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The role of genius is not to complicate the simple, but to simplify the complicated.

Criss Jami 2015 : 94

1. Introduction

L’accès à l’information est un droit universel, essentiel pour le fonctionnement démocratique des sociétés et pour le bien-être de chaque individu. Les Nations unies promeuvent ce principe dans leur Convention relative aux droits des personnes handicapées[1] et encouragent les États partis à reconnaître et à éliminer les barrières à l’information et à la communication. Au cours des dernières années, plusieurs initiatives ont ainsi été lancées par la communauté internationale, comme la Journée internationale de l’accès universel à l’information[2], le Programme Information pour tous (PIPT)[3] ou encore, sur le plan européen, la publication en 2019 de la nouvelle « Directive du Parlement européen et du Conseil relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services »[4]. Rendre les informations accessibles implique d’en assurer l’accès au plus grand nombre, de promouvoir le contenu libre et l’interopérabilité, de favoriser le multilinguisme et de tenir compte des besoins spécifiques des personnes handicapées. Cet article s’inscrit dans ce cadre et propose l’utilisation de la traduction automatique (TA) pour la production de textes facilement compréhensibles.

Dans le contexte de la communication accessible, la langue facile (LF) est souvent considérée comme un véritable instrument d’inclusion (Maaß 2020). Concrètement, la langue facile à lire et à comprendre (FALC) permet la simplification des textes écrits (BFEH 2019) et combine des recommandations linguistiques, comme l’utilisation de mots fréquents et de phrases courtes, avec d’autres règles typographiques ou de mise en page, qui concernent par exemple le contraste de couleurs ou le recours à des images pour illustrer les idées présentes dans le texte. L’objectif de cette étude est de mesurer l’impact de différents systèmes de TA, offerts au grand public, sur la qualité et l’accessibilité linguistiques de textes cibles, rédigés suivant les règles du FALC en langue source[5]. Nos hypothèses de départ sont que, malgré la simplification du texte source et les progrès de la TA, celle-ci ne peut pas encore être utilisée pour produire des textes cibles accessibles en fonction de la paire de langues (de même famille ou de famille différente) et du domaine.

Dans la suite de cet article, nous décrirons d’abord le contexte de cette recherche, ainsi que les raisons qui nous ont conduits à mener une étude sur la performance de la TA, en relation avec le FALC (section 2). Nous définirons ensuite plus en détail les différentes formes de LF et passerons en revue les études déjà publiées sur la TA et l’accessibilité (section 3). Cet état de l’art sera suivi de la méthodologie (section 4) et des principaux résultats de l’étude (section 5). L’article se terminera par les conclusions tirées de notre étude, ses limites et quelques perspectives (section 6).

2. Contexte et motivation

2.1. Création des ressources en FALC : défis et opportunités

Aujourd’hui, malgré le potentiel de la langue FALC pour garantir une communication claire pour tous, très peu de ressources sont encore disponibles. En l’absence de chiffres précis, cette faible prévalence se reflète à différents niveaux. Par exemple, nous ne trouvons aucune indication sur l’utilisation de ressources FALC dans le rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne sur le handicap et la situation migratoire dans ses frontières, publié en 2016 (FRANET 2016). Similairement, Luce (2018), dans son rapport sur les réfugiés, mentionne ne pas avoir trouvé de brochures ou de documents FALC relatifs à la demande d’asile. En France, tous les adultes français avec un handicap qui ont un tuteur légal ont finalement obtenu le droit de vote en 2019. Pourtant, lors de l’élection du Parlement européen de 2019, seul un quart des partis politiques (9 sur 36) auraient fourni une version FALC de leur programme, alors qu’ils avaient été encouragés à le faire[6].

Plusieurs facteurs expliquent cette pénurie de ressources FALC. Tout d’abord, leur production implique de nombreuses étapes (analyse du public cible, sélection des informations les plus importantes, simplification, formatage, tests et finalement validation par le public cible), ce qui a un impact négatif sur le coût de production. En Suisse par exemple, un traducteur facture au minimum 4 francs suisses par 55 caractères (environ une ligne de 8-11 mots) pour des textes standard, 5,50 francs suisses pour les textes plus complexes et un tarif personnalisé pour les documents techniques[7]. La production de contenu FALC nécessite aussi des ressources humaines importantes. Plus de 60 personnes avec un handicap intellectuel auraient par exemple participé au projet « Orsay facile » pour la publication de deux guides FALC pour le musée d’art d’Orsay (Lamotte et Therwath 2016). Ce facteur est particulièrement important dans les pays multilingues comme la Suisse où l’accessibilité doit être garantie dans plusieurs langues officielles, tout en assurant le même contenu sémantique du message.

D’autres facteurs plus politiques interviennent aussi, comme la priorité accordée à l’accessibilité sur le plan gouvernemental ou le manque de formation et de sensibilisation aux normes d’accessibilité existantes. Les stratégies en faveur des personnes handicapées font en général référence aux normes d’accessibilité du Web et à la nécessité de fournir des informations dans des formats faciles à lire, mais ne prescrivent pas de mesures concrètes[8]. Elles contestent même parfois les initiatives en vigueur. Par exemple, un rapport systématique sur le thème de la langue FALC pour les personnes avec un handicap intellectuel, réalisé en 2013-2014, n’inclut pas les règles européennes publiées par Inclusion Europe (2009) et critique même les lignes directrices existantes. Il fait état d’un manque de transparence par rapport à la méthodologie utilisée pour les développer, de l’absence d’une hiérarchisation des règles en fonction de leur impact sur l’accessibilité et d’incohérences des règles (Sutherland et Isherwood 2016). Malgré ces défis, un nombre croissant d’agences de traduction et de groupes de représentation des personnes handicapées, comme l’UNAPEI[9] en France, se spécialisent dans la production et la traduction de publications FALC et travaillent ensemble à la création d’outils informatiques pour aider à rédiger des textes conformes aux règles de la LF. Le « FALC Assistant »[10], par exemple, est un outil en ligne qui facilite la création de textes accessibles, vérifie la conformité des phrases et montre des améliorations possibles. Si ce type d’outil pouvait être utilisé en combinaison avec des technologies de la traduction, comme la traduction automatique, il serait possible de diminuer le coût de la production de contenu FALC et de faire face à la pénurie des ressources.

