Abstracts
Résumé
Pour Tillich, la révélation doit intimement impliquer le sujet pour pouvoir le conduire vers le salut, la santé. Or, la théologie tillichienne du symbole comme médium de révélation ne concerne que des symboles collectifs, alors que les symboles individuels, a priori, nous concernent plus. Nous montrons que la fonction transcendante jungienne, pour laquelle l’aspect personnel est essentiel, apporte des connaissances correspondant aux critères tillichiens pour la révélation. Ainsi, la conception jungienne des symboles, qui inclut un aspect individuel, permet de prolonger l’approche qu’a Tillich des symboles religieux collectifs comme médiums de révélation.
Abstract
For Tillich, revelation must intimately involve the subject in order to lead him towards salvation and health. However, the Tillichian theology of the symbol as a medium of revelation only concerns collective symbols, whereas individual symbols, a priori, concern us more. We show that the Jungian transcendent function, for which the personal aspect is essential, provides knowledge corresponding to the Tillichian criteria for revelation. Thus, the Jungian conception of symbols, which includes an individual aspect, makes it possible to extend Tillich’s approach to collective religious symbols as mediums of revelation.
Article body
Introduction
1. Santé, salut et révélation
La santé est l’une de nos préoccupations les plus essentielles, notamment en période de pandémie. Or, la santé est un thème sur lequel Tillich a écrit des textes importants en relation avec la question du salut. Nous considérons pour cet article la santé du point de vue psychique et spirituel, en lien avec le processus de sanctification tel que le présente Tillich dans sa Théologie systématique[1]. Dieu guide vers la santé, que Tillich associe au salut[2], à travers ce processus de réalisation de soi. La révélation permet de percevoir cet accompagnement divin. En effet, pour Tillich, le salut est indissociable de la révélation, ce qui implique « une compréhension existentielle de la révélation, autrement dit une participation créative et transformante de chaque croyant à la corrélation de révélation[3] ». La révélation, qui s’exprime par des symboles, ébranle le croyant et transforme le centre de la personnalité[4]. Tillich donne l’exemple de Paul qui doit « expérimenter une révolution de tout son être quand il reçoit la révélation qui fait de lui un chrétien et un apôtre[5] ». Tillich souligne l’intensification de l’implication intime du croyant pour sa préoccupation ultime lors du processus de sanctification : « Dans la situation présente, écrit-il, on cherche des symboles concrets de l’auto-transcendance[6] ».
2. Symboles concrets (individuels) d’auto-transcendance
Pour Tillich, le terme « concret » a deux sens. D’une part, « l’expérience du sacré au sein du fini[7] » : il s’agit du « fondement sacramentel » et donc « concret » de la religion. En un deuxième sens, cela se rapporte à la « concrétude d’une vie personnelle[8] ». En fait, ces deux sens du terme « concret », se rejoignent. En effet Tillich insiste sur le fait que nous ne pouvons avoir de relations personnelles qu’avec des images concrètes[9]. Tillich accorde ainsi beaucoup d’importance au fait d’être touché personnellement, existentiellement par les symboles concrets d’auto-transcendance, ce qui est nécessaire à la transformation intérieure, le salut. Or, son approche des symboles religieux est collective, il ne met pas en avant les symboles individuels[10]. À notre sens, la prise en compte de symboles individuels serait cohérente avec le point de vue général qu’a Tillich sur la révélation et permettrait de la prolonger[11]. En effet un symbole individuel, tel que ceux qui peuvent apparaître dans certains rêves, est susceptible de nous toucher plus intimement qu’un symbole collectif. Par exemple la « résurrection » de Jésus de Nazareth, a priori, nous concerne moins que la nôtre. Mais l’on aborde alors une question qui concerne aussi la psychologie, tout particulièrement la psychologie des rêves, des diverses « images intérieures » spontanées, intuitions et « visions » dans lesquelles peuvent apparaître des symboles individuels[12]. Nous choisissons pour notre étude la psychologie analytique et allons donc chercher à montrer que l’approche de Jung[13] peut donner un éclairage psychologique pertinent à la notion tillichienne de révélation. Cela devrait permettre de proposer un prolongement à la théologie tillichienne en considérant non seulement des symboles collectifs, mais aussi individuels, comme médiums de révélation. Pourquoi ce choix, plutôt que, par exemple, la psychanalyse freudienne, qui s’intéresse aussi aux « symboles » oniriques ?
3. Psychologie jungienne et la théologie tillichienne
Tout d’abord, contrairement à Freud pour qui le symbole n’est qu’un « signe », pour Jung et Tillich le symbole renvoie à un au-delà de lui-même, à un inconnu, impossible à exprimer rationnellement. De plus, le processus de réalisation de soi jungien, l’individuation, peut être considéré comme une approche psychologique pertinente du processus de sanctification tillichien. Enfin, la « fonction autorégulatrice » de la psyché qui conduit le sujet vers l’accomplissement de soi est une approche psychologique possible de la créativité dirigeante[14].
Mais ces considérations sont encore assez générales et, si elles nous apparaissent nécessaires, ne sont pas suffisantes, car la question de la révélation, chez Tillich, fait l’objet d’une théologie bien spécifique. Il convient donc de s’assurer que les critères que Tillich donne à la révélation correspondent à l’expression psychologique de la « révélation » au sens de Jung. Or, ce qui se rapproche le plus, chez Jung, de la notion théologique de révélation est sa notion de fonction transcendante. Nous allons donc chercher à montrer que la révélation apportée par la fonction transcendante peut être considérée comme une expression psychologique pertinente de la révélation tillichienne.
4. La fonction transcendante jungienne
La notion de « fonction transcendante » est au coeur de la psychologie analytique[15]. Comme le souligne Jung : « Sous le terme de “fonction transcendante”, il n’y a rien de mystérieux, de suprasensoriel ou de métaphysique à entendre, mais une fonction psychologique[16]. » Cette fonction correspond, pour un individu donné, à la mise en dialogue, la dialectique, la confrontation, la coopération entre le moi et l’inconscient : à leur union[17]. Dans ce dialogue le sujet doit se mêler activement aux processus inconscients : « […] il en devient détenteur en se laissant pénétrer et saisir par eux. Ainsi il [le sujet] relie en lui les plans conscients et les plans inconscients […]. Telle est la fonction transcendante qui naît de la conjonction de facteurs opposés[18] ». Cette « union » entre le moi du sujet et son inconscient peut-elle conduire à une forme de révélation « personnelle » dans le cadre de la théologie de la révélation tillichienne ?
Pour répondre à cette question, nous allons commencer par parcourir la première partie du texte de Tillich sur la révélation, « La raison et la recherche de la révélation[19] », en évaluant la fonction transcendante jungienne au regard des critères tillichiens de la révélation. Nous aborderons ensuite la deuxième partie du texte de Tillich, « La réalité de la révélation[20] ».
I. La raison et la recherche de la révélation
1. La structure de la raison
1.1. Raison ontologique et technique
Pour Tillich la raison se décline en deux niveaux. Dans le langage courant, le terme « raison » se rapporte à la raison qui, pour Tillich, est la plus superficielle. Il la nomme raison technique, elle est liée à la technologie et suppose une distance cognitive entre le sujet et l’objet. Tillich développe une critique de la raison technique lorsqu’elle prétend être la seule valable. Pour ce théologien, elle doit être nourrie par la raison ontologique (ou « classique »), le logos universel de l’être, sans quoi la raison technique déshumanise l’homme, le réduit à l’état d’objet. Ce logos correspond à la structure de l’intelligence[21] qui permet de « saisir et de transformer la réalité ».
1.2. Profondeur de la raison
Tillich distingue deux dimensions pour la raison ontologique. Son aspect subjectif correspond à la structure de l’esprit et son aspect objectif à celle de la réalité. Cette structure commune entre l’esprit du sujet connaissant et la réalité extérieure est la base de la connaissance. Il y a ainsi un lien structurel entre le sujet connaissant et l’objet.
La « profondeur de la raison » transcende les structures subjectives et objectives correspondant à la raison ontologique. Chaque expression rationnelle oriente vers « quelque chose » qui apparaît dans les structures de la raison. Il s’agit de l’« être même » qui se manifeste dans le logos de l’être ou encore de la « potentialité infinie de l’être et de la signification » qui « se déverse dans les structures rationnelles de l’esprit et de la réalité, en les concrétisant et en les transformant[22] ». La profondeur de la raison oriente ainsi dans le domaine cognitif vers la « vérité même », c’est-à-dire la puissance infinie de l’être[23]. Or, dans les conditions de l’existence, la profondeur de la raison est cachée dans la raison, bien qu’elle s’y manifeste. Ainsi le mythe et le culte expriment la profondeur de la raison sous une forme symbolique. Cette expression symbolique est la seule à laquelle nous ayons accès dans l’existence à cause de la « déchéance » de la raison essentielle, qui a « perdu l’unité immédiate avec sa propre profondeur ». C’est de la reconnaissance de la misère existentielle de la raison que jaillit la recherche de la révélation[24].
1.3. Autonomie, hétéronomie et théonomie
Dans l’existence, la structure de la raison rentre en conflit avec sa profondeur. Tillich qualifie d’autonome la raison qui « affirme sa structure sans considérer sa profondeur », elle correspond à la structure du logos de l’intelligence et de la réalité. La raison autonome est en lutte incessante contre l’hétéronomie[25]. L’hétéronomie « impose une loi » qui vient du « dehors » de la raison, mais ce « dehors » peut aussi être la profondeur de la raison elle-même, ce qui « rend tragique la lutte entre l’autonomie et l’hétéronomie[26] ». Ce conflit se situe ainsi à l’intérieur de la raison elle-même. Tillich passe alors rapidement sur la question de l’influence « désordonnée » sur soi de cette « profondeur de la raison ». Il écrit en effet : « Aussi longtemps que la raison demeure prérationnelle, et qu’on a une masse confuse d’impressions sensibles, une masse chaotique d’instincts, d’impulsions et de contraintes, aucune véritable hétéronomie n’apparaît[27] ».
La véritable hétéronomie apparaît quand une « autorité » prétend représenter la profondeur de la raison, elle est alors destructrice, car « elle refuse à la raison le droit à l’autonomie et en démolit du dehors les lois structurelles[28] ». L’hétéronomie rentre en conflit avec une autonomie vide et sans profondeur.
