Recensions

Manon Garcia, La conversation des sexes. Philosophie du consentement. Paris, Climats, 2021, 309 p.[Record]

  • Maxime Tremblay

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  • Maxime Tremblay
    Université de Sherbrooke

Le deuxième livre de Manon Garcia, La conversation des sexes, prolonge sur le terrain de la sexualité la question mise de l’avant dans On ne naît pas soumise, on le devient : « […] dans quelle mesure les femmes peuvent-elles consentir à leur propre soumission ? » Au lendemain de la vague de dénonciations #MeToo, cette situation paradoxale mérite notre attention. En effet, bien qu’il soit désormais au coeur des revendications pour la libération des femmes, le consentement n’est pourtant pas une notion neutre aux yeux de l’autrice. Quelles peuvent être sa valeur et sa fonction au sein d’une trajectoire patriarcale, demande-t-elle ? Loin d’être un plaidoyer en faveur du consentement, ce livre se propose au contraire de rendre compte de « ce qu’il y a de profondément difficile à penser [en lui] », à savoir que « le discours du consentement est à la fois une libération pour les femmes […] et un risque, tant ce vocabulaire peut être utilisé d’une manière qui dissimule les injustices de genre » (p. 27). Mentionnons toutefois que le portrait que voudrait brosser la philosophe française n’est pas complètement noir. S’il apparaîtra bientôt évident que le consentement n’est pas le « sésame » de l’égalité des sexes que plusieurs voient en lui, Garcia ne désenchante pas pour autant de « sa portée émancipatrice pour penser un avenir à la fois égalitaire, libéré et joyeux de l’éros » (p. 255). Instruire sur ses lacunes, renouer avec ses ambitions — voilà au demeurant un leitmotiv qui sied bien à l’esprit de cet essai. Au travers de sept chapitres, la Conversation des sexes offre un ample travail d’explicitation conceptuel, dont l’objectif principal consiste à restaurer l’intelligence d’un vocabulaire péchant de nos jours par excès de simplicité. Intransigeante, l’autrice soumet ainsi une notion du sens commun à la critique d’un logos à la fois féministe et philosophique — lesquels, sous sa plume, se fondent du reste parfaitement l’un dans l’autre. On l’aura deviné, un premier pavé consiste dès lors à offrir une promotion au consentement sexuel : celui-ci n’est pas qu’une simple notion, mais un authentique concept philosophique. Placée en préambule, la première étape consiste à démystifier la conception « simpliste et trompeuse » du consentement, entendu comme accord tributaire d’un pouvoir normatif de légitimation. D’abord, l’idée même du consentement comme « accord » attire le soupçon : accepter une interaction sexuelle par politesse, est-ce consentir ? Être d’accord par crainte d’être perçue comme une « allumeuse » à l’aune de scripts de genre sexistes, est-ce vraiment du consentement ? Mais encore, selon Garcia, la force justificatrice associée au consentement contribue également à occulter le caractère réel des violences sexuelles : en effet, il ne va pas de soi qu’un rapport sexuel consenti est forcément légitime. À titre d’exemple, l’autrice nomme le cas, pas si éloigné de nous, du devoir conjugal. En d’autres mots, l’aspect légal du consentement ne coïncide pas toujours avec sa prétention morale. La sortie de l’âge mythologique appelle expressément à un travail de reconstruction. L’autrice propose à cette fin un programme en trois temps : 1) définir ce qu’est le consentement, 2) analyser la façon dont il fonctionne d’une manière qui rende compte de l’influence des inégalités de genres sur son pouvoir de légitimation et 3) établir les conditions de son exercice valide. Un jalon important de ce parcours tiendra dès lors à l’élucidation du rôle du consentement sexuel en contexte de patriarcat. Ce programme se décline ensuite en deux problèmes, lesquels serviront de lignes de force à l’ouvrage. Le premier est juridique et consiste à discerner le viol du sexe permissible, …