2.2. La traduction automatique : progrès et nouvelles perspectives

La traduction automatique neuronale (TAN) a révolutionné le domaine de la TA ces dernières années. Comme la TA statistique, elle se fonde sur des corpus, mais ceux-ci sont exploités différemment grâce à l’apprentissage profond, qui permet la représentation du sens des mots et des phrases sous la forme d’une représentation numérique (appelée plongements, word embeddings) (Forcada 2017). Contrairement aux systèmes statistiques, son fonctionnement repose sur une première étape d’encodage, où le plongement de la phrase est extrait. Ensuite, l’information est décodée à partir de cette représentation sémantique (Koehn 2009/2017). Comme la traduction se fait ainsi à partir de la représentation du sens de la phrase, la TAN aurait tendance à produire des paraphrases (Neubig, Morishita et al. 2015). Le résultat brut de la TA contient aussi moins de fautes grammaticales (la traduction est plus fluide), mais peut produire plus d’erreurs sémantiques (Forcada 2017). Des études ont également montré que la TAN produit plus d’omissions et d’ajouts par rapport à la TA statistique (Castilho, Moorkens et al. 2017). Il s’avère donc intéressant de voir si la TAN préserve ou pas la qualité du texte FALC et la conformité aux règles FALC. La TAN pourrait en effet augmenter la complexité d’une phrase simple en ajoutant des mots superflus ou en choisissant un lexique ou des structures à éviter.

Peu d’études se sont cependant intéressées à la TA en relation avec la langue facile. Le projet « Simplifications des Langues Écrites (SIMPLES) » s’appuie sur un outil d’apprentissage profond pour la création du contenu FALC. Comme dans notre étude, cette initiative française part de l’hypothèse que, si la production de textes FALC pouvait être facilitée par la technologie, un plus grand nombre de documents FALC serait mis à la disposition des personnes qui en ont besoin (Chehab, Holken et al. 2019). Le projet propose de combiner un outil en ligne (« LIREC ») pour la production et l’évaluation des textes accessibles avec un outil de simplification automatique qui tient compte des règles de la langue FALC (ibid.). Cette deuxième composante est toujours en cours de développement en collaboration avec une équipe de SYSTRAN, un fournisseur de technologies de TA[11]. Il n’est cependant pas question ici de traduction interlinguistique.

Les articles qui font référence à des technologies de la traduction dans le contexte de la langue FALC s’intéressent plutôt à leur application pour la traduction intralinguistique. Kapler et al. (2013) se sont focalisés sur la création de corpus monolingues pour faciliter la TA statistique de l’allemand vers le Leichte Sprache. Pour Hansen-Schirra, Nitzke et al. (2020), la TAN pourrait traduire d’une langue standard vers la langue facile correspondante, si des corpus parallèles étaient disponibles. Les auteurs notent qu’il faudrait garder des segments vides (sans équivalent) dans le corpus d’entraînement, étant donné que les traductions en langue FALC comportent souvent des informations qui diffèrent du texte source. Le système pourrait ainsi apprendre que certains segments ne sont pas nécessaires dans le texte cible et ne pas les proposer lors de la traduction (ibid.). Il n’est cependant pas encore établi que ce type d’approche puisse être mis en place avec des corpus parallèles bilingues de manière à faciliter la TA interlinguistique des textes FALC et simplifier les étapes de traduction (en permettant directement une traduction de la langue source à la langue cible simplifiée, avec un passage direct de l’étape 3 à 4 sur la figure 1). Vu le peu de corpus bilingues existants avec ces caractéristiques et la difficulté d’en créer à cause de la pénurie de textes FALC, il nous semble donc utile d’explorer d’abord le potentiel des systèmes de TAN génériques, disponibles pour le grand public.

Figure 1

Étapes de création de textes FALC dans un contexte multilingue : exemple FR – EN

Étapes de création de textes FALC dans un contexte multilingue : exemple FR – EN

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3. État de l’art : Langue facile, accessibilité et traduction (automatique)

Dans cette section, nous approfondissons les caractéristiques de la langue FALC. Nous parlerons plus en détail des groupes de population cibles et des règles existantes (3.1) et nous expliquerons comment cette étude contribue à l’état de l’art sur la traduction automatique en lien avec le FALC (3.2).

3.1. La langue facile : définition, variantes et règles

Bien que la langue facile (LF, easy language en anglais) et la communication claire (CC, plain language en anglais) soient parfois utilisées de manière interchangeable dans le contexte de la communication accessible, il s’agit de variétés linguistiques différentes. D’après Maaß (2020, 3 :12-15), la LF serait la variété la plus compréhensible du langage naturel, tandis que la CC, moins stigmatisante, serait plus acceptée par la société (ibid.). La LF et la CC ciblent également des groupes différents. La LF est avant tout destinée aux personnes avec un handicap intellectuel, mais d’autres groupes peuvent aussi en bénéficier, comme les apprenants de langues étrangères (avec ou sans handicap), les personnes faiblement alphabétisées, les malentendants ou les personnes âgées (Hansen-Schirra et Maaß 2020). La CC aurait au contraire été pensée pour permettre l’accès au contenu spécialisé par le grand public (ibid.), mais certains pays la considèrent aussi comme un instrument de communication inclusive (Maaß 2020).

Plus concrètement, la langue facile à lire et à comprendre (FALC) est une variante de la LF, normalement utilisée dans les cas où l’information est lue, même si cette restriction peut sembler artificielle (du texte écrit disponible en ligne est parfois rendu accessible oralement, par exemple par la synthèse vocale ou des enregistrements audio (ibid. 52-56). Le FALC et la CC diffèrent aussi au niveau des consignes de rédaction ; les règles pour rendre les contenus FALC sont plus strictes, surtout au niveau du formatage du texte, qui a aussi une fonction sémantique. Par exemple, la CC ne propose pas de passer à la ligne après chaque idée (Matausch et Nietzio 2012).