Tillich place dans la catégorie de l’hétéronomie à la fois l’orthodoxie protestante et les mouvements de « réveil » de la spiritualité du xixe siècle (revivalisme[29]). On comprend que l’orthodoxie, par son « dogmatisme » rentre dans cette catégorie. La question du revivalisme, quant à elle, semble moins claire. Nous pensons néanmoins que ce mouvement, héritier du piétisme et qui semble avoir des ressemblances avec les mouvements « charismatiques » ou « pentecôtistes » actuels, rentre dans le cadre de l’hétéronomie que nous avons relevée plus haut concernant la « masse confuse d’impressions sensibles ». Du point de vue psychique, ces mouvements valorisent l’« expérience intérieure » en tant que telle, parfois sans accorder suffisamment d’importance au long travail conscient de discernement et d’« appropriation » de ces « impulsions » inconscientes qui peuvent submerger le sujet.
La théonomie permet l’union de la raison autonome avec sa propre profondeur. Dieu est en effet à la fois logos, structure, et fondement, abysse : il unit en lui ces deux dimensions[30]. Mais dans les conditions de l’existence, la théonomie ne se réalise jamais complètement : les deux éléments de structure et d’abysse s’écartèlent. Pour Tillich, la recherche de cette réunion est celle de la révélation.
À ce stade de la présentation de la théologie tillichienne, interrogeons-nous sur sa cohérence, d’un point de vue psychologique, avec la fonction transcendante jungienne.
2. Structures de la raison et dialectique du moi et de l’inconscient
2.1. Autonomie et hétéronomie, deux risques dans la vie psychique
Le rapport entre le conscient et l’inconscient dans la fonction transcendante jungienne peut-il être considéré comme une dimension psychologique du lien, dans la théonomie, entre la structure de la raison (logos) et l’abysse divin ?
L’inconscient collectif, pour Jung, est associé au sacré au sens que Rudolf Otto donne à ce terme[31]. Nous pensons aussi que Tillich a une approche semblable de l’abysse, qu’il appelle « gouffre du divin », caractérisé par son « infinité », « ses ténèbres ». Cette profondeur divine, sans le logos, serait « chaos », « feu dévorant » et « démoniaque[32] ». Ces éléments de l’abysse divin correspondent bien à l’approche qu’a Jung de l’inconscient, comme source du « sacré[33] ». Pour ce qui concerne le conscient, notons que Tillich associe manifestement l’autonomie à la conscience[34]. Il apparaît donc que, du point de vue de l’expérience psychologique que l’on peut faire de l’abysse divin et du logos, l’approche qu’a Jung de l’inconscient et du conscient peut être a priori considérée comme une « modélisation » psychologique cohérente avec la théologie tillichienne. Nous considérons donc ce rapprochement entre inconscient et abysse, d’une part, et conscience et logos, d’autre part, pour la suite de notre discussion[35].
Jung évoque deux risques dans la vie psychique. Le premier, assez courant, est celui du sujet qui n’est pas à l’écoute de son inconscient et ne se fie qu’à sa conscience, ce type d’homme a émergé tardivement, cela a permis l’apparition de la science et de la technique[36]. S’il est confronté à des produits de son inconscient, il aura tendance à les esthétiser ou les intellectualiser, ce qui dans les deux cas ne lui permet pas d’en saisir le sens : il se soustrait ainsi de la « tâche nécessaire[37] ». On peut ainsi faire correspondre, du point de vue de la psychologie jungienne l’autonomie tillichienne, à ce type d’homme coupé des profondeurs de son inconscient.
Qu’en est-il alors, d’un point de vue psychique de l’hétéronomie ? Jung met en opposition au premier risque psychique que nous venons de présenter le type d’homme psychotique, qui se laisse subjuguer et « posséder » par les contenus de son inconscient[38]. Nous avons relevé plus haut le caractère prérationnel de la profondeur de la raison mentionné par Tillich : elle se caractérise par « une masse confuse d’impressions sensibles, une masse chaotique d’instincts, d’impulsions et de contraintes ». Si l’on rapproche ces éléments psychologiques des influences numineuses de l’inconscient, on peut associer l’hétéronomie tillichienne (comprise ici comme emprise de l’abysse divin sur l’homme sans la structure du logos) à la psychose au sens où Jung la comprend[39]. Nous comprenons, comme mentionné plus haut, certains excès émotionnels des mouvements dits « charismatiques » de ce point de vue : le critère d’« authenticité » du point de vue jungien ne s’identifie absolument pas à l’emprise d’un élément inconscient, tout « divin » et « authentique » qu’il puisse apparaître, mais à un travail d’appropriation consciente de ces expressions inconscientes.
Ainsi, nous considérons que l’approche qu’a Jung du conscient et de l’inconscient est un « modèle » pertinent pour rendre compte de la dimension psychologique de l’autonomie et de l’hétéronomie tillichiennes, du moins au premier sens que nous avons exploré jusqu’à présent, celui d’une dimension encore « prérationnelle » de la raison. Pour ce qui concerne l’hétéronomie au véritable sens que lui donne Tillich, du point de vue jungien, il s’agit d’une adhésion consciente à une autorité extérieure sans véritable participation existentielle intime. Cette hétéronomie est abondamment critiquée par Jung, pour qui la religion, pour pouvoir contribuer au processus d’individuation, doit être « éprouvée » existentiellement, au plus intime de son être[40].
2.2. Théonomie et fonction transcendante
Qu’en est-il alors de la théonomie ? Revenons, pour aborder cette question, à la notion de fonction transcendante pour Jung. L’union entre le conscient et l’inconscient permet de parvenir à une nouvelle attitude, une nouvelle personnalité, plus large : il s’agit du processus d’individuation que cette fonction permet de « diriger[41] ». Cette fonction transcendante s’opère tout particulièrement lorsqu’un sujet perçoit le sens des symboles reçus dans des rêves ou apparaissant « spontanément » dans le demi-sommeil ou immédiatement après l’éveil[42]. L’appréhension consciente du sens d’un symbole peut être vécue comme une « révélation » par le rêveur sur ce qu’il est — mais dont il n’avait pas encore conscience — ou sur ce qu’il est appelé à devenir[43]. Le travail analytique jungien est centré sur cette fonction transcendante : son enjeu est la prise de conscience d’éléments encore inconscients pour élargir le champ de conscience et donc de la personnalité. Cette expérience intérieure de « révélation » sur soi résulte de l’union entre le conscient et l’inconscient.
Le lien entre la fonction transcendante et la théonomie apparaît ainsi assez naturellement. En effet, la théonomie se rapporte à l’union de la raison autonome avec sa propre profondeur. Pour Tillich, la recherche de la réunion entre les éléments de structure et d’abysse est celle de la révélation. La fonction transcendante jungienne correspond à un « modèle » de la réunion entre le conscient et l’inconscient qui permet de rendre compte d’expériences de « révélation » sur soi. Nous pensons que cette notion psychologique est cohérente avec l’approche théologique qu’a Tillich de la révélation du point de vue de la théonomie. Mais Tillich développe aussi d’autres aspects de la raison, présentons maintenant la question de l’absolutisme et du relativisme.
2.3. Absolutisme et relativisme
Tillich associe dans la suite de son texte l’absolutisme à l’élément statique de la raison et le relativisme à son élément dynamique : ces deux éléments se déchirent dans les conditions de l’existence[44]. La révélation conduit à la réconciliation de ces pôles opposés de la raison[45].
Du point de vue jungien la dimension statique peut faire écho à la persona : le masque social avec lequel le moi peut s’identifier. Il s’agit d’une structure rigide et figée, liée aux déterminations familiales, religieuses et sociales[46]. La dimension dynamique, quant à elle, correspondrait à la révolte contre tout conformisme[47]. Le processus de maturation psychique résultant du processus d’individuation permet de concilier ces deux pôles.
En effet un homme « individué[48] », en se centrant sur un moi solide et authentique est capable de porter n’importe quel masque et d’y jouer le rôle attendu par la société, sans « se perdre », puisqu’il ne s’identifie pas à ses rôles. Il a ainsi tout à la fois une personnalité « absolue », toujours fidèle à elle-même, tout en ayant l’aptitude de comprendre et relativiser les différentes « personnalités » des uns et des autres puisqu’il les porte toutes en lui-même, tout en les « transcendant ». Il est l’ami de tous en adaptant sa persona à la personne rencontrée, en « jouant » le rôle attendu, tout en restant « authentique ». Ainsi la fonction transcendante peut apparaître comme une expression psychologique de la révélation permettant le dépassement de la déchirure entre absolutisme et relativisme.
Ensuite Tillich souligne la tension entre une autre dualité, celle du formalisme et de l’émotionalisme de la raison dans les conditions de l’existence. Il ne nous semble pas que les catégories fondamentales de la psychologie jungienne — nous pensons en particulier aux fonctions psychologiques — recoupent simplement la dualité présentée ici par Tillich si on la considère de manière générale. Nous nous limiterons donc, pour cette dualité, à la fonction cognitive de la raison ontologique, car comme l’indique Tillich, c’est elle qui est associée à la révélation[49].
3. Fonction cognitive de la raison ontologique et types psychologiques
3.1. Formalisme et émotionalisme
Le formalisme correspond à une distanciation entre le sujet et l’objet d’étude. Du point de vue jungien cela se rapporte au type « pensée extravertie ». Il s’agit d’intellectualisme « froid », typiquement celui associé à la technique ou à celui du naturaliste[50]. Du point de vue de la distanciation entre l’objet et le sujet, le pôle opposé à ce type est celui de la « pensée introvertie ». Pour ce type d’homme, la pensée est essentiellement subjective : elle se rapporte aux images intérieures. Si l’on cherche un rapprochement avec les catégories de Tillich, cette importance de l’élément subjectif peut se comprendre comme une union avec l’objet d’étude. En effet, si l’on considère les deux exemples donnés par Jung, Cuvier et Nietzsche[51], le naturaliste entretenait manifestement une distance plus grande avec son objet d’étude que le philosophe profondément impliqué existentiellement avec l’objet de sa réflexion. La révélation, pour Tillich, signifie la « réintégration de la raison divisée en elle-même[52] ». D’un point de vue psychique, la révélation apparaît comme le développement, pour une personnalité incomplète par une part opposée. Par exemple, une personne de type pensée extravertie doit enrichir ses capacités d’introversion[53].
