous-groupe. Ces caractéristiques pourraient-elles refléter le désir qu’ont eu certains d’entre eux de pallier la distance physique anticipée? Cette hypothèse est loin d’être anodine, puisqu’elle rappelle qu’ils ont du pouvoir sur la conception de leurs cours et, par conséquent, du moins dans une certaine mesure, sur les interactions avec leurs étudiants et étudiantes, même pendant une situation particulière d’enseignement à distance comme celle de la pandémie de COVID-19.

En outre, on remarque que la taille des groupes revient à deux endroits. La qualité des interactions serait favorisée en FAD lorsque le groupe est de petite taille. À l’inverse, la quantité des interactions aurait diminué dans les groupes de grande taille, du moins selon certains enseignants et enseignantes, comme on peut le voir dans ce commentaire : « mais en grand groupe c’était pénible de faire “lever” les interactions ».

Tableau 7

Les facteurs perçus par les enseignant(e)s qui peuvent influencer favorablement (+) ou défavorablement (–) la qualité et la quantité des interactions

Les facteurs perçus par les enseignant(e)s qui peuvent influencer favorablement (+) ou défavorablement (–) la qualité et la quantité des interactions

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Les limites de Zoom, le logiciel imposé par l’Université pour l’enseignement à distance d’urgence, sont mentionnées à deux reprises. Pour certaines personnes enseignantes, Zoom est perçu comme un outil affectant le dynamisme des interactions et rendrait difficile la « lecture du groupe ». Ajoutons à ces deux facteurs que l’enseignement à distance d’urgence bloquerait l’accès au langage non verbal des étudiants et étudiantes. Ces filtres induits par Zoom n’étaient sans doute pas connus avant l’enseignement à distance d’urgence, du moins pas chez les personnes enseignantes qui en étaient à leur première expérience.

Facteurs liés aux attitudes ou comportements de la personne enseignante

Notre analyse des commentaires a fait ressortir onze facteurs relevant des attitudes ou comportements des personnes enseignantes (voir tableau 7). Ces facteurs sont associés à des attitudes ou à des comportements qui peuvent être modifiés ou appris. Par exemple, « questionner les étudiant(e)s durant les séances » est une pratique qui se développe et « faire preuve d’ouverture, se montrer disponible et présent(e) » est une attitude qui s’acquiert. En outre, certains comportements peuvent certainement découler des limites de Zoom : lorsqu’on partage son écran, on ne voit plus l’ensemble de ses étudiants et étudiantes, à moins d’enseigner à un petit groupe ou de posséder plusieurs écrans. On remarque également que certains comportements identifiés comme pouvant favoriser la quantité ou la qualité des interactions, par exemple « prendre le temps d’établir un climat respectueux » et « discuter informellement avec les étudiant(e)s », ne sont pas étrangers à la relation pédagogique.

Facteurs associés aux attitudes ou comportements des étudiants et étudiantes

Enfin, les personnes enseignantes de notre échantillon ont évoqué des facteurs liés aux attitudes ou comportements étudiants. Plus précisément, notre analyse fait ressortir dix de ces facteurs (voir tableau 7). À nouveau, quelques facteurs auraient influencé à la fois la quantité et la qualité des interactions. Par exemple, allumer sa caméra et poser des questions (tant à l’oral qu’à l’écrit) durant le cours sont des actions qui favorisent les interactions avec la personne enseignante, sur le plan tant de la quantité que de la qualité. D’un autre côté, des facteurs équivalents ont aussi été formulés dans l’autre sens, alors que les personnes répondantes ont mentionné que ne pas allumer sa caméra et ne pas poser de questions sont des facteurs défavorables aux interactions avec l’enseignant ou l’enseignante, pour ce qui est de la quantité et de la qualité, comme l’illustre ce commentaire : « Certains ferment leur caméra alors que tu disais le “au” du “au revoir” et d’autres restent branchés en te regardant sans oser poser de questions. J’ai beau leur demander s’ils avaient des questions, la plupart du temps personne n’en avait, mais je sentais qu’il y avait des non-dits. » Ainsi, l’ouverture/la fermeture de la caméra semble avoir été une préoccupation importante chez les personnes enseignantes de notre échantillon. Est-il réaliste de penser que celles-ci pourraient convaincre leurs étudiants et étudiantes d’allumer leur caméra?