Bien que le FALC ne figure généralement pas dans la littérature sur le thème du langage contrôlé (LC), les textes FALC pourraient être considérés comme une forme de LC (Kuhn 2014, 123), même si plusieurs auteurs ont mis en évidence le manque de preuves empiriques en ce qui concerne le processus de définition de ces restrictions linguistiques (Sutherland et Isherwood 2016). Chaque ensemble de règles est en effet propre à une seule langue ; par exemple, l’Easy to Read a des règles légèrement différentes de celles du FALC (qui diffère à son tour des autres variétés : Lectura fácil [espagnol], Leichte Sprache [allemand], Leitura fácil [portugais], Facile da leggere [italien], etc.). Le FALC impose aussi des restrictions pour ce qui est du lexique (il ne faut pas utiliser de mots difficiles, de mots étrangers, d’abréviations, ni de contractions), ainsi qu’en ce qui concerne la syntaxe (par exemple, il faut utiliser le présent, la voix active et éviter les pronoms ambigus). Aujourd’hui, la communauté académique consacre de plus en plus d’efforts au développement de règles d’accessibilité linguistique fondées sur des preuves scientifiques (cf. Chapitre 3.2 dans Maaß (2020) pour l’allemand). Cependant, les consignes pour la langue FALC proposées à une échelle européenne par Inclusion Europe (2009) dans 16 des 24 langues officielles de l’UE sont toujours considérées comme une référence valide dans plusieurs pays pour la création de contenus accessibles à tous. Dans le document, les règles sont organisées en fonction du type d’informations (écrites, électroniques, vidéo et audio), et il propose un ensemble de règles générales applicables à ces quatre groupes. Nous présenterons plus en détail les règles que nous avons sélectionnées pour cette étude dans la section 4.3.1.

3.2. Études sur l’accessibilité linguistique en lien avec les langages contrôlés

Différentes études ont été réalisées sur l’accessibilité linguistique et le langage contrôlé. Certains auteurs ont voulu déterminer quels facteurs ont un impact sur la lisibilité et la compréhension des textes par les personnes handicapées et d’autres populations cibles des langages contrôlés, par exemple les personnes avec une déficience intellectuelle légère (DIM) (Feng, Elhadad et al. 2009) ou les individus avec le Trouble du spectre de l’Autisme (TSA) (Yaneva et Evans 2015). D’autres études se sont concentrées sur la définition de standards pour les textes simplifiés accessibles (Štajner, Mitkov et Corpas Pastor 2015 ; Yaneva 2015), le développement d’outils d’évaluation automatique de la lisibilité (Feng, Elhadad et al. 2009), la création d’outils pour la simplification automatique de textes (SAT) (Štajner, Mitkov et Corpas Pastor 2015 ; Yaneva 2015) ou ont cherché à déterminer si les formules de lisibilité existantes sont capables ou non d’évaluer les résultats de la SAT (Štajner, Mitkov et Corpas Pastor 2015).

Plus concrètement, la lisibilité des informations médicales a fait l’objet de nombreuses recherches et a conduit à l’élaboration de plusieurs corpus simplifiés. Grabar et Cardon (2018) ont construit CLEAR, un corpus comparable de traductions intralinguistiques en français, composé d’entrées d’encyclopédies, de textes de littérature de jeunesse ou tirés de Wikipédia pour le grand public, de notices de médicaments destinées aux professionnels de la santé avec leurs équivalents pour le grand public, ainsi que des revues techniques et simplifiées de Cochrane. Même si ce corpus ne contient pas de textes avec le logo FALC, il témoigne toutefois de la nécessité de fournir des informations de santé simples à tous les non-professionnels, y compris un formulaire facile à lire pour les adultes handicapés. Le travail de Rossetti (2019) se concentre également sur le corpus de résumés de Cochrane en plain language, qu’elle a utilisé pour explorer la lisibilité et la compréhensibilité de textes simplifiés traduits automatiquement dans le domaine de la santé.

Felici et Griebel (2019) ont étudié dans quelle mesure les règles de la communication claire sont respectées dans les textes administratifs suisses dans trois des quatre langues officielles de la Suisse (allemand, français et italien), ainsi que le rôle que la traduction humaine joue dans la communication accessible dans les pays multilingues. Elles ont constaté que, bien que l’utilisation d’un langage clair soit considérée comme une priorité dans la communication institutionnelle, dans la pratique, les notices d’assurance suisses sont loin d’avoir une lisibilité optimale. Kaplan, Rodríguez Vázquez et al. (2019) se sont aussi centrées sur le contexte suisse et le domaine administratif, mais contrairement à Felici et Griebel (2019), elles ont mis l’accent sur le FALC et la TA. Dans leur étude exploratoire, elles ont analysé la qualité de la TA et la conformité aux règles d’Inclusion Europe (2009) pour la paire français-anglais, avec trois systèmes de TA : DeepL, Google Translate et Yandex. Notre travail fait suite à cette étude exploratoire, en suivant une méthodologie similaire (voir section 4), mais elle en élargit la portée, en ajoutant différentes paires de langues et d’autres domaines.

4. Méthodologie

4.1. Objectifs, questions de recherche et hypothèses

Cette étude vise à déterminer si la TA est un outil adapté pour produire des textes cibles accessibles à partir de textes sources en FALC. Notre hypothèse de départ était que la TA devrait préserver le niveau d’accessibilité linguistique du texte source et sa qualité dans la langue cible, une langue plus compréhensible pour l’homme devant l’être aussi pour la machine.

Pour ce faire, nous avons conçu une étude en deux étapes qui repose d’abord sur une analyse textuelle de la qualité des textes traduits automatiquement (étape I), puis sur une évaluation de la compréhensibilité par des utilisateurs cibles (étape II). Nous décrivons ici les résultats de la première étape, laquelle mesure l’impact de la TA sur deux variables dépendantes (VD) : la qualité de la traduction (VD1) et sa conformité aux règles FALC (VD2). Pour explorer différents scénarios de production textuelle, trois variables indépendantes (VI) ont été manipulées dans l’étude : le système de TA (VI1), le domaine (VI2) et la paire de langues (VI3). Sur la base de ces variables, nous avons défini les questions de recherche et les hypothèses suivantes :

