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LES PÉNURIES DE PERSONNEL ENSEIGNANT ET DE FUTURES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS AU QUÉBEC

Au Québec, où la gestion du personnel enseignant est en grande partie décentralisée au niveau local, les centres de services scolaires font état de difficultés sans précédent pour recruter du personnel enseignant ainsi que du personnel suppléant à temps plein et à temps partiel. Le phénomène de pénurie de personnel enseignant au Québec n’est pas récent (Tardif, 2013), mais la crise actuelle semble la plus importante en intensité et en complexité. Plusieurs variables tendent également à montrer que les besoins vont s’accroître dans le futur.

Les facteurs liés à l’offre et à la demande

La pénurie d’enseignantes et d’enseignants observée actuellement au Québec est associée à différents facteurs qui tendent à augmenter la demande de personnel. Il s’agit principalement de la hausse des effectifs scolaires de 4,7 % prévue pour 2024-2025, ce qui correspond à 44 565 élèves de plus (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2020). D’autres facteurs, comme la création de nouvelles classes de maternelle 4 ans à temps plein (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019), l’attrition du personnel enseignant à différents moments de sa carrière et les départs à la retraite, lesquels tendent à augmenter depuis 2012-2013 (Ministère de l’Éducation, 2020), font appel à l’embauche d’un nombre accru de nouveaux membres du personnel enseignant.

Plusieurs universités font état d’une stagnation ou d’une diminution des effectifs en formation des maîtres (Ministère de l’Éducation, 2021), mettant ainsi en évidence le faible attrait pour la profession (Mukamurera et Balleux, 2013). L’Organisation de coopération et de développement économiques (2018) a d’ailleurs noté le fait qu’en 2015, moins de 1,1 % des jeunes Canadiens et Canadiennes souhaitent exercer la profession enseignante plus tard (par rapport à une moyenne de 5,5 % dans les pays représentés par cette organisation), alors que cette proportion était de 4,7 % en 2006. Cela illustre un changement significatif dans l’attractivité pour la profession. Ainsi, le Canada est l’un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques où l’intérêt des jeunes à l’égard de la profession enseignante est le plus faible.

Au Québec, les données publiques récentes montrent une légère diminution du nombre d’inscriptions à la formation initiale à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire au cours des années 2016-2017 et 2017-2018; toutefois, les variations observées sont, pour l’ensemble des universités, plutôt stables. On parle donc d’une stagnation du nombre d’inscriptions et d’une stabilité du nombre de diplômés et diplômées (Ministère de l’Éducation, 2021).

Quant aux programmes en enseignement secondaire, nous observons une diminution de 25,7 % des inscriptions en 2017-2018, comparativement à 2009-2010, tandis qu’une hausse est constatée à partir de 2018-2019 (Ministère de l’Éducation, 2021). Le nombre d’inscriptions observé a diminué par rapport à celui de 2009-2010. Concernant le nombre de diplômés et diplômées, des variations sont également observées, mais celui-ci reste plutôt stable (une moyenne annuelle de 824 entre 2008-2009 et 2017-2018). Soulignons que la diminution est plus perceptible dans la concentration mathématique. Le manque d’attrait pour cette discipline est d’ailleurs pointé du doigt par les représentants des universités depuis plusieurs années (Ministère de l’Éducation, 2021).

En plus des difficultés d’attraction vers les programmes en formation initiale (Ministère de l’Éducation, 2021), les données statistiques des universités mettent en évidence des enjeux associés à la rétention. Ainsi, selon le réseau de l’Université du Québec (2021), une étudiante ou un étudiant sur deux obtient son diplôme après quatre ans, soit la durée prévue des études. Environ 25 % termineront leur programme au-delà des quatre années, tandis que 25 % n’auront pas obtenu leur diplôme après six ans.

Des enjeux particuliers dans une région éloignée du Québec

Bien que le problème de pénurie du personnel enseignant affecte tous les centres de services scolaires québécois, la région de l’Abitibi-Témiscamingue est particulièrement touchée par les problématiques d’attraction, de recrutement et de rétention de personnel enseignant en raison des particularités du marché de l’emploi. Les partenaires engagés dans le Groupe régional d’acteurs pour la valorisation des enseignants[1] font également état d’un manque criant de personnel enseignant dans tous les centres de services scolaires, notamment en raison de la diminution du nombre d’inscriptions en formation initiale à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, particulièrement au secondaire. La région de l’Abitibi-Témiscamingue se caractérise par le contexte de plein emploi et un marché du travail très concurrentiel marqué par l’industrie minière et forestière, mais aussi par la vastitude de son territoire, son isolement et la faible densité de la population. Cette université régionale est d’ailleurs celle qui accueille le moins d’étudiantes et étudiants dans ses programmes de formation à l’enseignement parmi toutes les universités québécoises francophones. Elle est la seule université pour laquelle moins de 100 brevets par année ont été délivrés aux diplômés et diplômées depuis 2011-2012 (Ministère de l’Éducation, 2020).