Discussion et conclusion

Revenons d’abord sur les statistiques descriptives. Nous avons vu que dans 23 % des réponses, les interactions en FAD ont été perçues comme étant aussi fréquentes et de qualité similaire aux interactions en présence. Ainsi, près du quart des réponses suggèrent que les interactions n’ont pas été affectées, ce qui nous apparait non négligeable considérant que nous étions en train de vivre une période de grands bouleversements. Nous avons également vu que dans 33 % des réponses, les interactions ont été perçues comme étant moins fréquentes et de moins bonne qualité. Il s’agit d’un pourcentage non négligeable, mais qui aurait pu être plus élevé considérant qu’au trimestre d’automne 2020, les personnes enseignantes de notre échantillon ont été obligées de donner leurs cours à distance sans grande préparation ou expérience pour la plupart. L’on se rappellera que dans l’étude de Messaoui et al. (2021), conduite dans un contexte similaire au nôtre, 67 % des personnes répondantes avaient affirmé avoir manqué d’interactions avec leurs étudiants et étudiantes. Il est difficile de comparer des études issues de contextes différents, mais nous pouvons assurément affirmer que les résultats de notre étude ne sont pas en contradiction avec ceux de ces autrices, puisque dans les deux cas, les interactions entre les personnes enseignantes et leurs étudiants et étudiantes ont été affectées.

À l’issue des tris croisés, nous avons identifié quelques liens potentiels entre les perceptions sur les interactions et certaines caractéristiques des personnes enseignantes de notre échantillon. Même si ces résultats sont en nombre insuffisant pour en vérifier la significativité statistique, ils soulèvent de nouvelles questions de recherche. Par exemple, le nombre d’années d’expérience en enseignement pourrait-il être positivement lié à la capacité de susciter des interactions de meilleure qualité et en plus grand nombre en contexte de FAD? Le cas échéant, quelles sont les caractéristiques des interactions créées par les personnes enseignantes plus expérimentées? Les mêmes questions nous viennent à l’esprit concernant le niveau déclaré de compétence technologique. Un niveau plus élevé de compétence technologique est-il généralement lié à de meilleures interactions et en nombre plus important? Si oui, en quoi la compétence technologique influence-t-elle les interactions?

Dans la deuxième partie de notre analyse, nous avons identifié 32 facteurs ayant affecté les interactions lors du passage obligé à la FAD, ce qui constitue un apport original de cette étude exploratoire. Si « ce qui fait véritablement la différence dans l’activité pédagogique semble échapper à toute définition et ne peut guère être décrit en termes de dispositif ou de technologie » (Meirieu, 1987, p. 85), nous croyons que les facteurs identifiés dans cette étude peuvent servir de repères pour les personnes enseignantes du supérieur. Quelles sont les conditions requises pour que des interactions se produisent entre la personne enseignante et ses étudiants et étudiantes en contexte de FAD? Quelles sont les caractéristiques d’une interaction de qualité en contexte de FAD? En enseignement synchrone par exemple, les possibilités d’interactions sont importantes et accélèrent le rythme des échanges et la nécessité d’être réactif (Verquin Savarieau et Daguet, 2020, p. 32). Comment, alors, maximiser les interactions à distance? Par ailleurs, cette étude exploratoire réalisée dans un contexte de crise réitère l’importance pour les personnes enseignantes de se former et, plus particulièrement, de se former à la gestion des interactions à distance. Une formation spécifique sur les interactions pourrait notamment fournir aux personnes enseignantes des conseils pour s’assurer de la compréhension des étudiants et étudiantes lorsque les caméras restent éteintes, comme arrêter le partage d’écran toutes les 15 minutes pour poser des questions ou demander aux étudiants et étudiantes de réagir dans le clavardage au fur et à mesure (voir notamment Rodet, 2003, pour l’utilisation du clavardage comme média de support à l’apprentissage). En outre, une formation spécifique sur les interactions pourrait offrir des arguments précis que les personnes enseignantes pourraient utiliser auprès des personnes étudiantes pour les convaincre d’allumer leur caméra. À l’instar de Verquin Savarieau et Daguet, nous croyons que « [l]’appropriation d’une pratique instrumentée nécessite du temps » (2020, p. 32) et que les interactions peuvent être améliorées en FAD si les personnes enseignantes suivent des formations spécifiques.