  1. Question de recherche QR1. Quelle est la qualité finale de la TA de textes FALC ?

    1. H1.1 Le nombre d’erreurs trouvées dans le texte cible varie selon le système de TA.

    2. H1.2 Le type d’erreurs trouvées dans le texte cible varie selon le système de TA.

    3. H1.3 Le nombre d’erreurs trouvées dans le texte cible varie selon le domaine du texte.

    4. H1.4 Le type d’erreurs trouvées dans le texte cible varie selon le domaine du texte.

    5. H1.5 Le nombre d’erreurs trouvées dans le texte cible dépend de la paire de langues.

    6. H1.6 Le type d’erreurs de traduction dans le texte cible varie en fonction de la paire de langues.

  2. Question de recherche QR2. La TA préserve-t-elle l’application des règles FALC ?

    1. H2.1 Le nombre de violations aux règles FALC dans le texte cible varie selon le système de TA.

    2. H2.2 Le type de règles FALC violées dans le texte cible varie selon le système de TA.

    3. H2.3 Le nombre de violations aux règles FALC dans le texte cible varie selon le domaine du texte.

    4. H2.4 Le type de règles FALC violées dans le texte cible varie selon le domaine du texte.

    5. H2.5 Le nombre de violations des règles FALC dans le texte cible dépend de la paire de langues.

    6. H2.6 Le type de règles FALC violées dans le texte cible varie en fonction de la paire de langues.

4.2. Variables indépendantes et corpus d’évaluation

4.2.1. Systèmes de TA, domaines et langues sélectionnées pour l’étude

Trois systèmes de traduction automatique (TA) gratuits et en ligne, à base de corpus (VI1), ont été utilisés pour l’étude : DeepL, Google Translate et Yandex. Alors que les deux premiers s’inscrivent dans le paradigme de la traduction automatique neuronale (TAN), Yandex utilise toujours un modèle hybride, qui combine la traduction automatique statistique (TAS) et neuronale (TAN). Au moment de l’étude, les systèmes étaient tous compatibles avec les quatre paires de langues étudiées (VI2), l’anglais, l’allemand, le farsi et l’espagnol, sauf DeepL, qui ne proposait pas le farsi comme langue cible. Les traductions ont été produites le 4 août 2020. Contrairement aux moteurs de TA spécialisés, DeepL, Google Translate et Yandex sont tous considérés comme des systèmes génériques, d’où la décision de les tester avec des textes de trois domaines différents : politique, médical et administratif (VI3).

4.2.2. Corpus d’évaluation

Le corpus d’évaluation est composé de trois textes qui appartiennent chacun à un domaine différent (politique, médical et administratif), rédigés en FALC et classés comme tels par leurs éditeurs (voir annexe 1). Pour minimiser le risque de biais liés à des différences concernant l’application des règles, il a été décidé de sélectionner des textes qui (i) ont été rédigés en Suisse par des organismes publics officiels suisses ou des institutions reconnues sur le plan national et (ii) sont estampillés avec des logos FALC, approuvés par ces institutions. Nous présupposons donc, comme le démontrent certaines études, que les textes FALC produits par des humains et garantis par un logo sont conformes aux lignes directrices suivies (Nietzio, Scheer et al. 2012 ; Yaneva 2015).

Il faut souligner que les textes sélectionnés ne sont pas tous des adaptations de documents parallèles non FALC : le texte 1 est un document isolé qui, au moment de l’étude, n’existait que dans sa version FALC. Tous les textes étaient aussi disponibles en ligne au moment de la réalisation de l’étude, soit en format PDF, soit en format Web. Le tableau 1 récapitule les caractéristiques du corpus d’évaluation.

Tableau 1

Caractéristiques des corpus de l’étude

Caractéristiques des corpus de l’étude

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Ces différents textes ont ensuite été traduits dans les quatre langues cibles, soit en anglais (EN), en allemand (DE), en farsi (FA) et en espagnol (ES), avec les trois systèmes de TA mentionnés à la section 4.2.1. Nous avons ainsi obtenu un corpus d’évaluation de 7029 segments, avec 1917 segments en allemand, anglais et espagnol, ainsi que 1278 segments en farsi. Comme les textes pouvaient contenir des énumérations ou des titres, les segments ne contenaient pas nécessairement des phrases complètes. La règle de segmentation suivie dans notre étude était l’existence d’un point ou d’un retour à la ligne manuel[12].

4.3. Variables dépendantes

4.3.1. Règles FALC

Pour évaluer les résultats de la TA en matière d’accessibilité linguistique, nous avons pris comme référence les normes européennes visant à rendre l’information facile à lire et à comprendre (Inclusion Europe 2009) (voir section 3). Bien qu’il s’agisse de règles de base formulées pour toutes les langues communautaires et qui ne prennent pas en compte en profondeur les spécificités linguistiques, nous considérons qu’elles sont adéquates dans le cas de cette étude comparative et interlinguistique pour garantir une validité méthodologique. Comme notre objectif était de tester la performance linguistique de la TA sur des textes FALC, nous avons écarté certaines règles non pertinentes dans notre contexte. Ceci concerne notamment les règles relatives à la conception et au format des documents, par exemple celles liées au type et à la taille de la police, aux couleurs ou à l’utilisation des images. Nous avons finalement choisi 25 règles parmi les règles générales et celles propres aux informations écrites (voir tableau 2), qui sont toutes applicables à toutes les langues étudiées, à l’exception de la règle 14, propre à l’anglais, sur les contractions, ainsi que la règle 26, propre à l’allemand, qui concerne les noms composés. Ces derniers sont en effet bien connus pour être complexes du point de vue sémantique (« Kranken-haus » [hôpital] ou « Stimm-ausweis » [carte de vote]) et doivent être séparés par un trait d’union dans les textes FALC[13].

Tableau 2

Règles FALC (Inclusion Europe 2009) sélectionnées pour l’étude

Règles FALC (Inclusion Europe 2009) sélectionnées pour l’étude

* Les noms de catégories et les numéros de règles attribués aux règles choisies ont été définis pour cette étude et ne correspondent pas nécessairement à ceux utilisés par Inclusion Europe (2009).

** Cette règle ne s’applique pas dans le cas du français.

*** Règle pour l’allemand uniquement.

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4.3.2. Qualité de la traduction

Afin d’évaluer la qualité de la TA, nous avons utilisé la typologie d’erreur harmonisée « Dynamic Quality Framework/Multidimensional Quality Metrics (DQF-MQM) », adoptée par TAUS[14]. Notre choix s’est porté sur ce modèle, car outre sa popularité auprès des professionnels du secteur privé, il a également été largement utilisé dans le cadre d’études didactiques pour effectuer une analyse manuelle systématique des erreurs de TA (Lommel, Popovic et al. 2014 ; Klubička, Toral et al. 2017). La typologie, qui peut être adaptée en fonction des besoins de l’utilisateur, propose un vocabulaire de référence pour chaque type d’erreur, organisé autour de 8 catégories principales et 32 sous-catégories. Pour chaque erreur, il est possible d’attribuer quatre niveaux de sévérité différents : critique, majeur, mineur et neutre.

Compte tenu des spécificités du corpus, nous avons adapté la typologie d’erreurs et n’avons conservé que les types d’erreurs pertinents pour nos objectifs de recherche, notamment nous avons écarté la catégorie d’erreurs « Conception », relative au formatage des documents, à l’affichage du texte, au codage des caractères et à l’utilisation de balises. De même, nous avons supprimé les types d’erreurs qui concernent les mémoires de traduction et les bases de données terminologiques. La figure 2 résume la typologie d’erreurs adoptée, avec 7 catégories et 21 sous-catégories.