3.2. Union dans la connaissance
Tillich développe alors la question de l’union dans la connaissance[54] et indique, en évoquant la « psychologie des profondeurs », que l’on a récemment donné au terme « introspection » la connotation de gnosis, « c’est-à-dire d’une connaissance qui transforme et guérit ». Il développe alors la question de la réunion avec certains moments du passé qui influencent encore le présent. Cette union cognitive grâce à l’introspection « produit une transformation tout aussi radicale et difficile que celle que présupposent et demandent Socrate et Paul[55] ». Du conflit entre l’union existentielle et la distanciation cognitive surgit la recherche de l’union entre ces deux pôles : c’est « la recherche pour la connaissance de la révélation[56] ».
Il nous apparaît que la fonction transcendante jungienne se rapporte tout à fait à cette recherche de révélation. En effet, dans le travail d’interprétation de ses rêves, le sujet est amené à réaliser que les figures d’ombre (la part sombre inconsciente), d’anima (le féminin inconscient pour un homme) et de Soi (l’archétype correspondant à son « moi authentique ») qu’il y rencontre sont effectivement des parts de sa propre psyché[57].
Par exemple, pour un homme, une femme rencontrée dans un rêve peut s’interpréter comme une image de sa part féminine inconsciente : il s’agit de son anima. Dans le « dialogue » avec elle, il y a donc remise en question de la structure sujet-objet d’un état de conscience ordinaire : cette femme n’est pas seulement un « objet » en relation avec le sujet, mais est aussi un élément du sujet lui-même. La fonction transcendante se rapporte ainsi à un dialogue intérieur entre le conscient et certains éléments en train de devenir conscients. Ces complexes autonomes cherchent à se faire connaître, à se révéler au sujet.
La prise de conscience[58] — dans le cadre de l’interprétation des rêves sur le plan du sujet — par le rêveur que ces éléments lui appartiennent est un élément essentiel du processus d’individuation. La fonction transcendante conduit ainsi à une connaissance de type gnosis, au sens qu’en donne Tillich dans le texte que nous avons cité plus haut[59]. Mais allons un peu plus loin.
3.3. Psychanalyse freudienne et jungienne
Dans le passage que nous venons d’évoquer concernant la réunion avec son passé, Tillich fait manifestement allusion à la psychanalyse freudienne. En effet cette psychanalyse est uniquement « réductrice » : elle cherche les causes des traumatismes dans le passé. Une fois ces causes connues, l’homme est laissé à son propre désir. Le travail analytique freudien n’oriente pas le sujet vers ce que pourrait être sa personnalité « accomplie ». En revanche le travail analytique dans une perspective jungienne inclut aussi une dimension prospective : certaines images oniriques donnent une indication sur les possibilités — à un moment donné — de développement du sujet. Dans ce contexte, combien plus encore l’union d’une part et la distanciation critique d’autre part (fonction transcendante) d’avec ces figures peuvent correspondre au pouvoir « unifiant, thérapeutique et transformant de la connaissance[60] ». Mais Tillich met en garde contre le danger de la possession quand il souligne l’importance de la dimension d’union dans la connaissance. Là encore on en retrouve un aspect psychologique chez Jung : le discernement mis en oeuvre dans le travail analytique jungien tient compte de cette possibilité[61].
Un peu plus loin Tillich souligne l’importance du facteur émotionnel dans la connaissance qui unit le sujet et l’objet : « […] on ne peut rien recevoir cognitivement sans émotion. Aucune union d’un sujet et d’un objet ne peut se produire sans participation émotionnelle[62]. » L’implication existentielle dans l’interprétation des rêves est plus importante chez Jung que chez Freud. En effet, dans la perspective freudienne la distanciation entre le rêveur et la forme manifeste de son rêve est essentielle puisque c’est l’activité intellectuelle qui permet de « décoder » le sens latent du signe onirique[63]. Pour Jung en revanche, la compréhension intellectuelle du symbole onirique, si elle est nécessaire, n’en demeure pas moins notoirement insuffisante[64] : le rêve agit dans la mesure où le sujet est existentiellement, émotionnellement touché. Tillich associe cette « connaissance par participation » à l’« intuition » : « […] l’approche cognitive de tout processus vital individuel est intuitive[65] ». Cette intuition n’est pas irrationnelle, cette composante de la connaissance associée à la fonction transcendante est un élément essentiel du travail analytique.
Ainsi, nous considérons que l’approche jungienne de la fonction transcendante qui unit la distanciation critique avec l’implication émotionnelle est cohérente avec l’union du formalisme et de l’émotionalisme propre à la révélation tillichienne[66].
4. Critères de vérification : test expérientiel et test expérimental
Tillich aborde ensuite la question des critères de vérité de la révélation. Les critères du rationalisme et de l’empirisme sont insuffisants, car ni l’un ni l’autre ne perçoivent l’élément de participation[67]. Tillich distingue le critère de vérité expérimental correspondant à l’attitude cognitive qui contrôle (distanciation) de celle qui reçoit (union). Pour cette dernière, beaucoup moins usuelle que la première qui est souveraine dans nos sociétés techniques, il utilise le terme de vérification « expérientielle ». Il la présente de la façon suivante : « La connaissance qui reçoit se vérifie par l’union créatrice de deux natures, celle du connaissant et celle du connu[68]. » Tillich souligne alors le risque inhérent de ce « test » expérientiel réalisé par le « processus vital » lui-même. Compte tenu de la nature de cette vérification, la connaissance qui reçoit est moins « sûre » que la connaissance qui contrôle. Mais cette dernière n’est pas ultimement porteuse de sens, au contraire de la connaissance réceptive. La qualité de certitude est antagoniste à celle du sens, sauf dans la révélation, car cette dernière prétend « donner une vérité qui à la fois est certaine et relève d’une préoccupation ultime, une vérité qui inclut et accepte le risque et l’incertitude de tout acte de connaissance porteur de sens, mais qui le transcende en l’acceptant[69] ». Peut-on considérer que la fonction transcendante est susceptible d’intégrer des éléments de vérification à la fois expérientielle et expérimentale, tout en étant porteuse de préoccupation ultime ? Commençons par le test expérientiel.
4.1. Vérification expérientielle
Nous avons souligné que l’approche de la « connaissance qui reçoit » qu’a Tillich rentre en résonance avec la fonction transcendante. Une véritable gnosis de certains éléments inconscients symbolisés par les figures d’ombre, d’anima ou de Soi, permet d’accéder à une personnalité plus large : il s’agit, pour Jung, du sens de la vie. L’union entre le sujet et l’objet est donc, au sens fort du terme, « créatrice », puisqu’elle contribue à l’émergence de la « véritable » personnalité depuis les profondeurs de l’inconscient[70]. Ce processus très long et difficile est, tout au long de la vie, semé de doutes et de risques. Quitter une persona relativement bien constituée lors de la première partie de sa vie pour tenter de laisser advenir ensuite son « moi authentique », plus fragile que la persona — du moins au début du processus — est toujours non seulement douloureux, mais aussi risqué[71]. Il s’agit en fait de tâtonnements, mais sur un chemin qui, globalement, monte toujours vers une personnalité peut être plus fragile, mais plus authentique. C’est cette évolution positive qui, en reprenant la notion de « vérification expérientielle » de Tillich, permet d’établir la validité de cet « acte de connaissance », pour reprendre un terme tillichien. Mais la perception du caractère « authentique » ou non de sa propre personnalité est très subjective. Par exemple un sujet qui n’a pas commencé à prendre conscience de sa persona se trouve tout à fait authentique dans son « rôle ». En effet, il ne peut pas avoir conscience qu’il ne s’agit que d’un rôle, puisqu’il n’a pas encore de « point de référence », sinon, parfois de manière très fugace, de son « moi authentique ». Cette vérité de son être est donc tout à la fois incertaine et porteuse de sens, comme préoccupation ultime, en considérant le cheminement vers son « moi authentique » comme le sens de sa vie, ce qui est le but de la fonction transcendante. Nous pensons là qu’il s’agit, du point de vue jungien, d’un test expérientiel cohérent avec l’approche qu’en a Tillich[72]. Mais qu’en est-il alors de la dimension de « vérification » qui, pour Tillich, doit aussi être présente dans la révélation ?
4.2. Vérification expérimentale
En premier lieu, on peut évoquer que Jung a élaboré un discours cohérent et logique de sa psychologie phénoménologique de la fonction transcendante : de ce point de vue, il y a des éléments de « connaissance qui contrôle ». Il s’agit de « sciences humaines » et non pas de « sciences techniques », mais il n’en demeure pas moins que l’on peut y associer des tests de vérification. Cependant, ce premier élément de notre réflexion reste très général, valable pour tous les modèles psychologiques élaborés sérieusement. Abordons maintenant plus spécifiquement la question de la connaissance apportée pour le sujet qui met en oeuvre cette fonction transcendante.
Nous pensons que la dimension de vérification « expérimentale » est également présente dans la psychologie jungienne. En effet Jung accorde beaucoup d’importance à la qualité des relations aux autres : cette dimension peut apporter de l’objectivité à la perception que l’on a de soi. Jung donne l’exemple d’un moi qui s’approprie la puissance du Soi, alors qu’elle ne lui appartient pas, ce qu’il nomme « inflation ». Les personnes qui en sont victimes ont une perception grandiose de ce qu’ils sont. Jung écrit à ce propos :
Mais l’on est obligé de constater quelque chose : c’est que cette nouvelle dignité du Moi n’est pas ressentie par les autres et n’agit pas sur l’entourage ! Pourquoi cela ? Il y aurait pourtant là un critère valable ! Ce surcroît d’importance et de signification dont le Moi se sent imbu demeure sans efficacité sur l’entourage parce qu’il ne s’agit que d’un trompe-l’oeil[73].