Les facteurs que nous avons relevés renforcent l’idée que la FAD, de même que les interactions humaines qui s’y produisent, est complexe. Par exemple, notre analyse révèle que malgré sa convivialité, l’outil de visioconférence utilisé par les personnes enseignantes de notre étude présente des limites sérieuses, comme l’ont d’ailleurs souligné Verquin Savarieau et Daguet (2020). Pour sa part, Lombard (2007) faisait remarquer que les technologies de l’information et de la communication peuvent s’interposer entre les personnes enseignantes et étudiantes, voire menacer leur relation. En FAD, la relation pédagogique est forcément médiatisée par un outil technologique (Jézégou, 2019), par exemple Zoom, et si l’on admet que certains outils suggèrent différentes modalités d’interactions, ils ne permettent en réalité aux personnes enseignantes de s’incarner que partiellement (Lombard, 2007). Autrement dit, les outils numériques ne se substituent pas à la relation pédagogique (Kozanitis, 2015). Nous abondons dans le même sens que Meirieu selon lequel « l’on convient que ces outils-là ont leur importance, qu’ils facilitent bien des choses et aplanissent parfois certaines difficultés, mais ils ne vivent et ne valent que par les personnes qui les habitent et parviennent à leur donner du sens » (Meirieu, 1987, p. 85). Meirieu fait ici référence aux technologies et aux outils accessibles en 1987, mais nous croyons que la citation s’applique au contexte de l’enseignement à distance d’urgence.

Les expériences documentées dans cet article renforcent le rôle essentiel de la présence en FAD (Messaoui et al., 2021). Même si « les technologies ne parviennent pas à refléter toute la subtilité de la communication humaine » (Androwkha et Jézégou, 2019, p. 26), on peut assurément s’en approcher. Il nous semble donc pertinent de réfléchir à des moyens d’encourager les personnes étudiantes à allumer leurs caméras, à se faire voir, à manifester leur (in)compréhension puisque ces comportements contribuent à créer de la proximité et donc de la présence (Jézégou, 2019). Considérant que les attentes des personnes étudiantes à l’égard de la FAD semblent être beaucoup plus élevées qu’avant la pandémie (Gagnon, 2021), nous recommandons aux établissements d’enseignement supérieur de prendre en compte ces nouvelles attentes lors de la planification de l’offre de cours. Par exemple, il faudrait s’assurer d’offrir aux personnes enseignantes les conditions nécessaires à la création d’interactions de qualité puisque la relation pédagogique en dépend. Cette suggestion peut se concrétiser par un nombre raisonnable de personnes étudiantes dans les cours, entre autres.

À la fin du questionnaire, nous avons demandé aux personnes enseignantes quelle serait leur préférence du mode d’enseignement, si la situation redevenait normale. Il s’agissait d’une question à choix multiples (enseigner complètement à distance, complètement en personne ou en mode hybride, c’est-à-dire partiellement en personne et partiellement à distance) et il était possible de fournir des précisions si cela s’avérait nécessaire. Peu ont dit préférer enseigner complètement à distance (9 % des réponses) et la préférence est assez partagée entre la modalité hybride (45 %) ou complètement en personne (46 %). Les raisons invoquées sont parfois liées à des aspects logistiques (diminution de déplacement et de frais, gain de temps, etc.) alors que des aspects pédagogiques (nécessité d’un contact humain, occasion de renouvellement de pratique, etc.) ont parfois fait pencher la balance d’un côté comme de l’autre. Ces statistiques suggèrent que la distance physique, partielle ou non, ne serait pas près de disparaitre dans notre université. Les spécificités des interactions à distance et en présence devront donc être prises en compte par les personnes enseignantes, ce qui confirme la nécessité d’une formation spécifique sur les interactions et sur la relation pédagogique.

À la lumière de cette étude exploratoire, nous pouvons affirmer que les interactions auxquelles se réfèrent les personnes enseignantes de notre échantillon peuvent se produire à l’oral ou à l’écrit, de manière synchrone ou de manière asynchrone, ce qui correspond à la description théorique présentée au début de cet article. Toutefois, l’attestation de ces caractéristiques dans les propos des personnes répondantes ne permet pas de saisir toute la complexité des interactions ni de comprendre leur rôle précis dans la relation pédagogique. Des recherches approfondies sont nécessaires et c’est pourquoi nous avons conduit neuf entretiens semi-dirigés avec des personnes enseignantes durant l’été 2021 afin de poursuivre l’exploration des caractéristiques des interactions. Dans un article ultérieur où ces entretiens seront analysés, nous aimerions déterminer avec plus de précision ce que les personnes enseignantes entendent par « interaction » et comprendre comment certaines d’entre elles ont réussi à créer et à vivre des interactions de bonne qualité et en nombre suffisant dans cette période où tout a basculé.