Figure 2

Typologie d’erreurs DQF-MQM retenue pour l’étude

Typologie d’erreurs DQF-MQM retenue pour l’étude

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4.4. Conception de l’évaluation et plan expérimental

Afin de mesurer l’impact de la TA sur les deux variables dépendantes définies, l’annotation s’est faite à deux niveaux (conformité aux règles FALC et qualité de la traduction). Celle-ci consistait à examiner individuellement chaque segment du corpus d’évaluation et à signaler tous les problèmes constatés par rapport à la typologie d’erreurs DQF-MQM (figure 2) et aux règles FALC (tableau 2). Les deux exercices d’annotation ont été menés à l’aide d’un classeur Microsoft Excel personnalisé.

Chaque annotation a été faite par deux annotateurs différents. Compte tenu de la nature de nos variables indépendantes et dépendantes, nous avons suivi un plan croisé, où VI1. Système de TA et VI3. Domaine ont été étudiés par une approche intragroupe et VI2. Langue par une approche intergroupe. Pour compenser ce que l’on appelle l’effet de séquence, qui pourrait conduire à des biais, l’ordre dans lequel les systèmes de TA choisis ont été évalués a été contrebalancé. En conséquence, chaque annotateur a évalué la sortie de la TA dans un ordre différent. Par exemple, dans le cas du Texte 1, l’annotateur A1 a commencé par Google (A), a continué avec DeepL (B) et a fini par Yandex (C), tandis que l’annotateur A2 a commencé par DeepL (A), a continué avec Yandex (B) et a fini par Google (C), comme l’illustre le tableau 3. De même, il faut noter que les noms des systèmes évalués n’ont pas été divulgués aux annotateurs, afin d’éviter tout biais dû à des préjugés individuels sur la performance générale de ces outils populaires.

Tableau 3

Plan expérimental

Plan expérimental

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Les annotateurs étaient libres de choisir par quelle analyse commencer (soit la conformité aux règles FALC, soit la qualité de la traduction). Ils ne disposaient pas d’un délai particulier pour finaliser l’annotation, mais il leur était conseillé de travailler sur un seul domaine par jour. Tous les annotateurs avaient des compétences en traduction et avaient déjà effectué des annotations d’erreurs de traduction dans le passé, soit dans un contexte universitaire, soit dans un contexte professionnel. Les deux annotateurs pour la langue anglaise avaient déjà de l’expérience avec les règles européennes pour les textes FALC et le modèle DQF-MQM en particulier. Néanmoins, avant l’expérience, ils ont tous été invités à se familiariser avec les règles FALC et les catégories d’erreurs de traduction choisies pour l’étude. En plus des documents complémentaires fournis, des phrases de test ont été incluses dans les feuilles de travail Microsoft Excel pour permettre aux annotateurs de se former eux-mêmes.

Étant donné le nombre élevé de segments à examiner par chaque annotateur, nous leur avons demandé de signaler les erreurs au niveau du segment au lieu d’identifier la portée exacte de l’erreur, comme dans Lommel, Popovic et al. (2014). Toutefois, à des fins de validité et dans la mesure du possible, il a été demandé aux annotateurs de proposer un texte cible corrigé. Plus d’une erreur pouvait être signalée par segment dans les deux exercices d’annotation. Les annotateurs n’ont pas été payés pour la tâche, mais ont reçu un bon-cadeau à la fin de l’étude.

5. Résultats principaux

Une fois l’évaluation terminée, les annotations des deux exercices ont été extraites pour examiner la performance de la TA. Notre ensemble de données comprenait 14 058 segments (1 917 segments x 2 annotateurs x 3 langues [DE, EN, ES] + 1 278 segments x 2 annotateurs pour le FA), qui ont été révisés selon deux critères différents : la qualité de la traduction et la conformité aux règles FALC.

Lors de l’analyse des données collectées, nous avons calculé le type et le nombre d’erreurs en fonction des différentes variables prises en considération, ainsi que l’accord entre les annotateurs, avec le test Kappa (K) de Cohen (Cohen 1960). Dans les statistiques relatives au nombre d’erreurs, nous avons comptabilisé tous les segments incorrects avec au moins une erreur selon au moins l’un des annotateurs ; dans le cas de l’analyse du type d’erreurs, nous avons comptabilisé les erreurs uniques relevées par les deux annotateurs, en éliminant les doublons. Par exemple, les trois segments du tableau 4 ont été pris en compte dans l’analyse générale, même si l’annotateur A1 n’avait pas signalé d’erreur pour le segment S010. De même, deux erreurs ont été comptabilisées dans le segment S012, tandis que seulement une erreur a été prise en compte dans le cas du segment S043.

Tableau 4

Exemple de segments annotés par rapport à la violation des règles de la langue FALC

Exemple de segments annotés par rapport à la violation des règles de la langue FALC

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Dans les sections suivantes, nous présentons les résultats principaux de l’étude, ce qui nous amènera à confirmer ou à rejeter nos hypothèses.

5.1. Qualité de la traduction

Cette section décrit les résultats relatifs à l’impact de la TA sur la qualité de traduction des textes FALC (VD1). La figure 3 montre l’accord entre les annotateurs de manière globale (par langue), par domaine et par système de TA. Pour le farsi, l’accord est fort (> 0,6) ou presque parfait (> 0,8). Pour les autres langues, l’accord est modéré (> 0,4), sauf pour la qualité de la traduction avec Google en espagnol et pour le domaine politique, avec un indice κ légèrement inférieur (0,398 et 0,380 respectivement). Ces résultats vont de pair avec ceux généralement présentés dans la littérature (Lommel, Popovic et al. 2014 ; Klubička, Toral et al. 2017).

Figure 3

Accord entre les annotateurs par rapport à la qualité de la traduction selon l’indice Kappa de Cohen

Accord entre les annotateurs par rapport à la qualité de la traduction selon l’indice Kappa de Cohen

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5.1.1. Résultats par système de TA (VI1)

Le tableau 5 montre qu’aucun des systèmes ne traduit correctement les textes FALC. Parmi les trois systèmes évalués, DeepL a été le plus performant avec 50,29 % de segments (N = 964) incorrects et une moyenne de 1,61 erreur par segment avec au moins une erreur (0,81 erreur par rapport au nombre total de segments évalués). DeepL est suivi de Google Translate, avec 53,17 % de segments incorrects avec au moins une erreur. Yandex est le moins performant, avec seulement 28,36 % de segments sans erreurs.