Ce critère, à notre sens, peut être généralisé : l’entourage a souvent la possibilité de distinguer, chez un proche, trois attitudes. Une première, correspondant à la « connaissance qui reçoit », qui relève d’une « possession » par un complexe inconscient (« Je ne sais pas ce qui lui a pris aujourd’hui », « il a le diable au corps », « ça le reprend une fois de plus », « il est hors de lui », « il agit comme un possédé[74] »…). Une deuxième attitude, qui relève de la « connaissance qui contrôle », associée à des éléments purement conscients, superficiels, comme l’attitude liée à un intellectualisme distant et froid sans implication existentielle. Et enfin une troisième attitude, celle que l’on peut qualifier d’authentique, résultant de la fonction transcendante. Dans une perspective jungienne, l’accompagnement du sujet par un analyste dans le processus d’individuation peut contribuer à la « vérification » du processus de maturation. Par exemple, un analyste peut repérer des éléments d’aliénation dont l’analysé n’a pas conscience, se percevant lui-même tout à fait « authentique ». Il s’agit en quelque sorte de « déconstruction » — bien douloureuse — de l’identification à la persona du sujet. Cet accompagnement aide le sujet à faire preuve de distanciation et d’analyse vis-à-vis de ce qu’il peut ressentir : s’agit-il de l’emprise de l’un de ses complexes, dont la marque est souvent celle d’un vent impétueux, ou de la perception de son moi authentique, caractérisé souvent par un souffle plus léger et ténu[75] ?
Nous avons ainsi relevé pour la fonction transcendante jungienne des éléments possibles de vérification expérientielle et expérimentale.
Nous considérons que la connaissance apportée par la fonction transcendante remplit l’ensemble des critères tillichiens de la révélation que nous avons présentés pour l’instant, correspondant au « I. La raison et la recherche de révélation ». Mais Tillich poursuit son étude avec le « II. La réalité de la révélation[76] ».
II. La réalité de la révélation
1. La préoccupation ultime : une question tout à la fois personnelle et générale
1.1. Aspect personnel
Tillich précise ce qu’est la révélation : elle est la manifestation de ce qui nous préoccupe ultimement, c’est-à-dire le fondement de notre être. Les événements révélateurs « secouent, transforment, exigent, signifient d’une manière ultime[77] ». Cette connaissance n’est révélation que si elle saisit le groupe ou l’individu qui est dans une « situation concrète de préoccupation[78] ». Cet aspect très personnel de la révélation sur lequel Tillich insiste[79] correspond tout à fait à ce que nous avons souligné dans la partie précédente et, de notre point de vue, justifie la pertinence de l’apport jungien qui donne beaucoup d’importance aux symboles religieux individuels et non pas seulement collectifs. En effet chaque personne a une histoire propre : même si, du point de vue tillichien, la préoccupation ultime est pour tous celle de son être, de la réalisation de soi, elle prend concrètement une forme singulière pour chacun. En conséquence, la révélation qui y « répond » est aussi propre à chaque personne. Les « connaissances » qu’apporte la fonction transcendante sont en effet personnelles puisqu’elles concernent le cheminement vers le moi authentique, la singularité de chacun. S’engager dans ce processus d’individuation ne relève pas d’un choix, mais d’une nécessité intérieure liée à une souffrance, à un mal-être, parfois un état dépressif. Ce chemin vers soi est alors une question vitale, elle n’est pas optionnelle : il s’agit bien de la préoccupation ultime au sens de Tillich, celle de cheminer vers son être nouveau. On peut cependant s’interroger sur la trop grande subjectivité des symboles oniriques.
1.2. Aspect général
Approfondissons maintenant la question du « mystère de l’être », la préoccupation ultime, vers lequel, pour Tillich, la révélation oriente. Il s’agit aussi d’une question assez « générale », car, par-delà la situation concrète de chacun, c’est bien, dans la perspective tillichienne, vers le même fondement de l’être commun à tous que toutes les révélations personnelles orientent. Peut-on considérer que la fonction transcendante oriente vers ce fondement de l’être, cette puissance d’être ? Ou se limite-t-elle à des considérations personnelles ? Même si le processus de maturation est global, du point de vue jungien, on peut en distinguer deux dimensions.
Une première dimension correspond à la prise de conscience d’éléments de la personnalité que le sujet a dû laisser « au bord du chemin » lors de son évolution, du fait des impératifs moraux liés à l’environnement familial, religieux et social : cela relève de l’inconscient personnel. Ces éléments forment ce que Jung appelle l’ombre[80]. Il existe une deuxième dimension dans le processus d’individuation, celle qui nous intéresse ici : le sujet doit se laisser relier à des éléments archétypaux, tels que l’anima et le Soi : cela relève de l’inconscient collectif [81].
Nous pouvons nous référer à l’analyse que Tillich a lui-même faite des liens entre les expressions individuelles, subjectives et donc variables d’une personne à l’autre, des symboles jungiens et la structure collective commune à toutes ces expressions. Il rapproche en effet ces éléments de structures des archétypes, qui ont une certaine objectivité, au mystère de l’être[82]. Or, l’archétype du Soi oriente vers ce que, du point de vue tillichien, on pourrait nommer le mystère de l’être. Ainsi, en s’appuyant sur l’articulation entre les structures collectives des archétypes, notamment celui du Soi, et leurs expressions personnelles, nous pouvons considérer que la fonction transcendante, tout en orientant vers une connaissance très personnelle de soi, oriente aussi, de façon plus générale, vers le mystère de l’être.
2. Extase et miracle
Tillich formalise l’aspect très personnel de la révélation en la présentant comme corrélation entre un pôle subjectif et un pôle objectif. Le pôle subjectif se rapporte au sujet en état de préoccupation ultime et le pôle objectif, au mystère qui saisit le sujet « au travers de quelque chose qui s’est produit[83] ». Si rien ne se produit objectivement ou si le sujet n’est pas en état de préoccupation ultime, il n’y a pas de révélation : la corrélation est nécessaire. Tillich appelle « extase » la manifestation subjective et « miracle » la manifestation objective du mystère. Abordons ces deux pôles successivement.
2.1. Extase
Tillich cherche à débarrasser le terme « extase » de connotations déformées. Il définit l’extase de la façon suivante[84] :
L’« extase » (se tenir hors de soi-même) indique un état de la conscience[85] qui est extraordinaire en ce sens que la conscience transcende sa situation ordinaire. L’« extase » n’est pas une négation de la raison, mais un état de la conscience dans lequel la raison va au-delà d’elle-même, c’est-à-dire au-delà de la structure sujet-objet. […] La « raison extatique » reste la raison ; elle ne reçoit rien d’irrationnel ou d’antirationnel — ce qu’elle ne pourrait faire sans se détruire elle-même — mais elle transcende la situation fondamentale de la rationalité finie, la structure sujet-objet.
S’il n’y a pas d’extase pour le sujet qui reçoit la révélation, il y a, au mieux, « une information que l’on peut tester scientifiquement ». Tillich approfondit alors la question de cette préoccupation ultime : elle est liée au choc ontologique, à la menace du non-être[86]. C’est en méditant sur notre condition de mortel, en prenant conscience que l’on est un « être pour la mort », que l’on peut percevoir notre préoccupation ultime, celle d’être. C’est par la prise de conscience que l’on ne se suffit pas à nous-même que l’on peut réaliser que c’est Dieu qui nous porte. Tillich évoque le « Je suis perdu » d’Es 6,5 : c’est la « nuit sombre de l’âme » qui permet l’expérience du fondement[87].
Tillich évoque ensuite la possession démoniaque[88] qui, contrairement à l’état extatique, détruit la structure rationnelle de la raison. Dans cet état, l’esprit se trouve « au pouvoir de certains de ses éléments qui aspirent à devenir tout l’esprit, qui s’emparent du centre du soi rationnel et le détruisent[89] ».
Du point de vue cognitif l’extase s’appelle souvent l’inspiration[90]. Mais il ne faut pas confondre cette extase cognitive avec une conception de l’inspiration correspondant à un corps étranger de connaissance qui viendrait envahir la raison, comme pour la « dictée mécanique » ou, d’une manière plus élaborée, une « communication d’information ». Ces doctrines de l’inspiration sont démoniaques, car elles détruisent la raison. De plus, pour Tillich, l’extase n’introduit « aucune connaissance de relation ou d’objets finis », mais ouvre une dimension de connaissance « en relation avec notre préoccupation ultime et le mystère de l’être[91] ». L’extase, du point de vue cognitif, se rapporte ainsi à un champ moins large que l’inspiration au sens plus courant du terme[92].
2.2. Miracle
Tillich évoque ensuite le deuxième pôle, objectif, de la corrélation qui permet la révélation : il s’agit d’un événement qui « vient de l’extérieur et d’une altérité[93] » : c’est le miracle. De la même manière que l’extase ne peut pas provenir d’une possession par un « corps étranger », un miracle ne peut pas s’interpréter « en termes de rupture supranaturelle dans les processus naturels[94] ». Tillich présente son approche du miracle :
Un miracle authentique est, avant tout, un événement étonnant, inhabituel, qui ébranle, sans contredire la structure rationnelle de la réalité. En second lieu, c’est un événement qui oriente vers le mystère de l’être, et qui exprime la relation qu’il a avec nous d’une façon bien déterminée. En troisième lieu c’est une occurrence que l’on reçoit comme un événement-signe dans une expérience extatique[95].
Ces trois éléments doivent être réunis pour qu’il y ait véritablement miracle : l’événement objectif doit être reçu dans la foi, dans un état de réception extatique. La révélation « oriente vers le mystère de l’existence et vers notre préoccupation ultime[96] », elle est d’un autre domaine que la science et l’histoire : il ne peut y avoir de conflits entre ces différentes dimensions de la réalité.
Évaluons maintenant la fonction transcendante comme fonction de révélation au regard de l’approche qu’a Tillich de l’extase et du miracle.
3. Extase et fonction transcendante
Compte tenu de la tension intérieure, vitale, liée à la préoccupation ultime que nous avons soulignée plus haut, l’état extatique est favorisé lors de l’interprétation des rêves dans une approche jungienne. De plus, l’interprétation d’un rêve ne peut pas se limiter à un travail intellectuel dans la distanciation, mais doit comporter des éléments d’émotion et d’intuition, comme nous l’avons souligné plus haut. Or pour saisir le sens d’un rêve, du point de vue jungien, on peut s’aider d’intuitions perçues dans un état « extatique », par exemple lors d’une méditation ou d’un état de demi-sommeil, un état hypnagogique ou hypnopompique[97]. Les prises de conscience qui en résultent peuvent faire l’effet d’une véritable révélation et susciter une émotion « quasi religieuse[98] ». En prenant conscience de corrélations entre son vécu le plus intime, à peine pressenti, « préconscient[99] », avec le contenu de son rêve, le sujet peut en effet alors faire l’expérience du « sacré » au sens qu’en donne Otto. À notre sens, la disposition de l’esprit que requiert l’interprétation des rêves dans une perspective jungienne correspond assez bien à l’extase tillichienne.
