Recensions

Jean-Pierre Cléro, dir., La figure de saint Paul dans les oeuvres de Bentham sur la religion. Bayonne, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie (coll. « Colloques & Essais », 124), 2021, 208 p.[Record]

  • Raphaël Mathieu Legault-Laberge

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  • Raphaël Mathieu Legault-Laberge
    Université de Sherbrooke

Cet ouvrage collectif, issu d’un colloque tenu en juin 2019 au Centre Bentham de l’École de droit de Sciences Po de Paris et portant sur les écrits de Bentham à propos de la religion, réunit les intérêts d’historiens, d’éditeurs, de psychanalystes, de philosophes et de politologues. Ils se sont penchés sur une facette particulière de l’oeuvre de Bentham, son Not Paul, but Jesus, un livre qu’il a publié en 1823. Guillaume Tusseau, dans l’avant-propos (intitulé « Du plaisir de parcourir le labyrinthe »), qualifie l’approche de Cléro, qui a dirigé ce travail interdisciplinaire, de « kaléidoscopique » (p. 8), les personnes y ayant contribué apportant diverses explications et illustrations à propos des « appareils conceptuels » (p. 9) développés par Bentham. Cléro lui-même signe les deux textes les plus importants de l’ouvrage : la préface et un chapitre, tous deux portant sur l’application de la théorie des fictions de Bentham dans Not Paul, but Jesus. Dans la préface, Cléro replace l’épistémologie de la théorie benthamienne dans ses origines et son époque, d’une part, tout en lui conférant une portée actuelle structurante d’un large champ des sciences humaines, d’autre part. Les idées benthamiennes à propos de saint Paul, qu’il considère comme un « faux apôtre », sont analysées à la lumière de la philosophie idéaliste allemande (Kant, Hegel) et de la philosophie anglaise (Locke, Hobbes, Hume, Hutcheson, A. Smith). Cléro ne voit pas chez Bentham une forme complète d’athéisme ni même une adversité envers le christianisme. Le versant subversif de sa philosophie avance toutefois une critique véhémente des collusions politico-religieuses maintenues par le « sinister interest » des élites qui dominent les populations en rusant d’insincérité, faisant passer leur bonheur avant les intérêts collectifs pourtant prioritaires. Cela dit, « Bentham […] vo[ya]it l’intérêt du religieux dans l’étude des sciences humaines » (p. 49), il n’a jamais proposé l’abolition de l’éducation religieuse, mais plutôt sa réforme suivant une interprétation spécifique du Nouveau Testament. Dans son autre texte de l’ouvrage (« Preuve et figures des fictions dans Non pas Paul mais Jésus. Nouvelles remarques sur Not Paul, but Jesus de Bentham »), Cléro poursuit sa réflexion à propos de la théorie des fictions et de son application dans Not Paul, but Jesus. Il risque une interprétation des écrits de Bentham qui fait de celui-ci un philosophe agnostique qui, loin d’être antireligieux tel que l’étaient certains philosophes des Lumières (tels Hume, Diderot, Helvétius ou D’Holbach), n’a pas abandonné son intérêt pour la religion, et encore moins son intérêt pour le christianisme. Bentham élabore avant tout une théorie du langage qui repose sur les rapports entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. Il ne remet pas en cause les événements fondateurs du christianisme (résurrection de Jésus, ascension) puisqu’il les considère sous la lunette du langage qui a prise sur le réel. Selon la théorie benthamienne des fictions, c’est dans l’effet du langage constitué en récit que se résolvent les dialectiques, qui sont trop souvent abordées comme des contradictions ontologiques alors qu’elles reposent plutôt sur un rapport d’endroit et d’envers d’une même problématique. Ainsi, le récit paulinien, même si Bentham le considère comme fictif, transcende l’expérience et l’action de Paul, aussi subversive qu’elle puisse l’être selon le point de vue de Bentham, conserve son effet sur le réel. L’ouvrage compte deux textes de psychanalystes françaises de l’école lacanienne. Le texte de Françoise Jandrot (« Jeremy Bentham, praticien d’enquête ») explore l’aspect sémantique de la théorie des fictions de Bentham dans Non pas Paul mais Jésus. Le « savoir de l’impur et de l’entremêlement » (p. 89), tel qu’élaboré par Bentham, propose …