Tableau 5

Segments comportant des erreurs de traduction par système de TA

Segments comportant des erreurs de traduction par système de TA

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En ce qui concerne le type d’erreurs, la figure 4 montre les différences entre les systèmes neuronaux et le système hybride. Ce dernier totalise 39,54 % d’erreurs de fluidité, dont plus de la moitié correspondent à des fautes d’orthographe ou de ponctuation (voir figure 5). Dans les cas de DeepL et Google Translate, les problèmes de fluidité restent inférieurs à 30 %. La majorité des erreurs restantes appartiennent à deux autres catégories : précision et style.

Figure 4

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par système de TA

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par système de TA

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Figure 5

Distribution des erreurs de fluidité de Yandex

Distribution des erreurs de fluidité de Yandex

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5.1.2. Résultats par domaine (VI2)

D’après nos observations, le domaine administratif a causé le plus de problèmes pour la TA, avec 67,19 % de segments incorrects (N = 983) et une moyenne de 1,57 erreur par segment incorrect. Il est intéressant de noter que, même si le texte médical a obtenu le pourcentage le plus bas de segments problématiques, le ratio d’erreurs par segment incorrect est le plus élevé (1,59), comme le montre le tableau 6.

Tableau 6

Segments comportant des erreurs de traduction par domaine

Segments comportant des erreurs de traduction par domaine

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Quand nous observons la distribution des erreurs par catégorie dans le domaine administratif, nous constatons qu’une grande partie des problèmes est liée à la précision (41,66 %, N = 644) (voir figure 6). Concrètement, presque 70 % des erreurs sont des contresens (voir figure 7). Pour le domaine médical, les erreurs de fluidité sont les plus nombreuses (39,23 %, N = 794). Enfin, la plupart des erreurs dans le domaine politique se répartissent dans trois catégories principales : fluidité (31,23 %, N = 931), précision (31,10 %, N = 927) et style (26,37 %, N = 786).

Figure 6

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par domaine

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par domaine

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Figure 7

Distribution des erreurs de précision du domaine administratif

Distribution des erreurs de précision du domaine administratif

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5.1.3. Résultats par langue (VI3)

Finalement, en ce qui concerne la langue, l’étude montre que la qualité de la traduction est plus faible en espagnol que dans les autres langues, avec 79,19 % de segments problématiques, une moyenne de 1,80 erreur par segment incorrect et de 1,43 erreur par segment par rapport au nombre total de segments évalués. L’espagnol est suivi de l’allemand et du farsi (voir tableau 7). Avec 56,49 % de segments sans erreurs, l’anglais est la langue qui obtient les meilleurs résultats.

Tableau 7

Segments comportant des erreurs de traduction par langue

Segments comportant des erreurs de traduction par langue

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Quand les erreurs de traduction sont triées par catégorie, les différences entre les langues sont également notables, comme le montre la figure 8. Les problèmes de précision sont nombreux en farsi (65,10 %, N = 554), tandis qu’en espagnol, les erreurs de style sont les plus élevées (43,52 %, N = 1189). Les figures 9 et 10 illustrent comment ces erreurs sont distribuées par sous-catégorie. Nous pouvons observer que les problèmes de contresens sont les plus élevés en farsi (72,92 %) et que, en espagnol, les tournures non idiomatiques constituent 62,99 % des erreurs de style. En anglais, la plupart des erreurs sont distribuées en trois catégories principales : fluidité (34,89 %, N = 404), précision (28,84 %, N = 334) et style (30,83 %, N =357). En allemand, la plus grande partie des erreurs concerne la fluidité. Des exemples pour les paires de langues FR-ES et FR-EN sont montrés dans le tableau 8. L’une des erreurs fréquentes est causée par des différences d’ordre des mots entre le français et l’allemand au niveau de la position du verbe. Si une phrase est coupée à des fins d’accessibilité (en raison des sauts de ligne par exemple), le système de TA place en effet le verbe dans le segment où il se trouve dans le texte source, comme dans cet exemple :

« Nous choisissons également les personnes qui vont aller au
Conseil des États. »

„Wir wählen auch die Menschen, die gehen zu
Ständerat.“[15]

Figure 8

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par langue

Erreurs de traduction selon les catégories du modèle DQF-MQM par langue

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Figure 9

Erreurs de précision en farsi

Erreurs de précision en farsi

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Il est intéressant de noter que 12,76 % (N = 231) des erreurs dans cette langue appartiennent à la catégorie « Autre ». En regardant les données plus en détail, nous constatons qu’il s’agit surtout de problèmes de terminologie, liés au locale (DE-DE par rapport à DE-CH) et à la traduction des abréviations, pour lesquels il n’y avait pas de sous-catégorie d’erreurs spécifique sous « Terminologie ».

Figure 10

Erreurs de style en espagnol

Erreurs de style en espagnol

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Tableau 8

Sélection d’exemples d’erreurs de traduction (paires de langues FR-EN et FR-ES)

Sélection d’exemples d’erreurs de traduction (paires de langues FR-EN et FR-ES)

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5.2. Niveau d’accessibilité linguistique : violation des règles de la langue FALC

Cette section décrit les résultats relatifs à l’impact de la TA sur l’accessibilité linguistique du texte cible, c’est-à-dire sur sa conformité par rapport aux règles FALC (VD2). La figure 11 montre l’accord entre les annotateurs de manière globale (par langue), par domaine et par système de TA. Dans la plupart des cas, l’accord est faible (> 0,2), sauf pour l’allemand, où l’accord est souvent modéré (> 0,4). L’indice κ est très faible (entre 0,1 et 0,2) en anglais pour les traductions faites par Yandex et le domaine politique.

Figure 11

Accord entre les annotateurs par rapport à l’accessibilité linguistique selon l’indice Kappa de Cohen

Accord entre les annotateurs par rapport à l’accessibilité linguistique selon l’indice Kappa de Cohen

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5.2.1. Résultats par système de TA (VI1)

D’un point de vue statistique, la performance de la TA par rapport à la proportion de segments incorrects en ce qui concerne la conformité aux règles d’accessibilité linguistique est meilleure que dans le cas de l’analyse de la qualité de la traduction. Comme l’indique le tableau 9, Yandex est toujours le système le plus faible, avec 52,78 % de segments problématiques et une moyenne de 1,35 erreur par segment incorrect (0,71 erreur par rapport au nombre total de segments évalués). Il est intéressant de noter que, même si DeepL montre les meilleurs résultats, avec 56,13 % de segments a priori accessibles, le ratio d’erreurs par segment incorrect est légèrement supérieur à celui de Yandex (1,36).