Tillich souligne bien la différence entre l’extase et la possession démoniaque. Du point de vue jungien, il s’agit d’états de « possession » psychotique par l’un de ses complexes[100]. Nous avons déjà abordé cette question plus haut à propos de l’hétéronomie. Par exemple, dans le cas d’une « possession » par une anima négative, un homme peut « diviniser » une femme « fatale » et y succomber[101]. Ce n’est assurément pas là un cheminement vers le « moi authentique » : il ne s’agit pas de révélation au sens où Tillich le comprend[102].
4. Miracle et synchronicité
Qu’en est-il maintenant du pôle objectif ? La question du « miracle » concernant la réalité matérielle elle-même rentre-t-elle aussi dans l’approche qu’a Jung de la fonction transcendante ? Il s’agit en fait d’une notion qu’il a développée assez tardivement, celle de la synchronicité[103]. Pour Jung, certains événements objectifs peuvent guider dans le processus d’individuation. Considérons le célèbre exemple du scarabée doré que Jung utilise pour expliquer la synchronicité. Une patiente était enfermée dans un rationalisme étroit qui l’empêchait de prendre en considération ses rêves : sa thérapie était bloquée. Or, lors d’une séance avec Jung, au moment même où elle lui parlait d’un rêve où elle recevait en cadeau un scarabée d’or, un scarabéidé qui « offrait avec un scarabée d’or l’analogie la plus proche qu’il soit possible de trouver sous nos latitudes[104] » pénétra dans le cabinet. Or, comme le précise Jung, « un tel cas ne s’était jamais présenté à moi auparavant ni ne s’est présenté par la suite ; de même ce rêve qu’avait eu ma patiente est resté unique en son genre dans le champ de mon expérience ». Le « choc » causé par la coïncidence a permis à la patiente de changer d’attitude et s’engager dans un chemin de transformation.
Analysons maintenant cet événement au regard des critères que donne Tillich pour caractériser un miracle « authentique ».
Tout d’abord l’événement est « étonnant, inhabituel, [il] ébranle, sans contredire la structure rationnelle de la réalité ». En effet, il est inhabituel qu’un tel scarabée cherche à rentrer dans une pièce obscure, mais cela ne détruit pas « les structures rationnelles » de la réalité. Il s’agit d’un événement improbable, mais il n’est pas impossible. Ce qui est très improbable, c’est la coïncidence entre cet événement objectif et l’état d’esprit de la patiente, due au rêve. Ensuite, cet événement « oriente vers le mystère de l’être, et […] exprime la relation qu’il a avec nous d’une façon bien déterminée ». En effet, cet événement a permis de débloquer une situation thérapeutique et orienter la patiente de Jung vers ce que l’on pourrait qualifier, en utilisant les termes de Tillich, de « mystère de son être ». Il ne s’agit pas d’une révélation sur le mystère de l’être « en général », mais, de façon « bien déterminée », vers la relation qu’il a spécifiquement avec cette patiente[105]. Enfin, il s’agit d’un événement-signe manifestement reçu dans une expérience assez extatique, du moins tel que peut le laisser penser le texte de Jung. En effet, la coïncidence a manifestement rempli de « stupeur » la patiente et a induit un changement déterminant d’attitude vis-à-vis de ses rêves.
La synchronicité peut ainsi se comprendre comme révélation dans la perspective tillichienne.
Tout au long de notre parcours, nous avons implicitement considéré le rêve comme un « vecteur du mystère de l’être[106] ». Cherchons maintenant à discuter plus précisément cette proposition en nous appuyant sur la suite du texte de Tillich consacré à la question des médiums de révélations, de la « parole interne » et des sacrements. Notre question a été formulée de façon plus générale par Jung lui-même dans un texte qu’il a écrit juste avant sa disparition[107] :
En dépit du fait que l’Église catholique admette les somnia a Deo missa (les songes envoyés par Dieu), la plupart de ses penseurs ne font aucun effort sérieux pour comprendre les rêves. Je doute qu’il y ait un traité ou une doctrine dans lesquels un protestant se soit abaissé jusqu’à admettre que la vox Dei pût être perçue dans un rêve. Pourtant, si un théologien croit vraiment en Dieu, à quel titre peut-il affirmer que Dieu est incapable de s’exprimer par le truchement des rêves ?
5. Le rêve vecteur du « mystère de l’être » ?
Nous avons abordé le pôle objectif en considérant la réalité matérielle, dans la ligne de Tillich. Mais nous pouvons aussi considérer les rêves comme des éléments « objectifs », dans la mesure où nous n’avons pas de prise consciente sur leur contenu[108]. Les rêves présentent en effet un caractère objectif au sens où ils proviennent d’une altérité, ils sont en effet produits par l’inconscient. Peut-on alors les considérer comme « miracle » authentique ? L’application de ces critères est assez délicate, car pour Tillich le pôle objectif se rapporte à la réalité matérielle, et non pas à un fait psychique inconscient. Quoi qu’il en soit, le fait de rêver pendant le sommeil ne contredit pas « les structures rationnelles de la réalité » et peut parfois profondément ébranler le rêveur, ce qui est conforme au miracle tillichien. Mais interrogeons-nous plutôt sur la possibilité de reconnaître les rêves comme « médiums de révélation », « sacrement » et « parole interne ».
5.1. Médium de révélation
Pour Tillich, « il n’existe pas de réalité, de chose ou d’événement qui ne puisse devenir un vecteur du mystère de l’être, et entrer dans une corrélation révélatrice ». Compte tenu que « chaque personne, chaque chose participe à l’être même », « tout type de réalité, ou presque, est devenu quelque part médium de révélation[109] ». Ainsi, il n’y a pas de raison d’exclure les rêves des médiums de révélation a priori, puisqu’il s’agit d’une réalité psychique. Rappelons de plus que pour Tillich la structure rationnelle (logos) est commune entre l’esprit de l’homme et la réalité extérieure. Ainsi nous considérons que si les symboles peuvent être tirés du monde de la réalité extérieur, ils peuvent a priori l’être aussi des productions psychiques, des images oniriques en particulier. De surcroît, les rêves sont, dans l’Antiquité et en particulier dans la Bible, des médiums de révélations[110]. De plus, les rêves, notamment quand ils concernent des archétypes, mettent particulièrement en scène des éléments cosmiques et des événements humains fondamentaux. Or, Tillich souligne que les médiums de révélation sont souvent pris dans la nature ou dans des événements naturels comme l’alternance du jour et de la nuit, la naissance et la mort[111]. Pour Tillich, toute personne « transparente au fondement de l’être[112] » peut être médium de révélation. Qu’en est-il alors des personnes apparaissant dans les rêves ? Du point de vue jungien, elles figurent des fragments autonomes de la personnalité encore inconsciente du rêveur appelés à être « intégrés » dans la personnalité à advenir du sujet. Cette personnalité se développe lors du processus de sanctification et devient ainsi de plus en plus transparente au fondement de l’être. Ainsi, certaines images oniriques de personnes, tout particulièrement celles se rapportant au Soi, qui figure la personnalité à advenir, peuvent être considérées comme médiums de révélation.
Pourtant Tillich évoque peu les symboles oniriques : les mots « rêves », « songe » ou encore « onirique » sont absents de sa théologie systématique[113]. Cependant Tillich évoque l’importance des rêves comme lieu d’« expérience du numineux[114] ». La religion vit par de telles expériences, elle s’efforce ainsi de « maintenir la communion avec cette profondeur divine de notre existence. Mais parce que cette profondeur reste “inaccessible” à toute conceptualisation objectivante, elle devra être exprimée en symboles[115] ».
5.2. Sacrement
Ces médiums de révélation correspondent aussi au sacrement au sens tillichien. Pour Tillich, le sacré est universellement présent et se manifeste dans « tout ce qui est fini et particulier, ou bien spécialement dans tel ou tel objet fini : il s’agit de la base sacramentelle de toutes les religions[116] ». La notion sacramentelle est abordée en plusieurs endroits de sa théologie systématique[117], il précise ce que peut être un objet sacramentel : « Toute expérience révélatrice transforme le médium de révélation en un objet sacramentel, que ce soit un objet naturel, un être humain, un événement historique, ou un texte sacré[118]. »
Tillich, quand il aborde la question du sacrement, prend soin de rappeler le danger qu’encourt tout élément sacramentel, celui d’être idolâtré pour lui-même[119]. En effet le médium de révélation n’est que symbole renvoyant à l’ultime : il n’a pas de signification inconditionnelle en tant que tel. Dans l’idolâtrie, l’« objet sacramentel est sacré en lui-même, alors qu’en tant que porteur du sacré il renvoie au-delà de ce qu’il est[120] ».
Qu’en est-il de l’interprétation des rêves dans la perspective jungienne du point de vue du danger de l’idolâtrie ? Jung a une approche des symboles tout à fait semblable à celle de Tillich : le symbole onirique oriente vers un inconnu, un inconnaissable, qui ne doit pas être considéré littéralement[121]. Une image n’a pas de valeur en tant que telle, sa valeur est ce vers quoi elle peut orienter pour le rêveur lui-même. L’attitude requise pour « interpréter » correctement l’image onirique est qualifiée par Jung de « symbolique[122] ». L’idolâtrie, d’un point de vue jungien, consisterait à sacraliser la représentation d’une image, par exemple un mandala (expression symbolique du Soi, de la personnalité à advenir), de lui vouer un « culte », par exemple en croyant à une force « magique » qui pourrait émaner « mécaniquement », « magiquement » de l’image en dehors d’un état extatique de corrélation révélatrice. Une telle attitude supprimerait, ou à tout le moins atténuerait, la possibilité de transformation personnelle à laquelle l’image peut contribuer si le rêveur la contemple réellement pour ce qu’elle est : un symbole, un sacrement, un médium de révélation qui oriente vers la personnalité à advenir.
