Recensions

Robert H. Frank, Success and Luck. Good Fortune and the Myth of Meritocracy. Princeton, Princeton University Press, 2017 [2016], 208 p.[Record]

  • Yves Laberge

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  • Yves Laberge
    Université d’Ottawa

« Que le meilleur l’emporte ! » ; « Les élèves les plus doués recevront les notes les plus hautes ! » ; « Les candidats les plus méritants obtiendront des positions supérieures ! » (p. xiv) ; « Les universitaires les plus talentueux sont les plus cités ! » (p. 134)… Nous entendons tous les jours ces formules convenues, auxquelles beaucoup de décideurs veulent croire, mais qui seraient en fait basées sur le mythe — bien enraciné — de la méritocratie, qui sévit autant dans le monde de la recherche que dans les milieux universitaires, sans parler du secteur financier et dans les médias. Finaliste au prix du « Financial Times and McKinsey Business Book of the Year » en 2016, ce livre du professeur Robert Frank déboulonne habilement cette thèse pourtant séduisante et largement répandue voulant que chacun soit récompensé en fonction de son mérite, de ses capacités, de ses efforts. L’auteur est professeur émérite à l’Université Cornell et à l’École Johnson Graduate School, situées dans l’État de New York, c’est-à-dire au pays de l’individualisme triomphant, où la méritocratie se confond quotidiennement avec un autre mythe : celui du Rêve américain, qui perpétue la croyance voulant qu’aux États-Unis, chacun puisse réussir et s’élever jusqu’aux plus hautes sphères de la société, à condition de travailler ardemment et de toujours persévérer. Selon Robert Frank, le mythe de la méritocratie néglige un aspect déterminant mais souvent occulté : la chance de ceux et celles qui réussissent simplement en se trouvant « au bon endroit et au moment le plus opportun ». D’autres perspectives invoqueront, au lieu de la chance, un heureux hasard (« good fortune ») pour expliquer comment certaines personnes auraient réussi à gravir opportunément les échelons de l’ascenseur social ou hiérarchique. Ces deux facteurs apparaissent fort pertinemment dans le titre même de cet essai resté méconnu. Mais pourquoi alors les personnes qui sont arrivées à se hisser au sommet d’une hiérarchie n’invoquent-elles pas, elles aussi, le « facteur chance » pour expliquer leur succès ? Pour Robert Frank, le mythe — solidement ancré — de la méritocratie repose précisément sur la négation du facteur chance dans l’équation de la réussite : « […] en mettant l’emphase sur le talent et le travail acharné, les gens ayant réussi renforcent leur mérite et la prétention qu’ils ont de valoir un salaire très élevé » (p. 11). Ce mythe de la méritocratie dans une société néolibérale ne devrait toutefois pas se confondre avec le concept sociologique de statut social et la prise en compte des origines socio-économiques ; de plus, la méritocratie ignore les distinctions et discriminations en raison du genre ou de l’ethnicité. Rien à voir non plus avec le destin, la destinée ou l’hypothétique intervention de « la main de Dieu ». Et on laisse ici de côté les études sur la douance pour se concentrer uniquement sur celles et ceux qui parviennent à s’élever socialement (ou professionnellement) et qui s’en vantent. Néanmoins, Robert Frank n’ignore pas l’impact des inégalités sociales qui empêchent beaucoup d’enfants issus des familles à bas revenu d’accéder aux grandes universités américaines dont les frais de scolarité sont souvent très élevés (p. 88). Même à propos des choix vocationnels, de l’orientation scolaire et professionnelle, des inégalités persistent toujours, parfois subtilement, et l’auteur précisera ailleurs que chez les étudiants provenant de familles bien nanties, les mauvais choix et « les erreurs dans le cheminement ont beaucoup moins de conséquences » (p. xiv), dans la mesure où les étudiants qui auraient été mal orientés mais qui appartiennent à des milieux aisés auront toujours la possibilité de …

Appendices