Tableau 9

Segments comportant des erreurs d’accessibilité par système de TA

Segments comportant des erreurs d’accessibilité par système de TA

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En ce qui concerne le type de règles violées, les données collectées montrent à nouveau une différence notoire entre les systèmes de TAN et le système hybride Yandex (voir figure 12). En effet, les traductions produites par DeepL et Google Translate présentent plus de problèmes d’accessibilité sur le plan lexical (catégorie « Mots »), avec respectivement 56,93 % (N = 649) et 52,17 % (N = 770) de segments signalés. La figure 13 montre que, de manière générale, les règles les plus violées sont la règle R03, relative à l’utilisation de mots faciles à comprendre, et la R05, qui porte sur la cohérence terminologique. La règle R26 (propre à l’allemand) a également été fortement transgressée. Il est intéressant de noter que DeepL obtient de moins bons résultats avec cette règle-là, ainsi qu’avec la règle R14 (« N’utilisez pas de contractions »). Sur le plan de la phrase et de la structure, les résultats sont similaires dans les trois systèmes (voir figure 12).

Figure 12

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par le système de TA

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par le système de TA

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Figure 13

Erreurs d’accessibilité linguistique de la TA par règle (catégorie « Mots »)

Erreurs d’accessibilité linguistique de la TA par règle (catégorie « Mots »)

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5.2.2. Résultats par domaine (VI2)

Le texte administratif contient le plus grand nombre d’erreurs d’accessibilité (60,01 % des segments signalés, avec une moyenne de 1,53 erreur par segment). La performance de la TA par rapport à la violation des règles de la langue FALC dans les deux autres domaines (médical et politique) est assez similaire, comme le montre le tableau 10.

Tableau 10

Segments comportant des erreurs d’accessibilité par domaine

Segments comportant des erreurs d’accessibilité par domaine

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Les règles sous la section « Mots » sont les plus violées dans tous les domaines (voir figure 14). Le texte médical semble poser plus de problèmes sur le plan de la phrase (38,96 % des erreurs, N = 554) que les textes administratif et politique. Le texte politique contient plus de violations de règles sous la section « Général » (17,51 %, N = 292) que les autres domaines.

Figure 14

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par domaine

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par domaine

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5.2.3. Résultats par langue (VI3)

Environ la moitié des segments dans le texte cible n’était pas accessible. L’espagnol comptabilise le plus grand nombre de violations aux règles FALC (1312 erreurs, avec une moyenne de 1,33 erreur par segment signalé), suivi du farsi, de l’allemand et de l’anglais (voir tableau 11). L’allemand obtient le ratio d’erreurs par segment problématique le plus élevé (1,48).

Tableau 11

Segments comportant des erreurs d’accessibilité

Segments comportant des erreurs d’accessibilité

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Si on compare les résultats par langue, domaine et système, la plus grande variation est observée dans la distribution des erreurs d’accessibilité par langue. Comme le montre la figure 15, la catégorie de règles la plus transgressée en allemand et en anglais est celle de type « Mots », avec respectivement 78,80 % et 59,45 % des erreurs. Le tableau 12 inclut quelques exemples dans le cas de la paire FR-EN (les mots problématiques et les erreurs sont soulignés en gras). En allemand, c’est la règle R26 qui est la moins respectée (voir figure 16). Cette règle, qui prescrit de séparer les éléments lexicaux dans les substantifs composés, n’est en effet pas appliquée par les systèmes TA qui ne sont pas entraînés avec des corpus de textes en LF et qui proposent donc la composition « standard » (par exemple « Wahlcouvert » au lieu de « Wahl-couvert »).

Dans le cas de l’espagnol, la plupart des problèmes ont été signalés sur le plan de la phrase (65,55 %), notamment la règle R16 (« Parlez directement aux gens ») n’a pas été respectée 555 fois (44,05 % du total d’erreurs de « Phrase », voir figure 17). Des exemples sont montrés dans le tableau 12. Les problèmes au niveau de la phrase sont moins fréquents en farsi, où les erreurs identifiées sont de caractère général (43,33 %) ou liées aux mots (49,88 %).

Figure 15

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par langue

Erreurs d’accessibilité selon la catégorie de la règle violée par langue

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Figure 16

Erreurs en allemand par règle (catégorie « Mots »)

Erreurs en allemand par règle (catégorie « Mots »)

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Figure 17

Erreurs en espagnol par règle (catégorie « Phrase »)

Erreurs en espagnol par règle (catégorie « Phrase »)

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Tableau 12

Sélection d’exemples d’erreurs d’accessibilité linguistique (paires de langues FR-ES et FR-EN)

Sélection d’exemples d’erreurs d’accessibilité linguistique (paires de langues FR-ES et FR-EN)

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5.3. Discussion

Les données recueillies nous ont permis de valider nos hypothèses en ce qui concerne la qualité de la TA pour le FALC (QR1, voir section 4.1). Malgré les progrès récents, les systèmes génériques ne sont pas encore capables de traduire des textes FALC de manière entièrement automatique, indépendamment du système, de la langue et du domaine. En ce qui concerne les systèmes, DeepL s’est révélé l’outil le plus performant pour traduire les textes FALC, même si le type de fautes de traduction était très similaire à celui de Google Translate. De son côté, Yandex obtient le plus grand nombre d’erreurs de fluidité, ce qui rejoint les conclusions tirées par Kaplan, Rodríguez Vázquez et al. (2019) dans leur étude exploratoire, centrée sur le domaine administratif. Ces résultats confirment donc la supériorité souvent notée de DeepL (Macketanz, Ai et al. 2018), également pour la traduction de textes contrôlés (Marzouk et Hansen-Schirra 2019). Pour les langues, il est surprenant de constater que l’espagnol a causé le plus de problèmes, étant donné qu’il appartient à la même famille de langue que la langue source. Il est important de noter, cependant, que la plupart des erreurs signalées par les annotateurs concernaient le style. De même, notre étude montre que les systèmes de TA doivent encore faire des progrès sur le plan de la précision pour le farsi.