5.3. Parole interne
On peut également se référer à la discussion de Tillich sur la « parole interne[123] ». La « parole », selon Tillich, inclut non seulement l’ouïe, mais aussi la vue, la sensation et le goût : Dieu peut se manifester de façon non vocale[124]. La parole a deux fonctions : l’expression et la dénotation. La puissance de la dénotation « réside dans sa capacité à saisir et à communiquer des significations générales ». La puissance de l’expression, quant à elle, « réside dans sa capacité à dévoiler et à communiquer des états personnels[125] ». Les paroles scientifiques et techniques se rapprochent du pôle de la dénotation, une équation mathématique par exemple a un caractère « presque exclusivement dénotatif ». Plus les paroles sont « poétiques et communautaires », plus elles se rapprochent du pôle de l’expression. La parole peut être médium de révélation quand « elle oriente au-delà de son sens ordinaire aussi bien en ce qui concerne la dénotation que l’expression[126] ». Par exemple, des paroles absurdes très expressives ne sont pas révélatrices, tout comme ne peut l’être une parole logique, traitant pourtant d’un sujet qui relève du religieux, si elle n’est pas suffisamment expressive. En effet une parole purement dénotative ne possède « ni le “son” ni la “voix” qui font sentir l’ultime[127] ». L’expérience d’une image ou d’une voix entendue dans un rêve qui, tout en étant cohérente et structurée est suffisamment expressive pour « ébranler », « saisir » le rêveur, est assez courante. La plupart du temps, le rêveur sort de cet état de « stupéfaction » dès les premières minutes qui suivent le réveil et l’oublie. Mais la mise en oeuvre de la fonction transcendante jungienne consiste précisément à considérer avec la plus grande attention ce rêve et le saisissement qu’il a provoqué[128]. Ce « travail » peut conduire à transformer le rêveur. De notre point de vue, certains rêves se rapportent bien à ce Tillich écrit à propos de la « Parole de Dieu » : « À travers le langage ordinaire, quelque chose resplendit (plus précisément, retentit), à savoir l’automanifestation de la profondeur de l’être et de la signification[129]. »
Conclusion
Pour montrer que la fonction transcendante peut être considérée comme une fonction de révélation, nous avons d’abord proposé que la fonction transcendante est une expression psychologique possible de la théonomie. En effet, il y a une ressemblance entre la dialectique du conscient et de l’inconscient, chez Jung, et la dialectique entre la raison autonome et sa profondeur, chez Tillich. Cette dialectique de réunion entre la créature et son fondement créateur correspond au processus de révélation tillichien. Nous avons ensuite montré que le type de connaissance apporté par la fonction transcendante s’apparente à la connaissance de la révélation, y compris pour ce qui concerne les critères de vérification. Cette connaissance guide dans le processus de maturation psychique et spirituelle. Ce processus, que Tillich nomme « sanctification », et Jung, « individuation », est la finalité de la révélation, de la fonction transcendante. Il s’agit de cheminer vers son « moi authentique », ce qui correspond à la préoccupation ultime tillichienne, celle de l’être nouveau. La révélation a ainsi une dimension très personnelle, propre à chaque sujet, mais elle oriente aussi vers le mystère de l’être, fondement commun à tous. Nous avons alors souligné que, comme l’a remarqué Tillich lui-même, la notion d’archétype jungien se prête bien à cette dualité. En effet l’archétype a une structure collective, mais il s’exprime de façon très personnelle pour chacun.
Pour Tillich, on ne peut recevoir la révélation qu’en état d’extase, nous avons alors fait le lien avec l’approche jungienne d’interprétation des rêves. La réalité matérielle peut aussi contribuer au processus de révélation : la conception tillichienne du miracle ressemble à la notion de synchronicité jungienne. Enfin, nous avons proposé que les rêves, avec les symboles individuels qu’ils portent, peuvent être considérés comme médiums de révélation.
Nous avons ainsi montré que la fonction transcendante jungienne est une expression psychologique possible de la révélation telle que Tillich la conçoit. L’approche qu’a Tillich des symboles collectifs comme médiums de révélation pourrait donc être prolongée par des symboles plus individuels, tels que ceux qui apparaissent dans certains rêves, dans la mesure où ils contribuent aussi au processus de révélation.
Nous n’avons parcouru que la première partie du texte de Tillich sur la révélation, celle qui concerne la révélation dépendante, c’est-à-dire celle qui est liée à la révélation originelle, « finale », à savoir la manifestation de Jésus en tant que Christ[130]. Or, le lien entre l’expérience que chacun peut faire de l’Être Nouveau et celle qu’en a fait Jésus de Nazareth dans la théologie tillichienne nous semble délicat et susceptible d’être précisé du point de vue psychologique. Le prolongement de la théologie de Tillich présenté dans cette étude pourrait être complété en considérant l’approche jungienne de la figure du Christ et du Soi, l’archétype central se rapportant à notre être « authentique » en devenir.
Appendices
Notes
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[1]
Paul Tillich, Théologie systématique IV, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 255-257. Pour la suite, nous ferons référence à cet ouvrage avec la mention TS IV.
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[2]
Id., Théologie systématique I, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2000, p. 201 : « Le mot salut vient de salvus, qui signifie “être bien portant”, “être en bonne santé”. On peut l’appliquer à tout acte qui guérit, que ce soit de la maladie, de la possession démonique, de la servitude du péché, ou du pouvoir ultime de la mort. Le salut, en ce sens, exactement comme la révélation, prend place dans le temps et l’histoire. » Pour la suite, nous ferons référence à cet ouvrage avec la mention TS I.
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[3]
Ibid., p. 201.
-
[4]
Ibid., p. 202.
-
[5]
Ibid., p. 200. Dans l’approche « auto-transcendante » de la révélation de Tillich, Dieu, la puissance d’être, n’est pas « au-dessus du monde », pas plus qu’il ne s’identifie au monde, mais il en constitue la profondeur, le fondement.
-
[6]
TS IV, p. 256-257.
-
[7]
Id., « La signification de l’histoire des religions pour le théologien systématique », dans Le christianisme et la rencontre des religions, Genève, Labor et Fides, 2015, p. 457.
-
[8]
TS I, p. 34-35.
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[9]
Id., Théologie systématique II, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2003, p. 77-79, 92, 99. Tillich donne l’exemple des cultes à mystère de l’Antiquité tardive : « […] un dieu dont on reconnaît l’ultimité y devient radicalement concret pour les initiés ». Pour la suite, nous ferons référence à cet ouvrage avec la mention TS II.
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[10]
Notons que pour Tillich le personnel est à la fois individuel et collectif : l’individualité et la participation forment deux pôles en tension qui doivent atteindre l’un et l’autre une forme achevée, « personne » et « communion ». Chaque personne est indissociablement individu, centré sur son soi et participant au collectif. Voir TS II, p. 26-31.
-
[11]
Dans sa dernière conférence, Tillich esquisse les contours de la « religion de l’esprit concret », le telos immanent de la religion, dont la théologie pourrait prolonger la sienne. Nous nous plaçons dans ce cadre, voir Id., « La signification de l’histoire des religions pour le théologien systématique ».
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[12]
Précisons que pour Tillich la révélation est permanente, elle n’a pas été close avec la fixation du Canon. Notre approche concerne donc non seulement les auteurs bibliques, mais aussi chacun d’entre nous, voir Id., Histoire de la pensée chrétienne, Paris, Payot, 1970, p. 59-60.
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[13]
Rappelons que la psychologie de Jung est phénoménologique, elle a été élaborée sur la base de très nombreuses observations cliniques. Nous prendrons soin, dans notre étude, de distinguer les deux domaines : la théologie de Tillich et la psychologie de Jung. Nous ne prenons pas en considération la théologie jungienne, contrairement à de nombreux auteurs, tels que John P. Dourley, qui a beaucoup travaillé sur le dialogue entre Jung et Tillich en comparant leurs théologies. Nous avons discuté de notre position dans Christophe Gripon, « Le processus de sanctification de Paul Tillich et le modèle de la psyché de Carl Gustav Jung : un enrichissement possible ? Éléments de discussion sur la théologie de John P. Dourley », Laval théologique et philosophique, 75, 1 (février 2019), p. 17-37.
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[14]
Ibid.
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[15]
Soulignons que cette fonction ne doit pas être confondue avec la fonction principale (ou privilégiée) des quatre fonctions psychiques : pensée, sentiment, sensation et intuition.
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[16]
Carl Gustav Jung, L’Âme et le Soi, renaissance et individuation, Paris, Albin Michel, 1990, p. 151.
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[17]
Ibid., p. 157. Cette dialectique entre le conscient et l’inconscient est le titre de l’un des ouvrages les plus importants de Jung : Dialectique du moi et de l’inconscient.
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[18]
Carl Gustav Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient, Paris, Gallimard, 1964, p. 225-226. Dans la suite nous noterons cet ouvrage, DMI.
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[19]
TS I, p. 103-148.
-
[20]
Ibid., p. 149-182.
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[21]
En note le traducteur indique que ce mot intelligence correspond en anglais à mind et en allemand à Geist, « que l’on traduit habituellement par “esprit” » (TS I, p. 104, n. 4).
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[22]
Ibid., p. 114. Tillich évoque aussi « l’abysse » qui ne peut être épuisé par « l’une ou par l’ensemble des créations ».
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[23]
Dans le domaine esthétique, la profondeur de la raison oriente vers la « beauté même », dans le domaine juridique, vers la « justice-même », et dans le domaine communautaire, vers « l’amour même » (TS I, p. 114-115).
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[24]
TS I, p. 119.
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[25]
TS I, p. 121.
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[26]
Ibid.
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[27]
TS I, p. 123.
-
[28]
TS I, p. 121.
-
[29]
Tillich fait une présentation de ces mouvements dans La naissance de l’esprit moderne et la théologie protestante, Paris, Cerf, 1972, p. 192.
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[30]
Tillich revient sur cette question un peu plus loin à propos de la « Parole de Dieu », manifestation de la vie divine dans l’histoire de la révélation. Il précise l’une de ses caractéristiques : « L’extase de la révélation n’est pas a-logos (irrationnelle), bien que non produite par la raison humaine. Elle unit l’élément d’abysse et celui de logos dans la manifestation du mystère. » Ainsi « le mystère de l’abysse divin s’exprime à travers le Logos divin » dans l’histoire de la révélation (voir TS I, p. 217-218).
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[31]
Rudolf Otto, Le sacré, Paris, Payot, 2015.
-
[32]
TS II, p. 129-130.
-
[33]
Cet aspect de l’abysse tel que le présente Tillich est souligné par John P. Dourley, voir Paul Tillich, Carl Jung and the Recovery of Religion, New York, Routledge, 2008, p. 96-97.
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[34]
TS I, p. 123 : Tillich écrit à propos des premières années de la Réforme qu’elle « insiste à la fois religieusement et culturellement sur l’autonomie (Luther a confiance en sa conscience ; Luther et Zwingli ont des liens avec les humanistes) ».
-
[35]
Rappelons qu’il s’agit de « mise en parallèle » de notions qui n’ont absolument pas le même statut : abysse et logos relèvent du discours théologique, inconscient et conscient correspondent à un tout autre plan, celui de la psychologie. Le lien entre des éléments théologiques et psychologiques que nous faisons ici est de même type que celui que l’on peut faire entre un élément « concret », un symbolisant (images psychiques) et le symbolisé vers lequel l’image oriente (concept « métaphysique », par exemple, « Puissance d’être »).
-
[36]
Carl Gustav Jung, L’Âme et le Soi, p. 152.
-
[37]
Ibid., p. 174.
-
[38]
Ibid., p. 150.
-
[39]
Ibid., p. 152 : « Le psychotique […] est entièrement soumis à l’influence directe de l’inconscient. » Cet aspect est développé à la p. 173.
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[40]
Id., Psychologie et religion, Paris, Buchet/Chastel, 1958, p. 17-20. La valorisation de l’expérience religieuse intérieure, en termes tillichiens, de la « théonomie », fait l’objet de l’ensemble de cet ouvrage.
-
[41]
Notons qu’au début de ses travaux, Jung appelait cette fonction, « fonction dirigeante » (DMI, p. 39, n. 1), ce qui rappelle, comme nous l’avons vu plus haut, la « créativité dirigeante de Dieu » de Tillich.
-
[42]
Comme l’écrit Jung, le rêve se présente comme « l’expression la plus aisément accessible des processus inconscients. Il est pour ainsi dire un pur produit de l’inconscient », mais Jung précise que l’interprétation des rêves exige beaucoup du sujet (voir L’âme et le Soi, p. 161). La fonction transcendante peut aussi s’opérer en prenant du recul vis-à-vis des affects que l’on peut ressentir, en quelque sorte en « dialoguant » (cela peut être par le dessin) consciemment avec ces expressions de l’inconscient. Jung donne l’exemple d’un état dépressif (ibid., p. 166-167).
-
[43]
Ibid., p. 160-161.
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[44]
TS I, p. 123-127.
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[45]
TS I, p. 133, n. 76.
-
[46]
À l’intérieur d’une persona donnée, il peut bien sûr y avoir une évolution, par exemple pour un ingénieur qui évolue sans cesse dans les techniques qu’il utilise, mais d’un point de vue psychique, la situation est figée.
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[47]
Comme le souligne Tillich dans le passage que nous étudions, les deux absolutismes, correspondant au traditionaliste et au révolutionnaire, s’engendrent l’un l’autre (TS I, p. 208).
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[48]
En réalité ce type d’homme n’existe pas, car le processus d’individuation n’est jamais achevé, nous évoquons ici la situation d’un homme assez avancé sur le chemin de la constitution de son « moi authentique » relativement à la diversité des persona qu’il peut « endosser ».
-
[49]
TS I, p. 133-134, voir aussi p. 211.
-
[50]
Carl Gustav Jung, Types psychologiques, Genève, Georg, 1950, p. 351. Pour la suite, nous ferons référence à cet ouvrage avec la mention TP.
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[51]
Ibid., p. 394.
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[52]
TS I, p. 133, n. 76.
-
[53]
Soulignons que nous ne présentons ici qu’une approche très partielle du point de vue jungien : un homme de type « pensée extravertie » devra, dans le processus d’individuation, non seulement développer sa part d’introversion, mais aussi le pôle opposé à la fonction « pensée », celle du « sentiment », ainsi que les deux autres fonctions, celles de la « sensation » et celle de l’« intuition ».
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[54]
TS I, p. 135, Tillich écrit notamment : « […] la connaissance véritable [qui transforme et guérit] inclut l’union et donc l’ouverture qui permet de recevoir ce à quoi on s’unit. Paul parle aussi de cette connaissance, la gnosis, qui dans le Nouveau Testament grec signifie en même temps l’union cognitive, sexuelle et mystique » (Tillich revient sur la gnosis un peu plus loin en la présentant comme un pôle opposé à l’epistèmè, la « connaissance scientifique distante », voir ibid., p. 211).
-
[55]
TS I, p. 136.
-
[56]
TS I, p. 137.
-
[57]
Il s’agit de l’interprétation des rêves sur le plan du sujet.
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[58]
Comme on l’a vu cette prise de conscience suppose une certaine distanciation vis-à-vis des contenus du rêve, donc du choc émotionnel qu’ils peuvent provoquer.
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[59]
Nous avons développé l’aspect érotique de la gnosis dans deux articles consacrés à l’anima : l’intégration de l’anima — le féminin inconscient en l’homme — suppose un lien érotique entre moi et l’anima, par exemple lors d’un rêve. Voir Christophe Gripon, « L’anima selon Jung comme symbole religieux tillichien : un enrichissement possible pour le processus de sanctification ? », Laval théologique et philosophique, 76, 1 (2020), p. 61-81 ; et « Sophia, figure d’anima ? Proposition d’une lecture jungienne de quelques textes de l’Ancien Testament », Laval théologique et philosophique, 76, 3 (2020), p. 421-443.
-
[60]
TS I, p. 136.
-
[61]
Par exemple, le travail analytique jungien, contrairement à celui de Freud, évite d’aller trop loin dans les associations libres. En effet, par le jeu de ces associations, assez rapidement, le sujet peut se retrouver « pris dans le cercle stérile de ses propres complexes », voir L’Âme et le Soi, p. 149, voir aussi p. 167.
-
[62]
TS I, p. 139.
-
[63]
Rappelons que les images oniriques pour Freud sont de simples signes : elles n’ont pas de dimension « symbolique » au sens de Jung et Tillich.
-
[64]
DMI, p. 206. Une discussion sur les dimensions intellectuelles, émotionnelles et intuitives de la connaissance est développée par Jung dans le cadre d’une discussion sur l’Orient et l’Occident, dans Carl Gustav Jung, Commentaires sur le Mystère de la Fleur d’Or, Paris, Albin Michel, 1979, p. 21-26.
-
[65]
TS I, p. 145.
-
[66]
TS I, p. 137.
-
[67]
TS I, p. 142.
-
[68]
TS I, p. 144. Tillich développe ensuite la question du caractère de non-reproductibilité de ce test, par comparaison avec le test expérimental du domaine scientifique et technique.
-
[69]
TS I, p. 148.
-
[70]
Rappelons que cette personnalité n’est en rien figée : elle se construit peu à peu à travers le temps : il ne s’agit pas d’une personnalité « toute faite » par avance qu’il s’agirait simplement d’« extraire » de l’inconscient.
-
[71]
L’exemple de Jung lui-même est éclairant : le processus d’individuation a pris pour lui une ampleur considérable à partir de sa rupture d’avec Freud, en 1913. Jusqu’en 1916, il est resté dans un état dépressif profond. Pourtant, après cette période où il risquait de sombrer dans la folie — son état était psychotique — une « nouvelle » personnalité qui peut être considérée comme plus « rayonnante » et « authentique » que la précédente a pu se développer.
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[72]
Jung évoque ce « test » dans Psychologie et religion, à propos de l’expérience religieuse (relation à l’inconscient), il écrit p. 198-199 : « […] celui qui l’a faite possède l’immense trésor d’une chose qui l’a comblé d’une source de vie, de signification et de beauté […] si une telle expérience nous aide à rendre notre vie plus saine, ou plus belle, ou plus complète, ou plus lourde de sens, pour nous-mêmes et pour ceux que nous aimons, nous pouvons tranquillement affirmer : “c’était une grâce de Dieu” ».
-
[73]
DMI, p. 238.
-
[74]
Carl Gustav Jung, Commentaires sur le Mystère de la Fleur d’Or, p. 51.
-
[75]
1 R 19,11-13.
-
[76]
TS I, p. 149-219, nous n’aborderons pas dans cet article la question de la révélation « finale » en Jésus-Christ, nous nous limiterons ainsi aux pages 149-175.
-
[77]
TS I, p. 155.
-
[78]
Ibid. André Gounelle insiste sur cette question : la révélation s’adresse à un individu particulier, dans les conditions concrètes et singulières de son existence ; il écrit : « La révélation est toujours particulière en ce sens qu’elle ne vaut pas pour l’humanité tout entière, mais seulement pour quelqu’un ou quelques-uns […] » Voir André Gounelle, dans « Révélation évangélique et religions selon Paul Tillich » (http://andregounelle.fr/tillich/revelation-evangelique-et-religions-selon-paul-tillich.php).
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[79]
Un peu plus loin Tillich revient sur cet aspect essentiel de la connaissance de révélation : à son propos, il écrit qu’on ne peut la recevoir « qu’en situation de révélation », et précise qu’« on ne peut la communiquer — à la différence de la connaissance ordinaire — qu’à ceux qui participent à cette situation. Pour ceux qui lui restent extérieurs, les mêmes mots sonneront autrement » (TS I, p. 180). Il en est de même pour l’interprétation des rêves dans une perspective jungienne : même si l’interprétation peut être suggérée par un tiers, par exemple, un analyste, seul l’assentiment personnel de l’analysant pour une interprétation donnée valide de la « validité » de cette « connaissance de révélation ».
-
[80]
Carl Gustav Jung, « Ma vie ». Souvenirs, rêves et pensées, Paris, Gallimard, 1991, « glossaire », p. 633.
-
[81]
Cette présentation est simplifiée, l’ombre peut aussi présenter des éléments archétypaux.
-
[82]
Paul Tillich, « Carl Jung », dans The Meaning of Health. Essays in Existentialism, Psychoanalysis, and Religion, Chicago, Exploration Press, 1984, p. 176-178 : « In this situation, Jung’s doctrine of archetypes can point to a way out. It distinguishes between symbols and archetypes. Symbols are the infinitely variable expressions of the underlying, comparatively static archetypes. It is important that Jung attributes to the archetypes another ontological status than that attributed to the symbols. They are potentialities, while the symbols are actualizations conditioned by the individual and social situations. The archetypes lie in the unconscious and break into conscious life in experiences which show something of the ecstatic character attributed to revelatory experiences. That they are preformed in the unconscious as potentialities makes understandable both the wide range of their variability and the traits of a definite structure which limit the possibilities of variation. […] The archetypal forms behind all myths belong to the mystery of the creative ground of everything is ».