Dans cette étude, nous avons également validé nos hypothèses par rapport à l’accessibilité des textes produits et aux règles FALC violées (QR2, voir section 4.1). De manière générale, le niveau lexical reste celui qui présente le plus de problèmes, indépendamment du système, du domaine et des langues. Ceci a été également démontré par Kaplan, Rodríguez Vázquez et al. (2019) et peut s’expliquer par le fonctionnement des systèmes neuronaux, qui ont tendance à faire plus de fautes sémantiques (voir section 2.1). En allemand, le fait que les systèmes de TA contiennent en majorité des corpus en allemand d’Allemagne a aussi eu un impact significatif en ce qui a trait à l’accessibilité linguistique. Par exemple, la traduction de « enveloppe de vote » par « Abstimmungsumschlag » au lieu de « Wahlcouvert », utilisé dans le contexte suisse, représente une incohérence lexicale qui pourrait entraîner des problèmes de compréhension pour le public cible, et plus particulièrement pour ceux ayant besoin d’un lexique connu et utilisé dans la langue parlée. L’origine du texte pourrait aussi expliquer le fait que le domaine administratif a obtenu les moins bons résultats par rapport aux autres domaines.

Pour les deux évaluations, il est intéressant de noter que l’accord entre les annotateurs a été beaucoup plus élevé lors de la détection de problèmes de traduction que dans l’évaluation de conformité aux règles de la langue FALC, ce qui montre la subjectivité des règles, ainsi que la difficulté de l’évaluation de l’accessibilité linguistique. Dans le futur, il serait souhaitable d’étudier plus en détail l’accord par catégorie d’erreurs ou par règle violée, afin de définir des mécanismes pour clarifier les règles quand elles sont trop subjectives. Il serait par ailleurs intéressant de comparer les résultats de l’évaluation humaine avec les métriques automatiques couramment utilisées pour mesurer la simplification (indices de lisibilité, fréquences des mots, analyse syntaxique des textes, par exemple [Grabar 2019]), en tenant compte des limitations liées à ces formules quand elles sont utilisées dans le contexte de l’accessibilité linguistique (cf. Kaplan 2021 : 39-42).

De manière générale, ces deux évaluations montrent que la TA brute ne peut pas encore être utilisée pour produire des textes FALC. Les résultats obtenus par type de segments (sans erreurs, avec des erreurs d’accessibilité linguistique ou de qualité de traduction uniquement, ou avec les deux types d’erreurs ; voir figure 18) nous permettent de tirer les conclusions suivantes :

Segments sans erreurs : si l’on considère que seuls les segments sans erreurs sont utiles pour produire du contenu FALC, les meilleurs résultats sont obtenus par DeepL et pour le domaine médical et la langue anglaise, comme résumé dans le tableau 13 (voir pourcentages marqués en gras).

Segments avec des erreurs de qualité de traduction : il n’est sans doute pas utile de produire un texte cible conforme aux règles de la langue FALC s’il contient des problèmes de traduction, notamment de fidélité[16]. Si c’est le cas, il serait donc souhaitable de faire postéditer le texte en bilingue et le faire valider ensuite à nouveau par rapport aux bonnes pratiques d’accessibilité linguistique. Dans un scénario idéal, les deux tâches seraient accomplies dans une phase unique par des postéditeurs formés en FALC, afin d’optimiser le processus de production. Dans des cas exceptionnels, où la traduction automatique ne contient pas d’erreurs de fidélité, on pourrait envisager une postédition monolingue. Dans notre étude, ce type de segments (avec des erreurs de qualité de traduction uniquement) sont plus fréquents en anglais, avec DeepL et dans le domaine médical (voir tableau 13).

Segments avec des erreurs d’accessibilité linguistique : pour les segments de ce type, la TA pourrait aussi être utile. Il serait en effet possible de consulter un expert en FALC qui se focaliserait sur la dernière étape du processus (passage de l’étape 2 à 4, voir figure 1 dans la section 2.1). Selon nos observations, DeepL serait toujours l’outil le plus recommandable. Même si Yandex obtient le pourcentage le plus bas en ce qui concerne uniquement le nombre de segments avec des violations des règles du FALC, il faut tenir compte du pourcentage total (52,68 %). Les meilleurs résultats pour ce scénario sont obtenus pour l’anglais et le domaine politique, qui ont le pourcentage le plus faible de segments inaccessibles (voir tableau 13).

Ces pistes de réflexion, fondées sur la littérature et les observations de notre corpus annoté, seront complétées et affinées lors de la deuxième étape de notre étude (évaluation par des utilisateurs cibles, voir section 4.1). Dans le futur, il serait aussi intéressant de voir comment ajouter la postédition dans ce processus de création de contenu accessible.

Figure 18

Type de segments selon les erreurs trouvées

Type de segments selon les erreurs trouvées

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Tableau 13

Type de segments selon les erreurs trouvées (nombre et %)

Type de segments selon les erreurs trouvées (nombre et %)

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6. Conclusions

Dans cet article, nous avons présenté la première étude à notre connaissance sur la traduction automatique de textes faciles à lire, avec différents systèmes, domaines et paires de langues. Nous avons également créé un corpus multilingue, annoté selon les critères de qualité de la traduction et d’accessibilité linguistique, et qui pourrait être exploité par la communauté à de nouvelles fins de recherche[17].

Globalement, nous avons observé la même tendance dans les deux évaluations : comme dans d’autres études avec des textes en langue standard, DeepL offre les meilleurs résultats. Cependant, la qualité reste insuffisante pour pouvoir suggérer l’utilisation de la TA brute pour la production de textes FALC. Pour ce qui est des langues et des domaines, l’espagnol et les textes administratifs semblent poser le plus de défis du point de vue de la qualité de la traduction finale et de l’accessibilité linguistique.

Malgré les limites de notre étude, notamment en ce qui concerne le nombre d’annotateurs, la subjectivité de l’évaluation humaine de la qualité (Lommel, Popovic et al. 2014) et la taille de notre corpus, nous pensons qu’elle a apporté un éclairage intéressant sur les faiblesses de la TA à différents niveaux, qui pourrait être pris en compte lors de la création de corpus d’entraînement pour la TAN avec des textes accessibles. De même, nos résultats pourraient aider à définir des règles de pré- ou de postédition ciblant les problèmes d’accessibilité linguistique les plus récurrents. Enfin, notre étude peut constituer un point de départ pour des réflexions sur le processus de production de textes FALC, ainsi que les ressources nécessaires, notamment par rapport à la formation des postéditeurs.

Dans la suite, nous prévoyons de procéder à une analyse plus fine des résultats, en nous concentrant sur les règles de la langue FALC les plus problématiques, ainsi que sur la gravité des erreurs de traduction. Cela nous permettra de mieux corréler les données et d’examiner si certains problèmes de traduction entraînent des problèmes d’accessibilité particuliers. En outre, nous procéderons à une évaluation humaine auprès de groupes de population cibles afin d’évaluer la compréhensibilité de la TA brute par rapport à la TA postéditée.