-
[83]
TS I, p. 156.
-
[84]
TS I, p. 156-157. Tillich développe par ailleurs le lien entre extase et prière et écrit : « La prière fournit le meilleur exemple d’expérience extatique le plus universel. […] Dieu ne peut jamais être un objet sans être en même temps un sujet. Nous ne pouvons prier que le Dieu qui prie en nous ». Voir TS IV, p. 132.
-
[85]
TS I, n. 26.
-
[86]
TS I, p. 154 et 158 ; voir aussi TS II, p. 42-48.
-
[87]
TS I, p. 154.
-
[88]
TS I, p. 159. Nous rapprochons cette partie de son texte avec sa critique, un peu avant (p. 158), des « mouvements dits extatiques », qui courent le danger de confondre la surexcitation religieuse avec la survenue de la révélation.
-
[89]
TS I, p. 159.
-
[90]
TS I, p. 160.
-
[91]
Ibid. Plus loin Tillich précise : « Il n’existe pas plus de psychologie révélée que d’historiographie ou de physique révélées. La théologie n’a pas pour tâche de protéger la vérité de la révélation en attaquant pour des raisons religieuses les doctrines freudiennes de la libido, du refoulement et de la sublimation, ou en défendant la doctrine jungienne de l’homme au nom de la connaissance révélatrice » (TS I, p. 181). Précisons bien notre propos : nous cherchons à montrer que la connaissance apportée par le travail interprétatif des rêves dans une perspective jungienne relève de la révélation au sens de la théologie tillichienne. Notre approche est phénoménologique : nous ne cherchons pas à « défendre » la « doctrine jungienne de l’homme » au nom d’une supposée « révélation ». De plus, Tillich entend probablement par « doctrine jungienne de l’homme » le modèle de la psyché que Jung a élaboré à partir de données cliniques. Prétendre, dans le cadre même de l’approche jungienne, que ce modèle a une valeur « en soi », qu’il est donc susceptible d’être « révélé », n’a pas de sens. Ce serait confondre le modèle avec la réalité « en soi ». Pour reprendre un exemple donné par Jung lui-même, en physique, prétendre que le modèle atomique de Bohr correspond à la « réalité » d’un atome est une aberration. De même, le modèle jungien de la psyché n’a pas d’autre prétention que de donner des outils pour faciliter le travail d’interprétation des rêves. (Voir Carl Gustav Jung, Les racines de la conscience, Paris, Le Livre de Poche, 1995, p. 619.)
-
[92]
Tillich souligne que l’utilisation imprécise du terme « inspiration » correspond à des actes de cognition non réfléchis, comme « être dans des dispositions créatrices, ou être saisi par une idée, ou comprendre quelque chose grâce à une intuition soudaine », voir TS I, p. 160.
-
[93]
André Gounelle, « Révélation évangélique et religions selon Paul Tillich ».
-
[94]
TS I, p. 162, n. 42.
-
[95]
TS I, p. 163.
-
[96]
TS I, p. 164.
-
[97]
Jung propose, pour aider à interpréter un rêve, de le prolonger par la méthode qu’il appelle « l’imagination active » : il s’agit de laisser advenir l’évolution d’images oniriques sans intervenir consciemment, mais tout en observant consciemment le processus se dérouler, voir L’âme et le Soi, p. 149-150.
-
[98]
La psychanalyste Julie Saint Bris souligne cette dimension du travail analytique dans Quête de soi quête de Dieu ? Psychologie jungienne et spiritualité chrétienne, Paris, Presses de la renaissance (coll. « Asketes », dirigée par le père Patrice Gourrier et Christophe Rémond), 2009.
-
[99]
Jung distingue le préconscient correspondant à des contenus inconscients effleurant à la surface de la conscience d’un inconscient plus profond.
-
[100]
Les obstacles se mettant au travers du chemin vers la quête de son Soi sont nombreux, les persona auxquelles on s’identifie ne sont pas absolument pas les seules.
-
[101]
Cet exemple correspond à une « possession » par la médiation d’une femme sur laquelle l’anima est projetée. Il existe aussi des cas de « possession » sans médiation externe au sujet.
-
[102]
Cette situation pourrait néanmoins correspondre à une « révélation » du point de vue tillichien si le sujet est parfaitement conscient que le choc émotionnel éprouvé à l’occasion de la rencontre de cette femme révèle une part sombre de son féminin intérieur. Dans ce cas, la prise de conscience induite par cette rencontre peut participer au processus d’individuation.
-
[103]
Nous abordons ici la notion jungienne de synchronicité de façon très partielle, uniquement dans son aspect lié à notre propos, celui de la « révélation » au sens de Tillich.
-
[104]
Carl Gustav Jung, Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, p. 39.
-
[105]
Dans cette notion de synchronicité, Jung insiste beaucoup sur l’état de réceptivité que doit avoir le sujet. Il ne faut pas confondre synchronicité et coïncidence due au hasard. Ce type d’événements assez courants ne participe pas, en général, à la révélation sur le mystère de son être, sur le mystère de notre « autre moi », celui qui cherche à advenir.
-
[106]
TS I, p. 164.
-
[107]
Carl Gustav Jung, Essai d’exploration de l’inconscient, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 179. Il s’agit du dernier ouvrage de Jung, terminé quelques jours avant son décès.
-
[108]
André Gounelle cite un écrit de Tillich de 1927 : « la révélation vient à nous et non pas de nous ». Même si l’inconscient est propre au sujet, à notre sens, dans la phrase citée, on peut le comprendre comme une altérité par rapport au « nous ». Voir « Révélation évangélique et religions selon Paul Tillich ».
-
[109]
TS I, p. 164. Tillich appelle ici « médium de révélation » ce qu’il nomme couramment « symbole » : c’est un élément du domaine fini qui oriente vers le fondement de l’être.
-
[110]
Voir notamment Jb 33,14-18 : « […] Dieu parle d’abord d’une manière et puis d’une autre, mais l’on n’y prend garde : dans le songe, la vision nocturne, lorsqu’une torpeur accable les humains, endormis sur leur couche. Alors il ouvre l’oreille des humains et y scelle les avertissements qu’il leur adresse […] ».
-
[111]
TS I, p. 165. À notre sens, la mise en scène de ces éléments naturels dans un rêve, qui les « dramatise », correspond bien à ce que Tillich exprime concernant la réception extatique de ces événements (TS I, p. 167).
-
[112]
TS I, p. 169.
-
[113]
Paul Tillich, Théologie systématique V, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2009, « index », p. 191-233. Notons que l’index signale à l’entrée « innocence », « innocence onirique ou du rêve » [dreaming innocence]. Tillich écrit : « Le mythe et le dogme projettent la nature essentielle de l’homme dans le passé et en font une histoire avant l’histoire, que symbolise un âge d’or ou un paradis. Dans un vocabulaire psychologique, on peut dire que cet état représente “l’innocence du rêve” ». Tillich explique ensuite son choix du mot rêve : le rêve « anticipe l’effectif », cet effectif est « présent dans le potentiel sous forme d’anticipation ». Ces potentialités doivent s’actualiser dans la vie concrète grâce à la « liberté finie », par la décision, le passage du potentiel, de l’essence à l’existence, la « concrétisation de soi ». L’homme doit ainsi sortir de l’état d’innocence du rêve et vivre dans « la réalité de l’être » (Paul Tillich, Théologie systématique III, Québec, PUL ; Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 2006, p. 59-64). Même s’il n’est pas explicitement question ici de « révélation », soulignons que la dimension d’anticipation que Tillich évoque à propos du rêve fait écho à la dimension prospective du rêve chez Jung : certains rêves peuvent présenter le rêveur sous une forme plus évoluée, comme possibilité, potentialité non encore advenue, à réaliser effectivement dans la vie concrète.
-
[114]
Paul Tillich, « Science et théologie : dialogue avec Einstein », dans Théologie de la culture, Paris, Planète, 1968, p. 206-207. Le mot « rêves » fait partie de la liste suivante : « […] des individus, des événements historiques ou naturels, des objets, des paroles, des images, de sons, des rêves, etc. ».
-
[115]
Ibid.
-
[116]
Id., « La signification de l’histoire des religions pour le théologien systématique », p. 457.
-
[117]
TS I, p. 193-197.
-
[118]
TS I, p. 193, voir aussi Id., Dynamique de la foi, Québec, PUL ; Genève, Labor et Fides, 2012, p. 63-65.
-
[119]
TS I, p. 194.
-
[120]
Id., Dynamique de la foi, p. 65.
-
[121]
Voir TP, p. 491-492.
-
[122]
Ibid., p. 493.
-
[123]
Tillich écrit, après avoir évoqué les expressions des prophètes et des apôtres : « Quand les prêtres, les devins et les mystiques du paganisme rendent des oracles sacrés et produisent des écrits sacrés, ils donnent des interprétations d’une réalité Spirituelle dans laquelle ils sont rentrés après avoir quitté la réalité ordinaire » (TS I, p. 173). On l’a rappelé plus haut avec Jb 33,14-18, dans la Bible et dans l’Antiquité de manière générale, les rêves sont considérés comme médium de révélation divine. Tillich revient sur la question de la « parole interne » dans « 3. Le problème de la parole intérieure », TS IV, p. 138-142. Il écrit : « Si Dieu nous parle, il ne s’agit pas d’une “parole intérieure”, mais de la Présence spirituelle qui nous saisit vraiment de l’“extérieur”. Toutefois cet “extérieur” se trouve au-dessus du dehors et du dedans : il les transcende. Si Dieu n’était pas présent aussi en l’homme pour que l’homme puisse chercher Dieu, l’homme ne pourrait pas entendre la parole que Dieu lui adresse. Les catégories “extérieur” et “intérieur” perdent leur signification dans la relation de Dieu et de l’homme » (ibid., p. 140).
-
[124]
TS I, p. 171, voir aussi p. 216-218.
-
[125]
Notons aussi que dans la perspective jungienne le rêve concerne le sujet personnellement, et ne traite pas de « significations générale », ce qui, du point de vue tillichien le rapproche plus du pôle expressif que du pôle dénotatif.
-
[126]
TS I, p. 172.
-
[127]
Ibid., n. 70.
-
[128]
Rappelons qu’il s’agit là de la définition que Jung donne de la personne qui a une attitude « religieuse ».
-
[129]
TS I, p. 173.
-
[130]
Voir TS I, p. 183-219.