Selon les données de l’université[2], la diminution des inscriptions en formation initiale se poursuit tandis que les difficultés de rétention persistent. Près de 30 % des étudiantes et étudiants quittent le programme de formation au terme de la première année; en moyenne, 43 % des étudiantes et étudiants quitteront le programme au cours des quatre premières années. Ainsi, la moyenne de personnes diplômées à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue semble plus basse que la moyenne générale des universités québécoises.

C’est pour faire face à ces défis particulièrement importants dans ces régions qu’un projet de recherche collaborative impliquant tous les partenaires du Groupe régional d’acteurs pour la valorisation des enseignants a émergé pour trouver des solutions à la pénurie de personnel enseignant. Ainsi, l’attraction d’un plus grand nombre d’étudiantes et d’étudiants et leur rétention jusqu’à la diplomation sont des pistes de solution pertinentes pour combler une partie des besoins croissants de personnel enseignant qualifié. Cet article porte donc sur cette question spécifique : quels sont les facteurs susceptibles de favoriser l’attraction et la rétention des futures enseignantes et futurs enseignants dans les programmes de formation à l’enseignement?

Dans le cadre de cette étude, nous avons mobilisé la littérature scientifique s’intéressant aux déterminants du choix de carrière dans la profession enseignante et celle portant sur les variables susceptibles d’influencer l’abandon ou la persévérance dans les études universitaires.

REVUE DE LA LITTÉRATURE

Les déterminants du choix de la profession enseignante

Le concept d’attraction dans la profession enseignante fait référence à une série de décisions qui structurent le comportement des individus, notamment suivre une formation à l’enseignement, entrer dans la profession à l’issue de la formation et rester dans l’enseignement (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005).

La recherche scientifique aborde cette question principalement sous l’angle des motivations à devenir enseignante ou enseignant. Selon plusieurs recherches (Berger et D’Ascoli, 2011; Fray et Gore, 2018; Kyriacou et Coulthard, 2000; Tang et al., 2020), les motivations des personnes qui décident d’embrasser la profession sont de trois types : 1) les motivations altruistes, axées sur le fait de considérer l’enseignement comme un travail socialement utile et important, et le désir d’aider les enfants à réussir et la société à s’améliorer; 2) les motivations intrinsèques, liées à l’intérêt pour différents aspects de l’activité professionnelle elle-même, comme enseigner aux enfants, utiliser leurs connaissances de la matière et leur expertise; 3) les motivations extrinsèques, associées aux conditions d’exercice, aux vacances, au salaire, au prestige de la profession.

Selon Berger et D’Ascoli (2011, p. 116), « la prééminence de ces motivations varie sensiblement en fonction des niveaux d’enseignement. Ce sont en effet les enseignantes et enseignants du primaire qui déclarent le plus largement une motivation altruiste ». Sur le plan de la motivation intrinsèque, certaines recherches ont notamment montré que le personnel enseignant du secondaire manifeste une très forte identification à sa discipline. Toujours selon ces auteurs, bien que les motivations extrinsèques semblent moins importantes dans le choix de la profession, il est possible que cela doive être mis en perspective avec le fait que ce type de motivation est socialement peu valorisé, particulièrement dans le cas de la profession enseignante, perçue comme une vocation.

Par ailleurs, Fray et Gore (2018) soutiennent que le style de vie hors travail (conciliation travail-famille, horaire flexible, vacances) et les conditions de travail (conditions et sécurité d’emploi, salaire, perspectives de carrière) qui sont associés à la motivation extrinsèque peuvent également exercer une certaine influence sur le choix de la profession.

Les déterminants de l’abandon et de la persévérance dans les études supérieures

Peu de recherches se sont intéressées à la rétention des étudiantes et étudiants, spécifiquement dans les programmes de formation à l’enseignement[3]; il est donc nécessaire de mobiliser les écrits au sujet des déterminants de l’abandon et de la persévérance dans les études supérieures.

Selon Sauvé et al. (2007) et Fontaine et Peters (2012), l’abandon pourrait être défini comme le départ volontaire ou involontaire de l’université sans diplôme, et la persévérance, comme la poursuite sans interruption d’un programme jusqu’à l’obtention du diplôme. Les facteurs associés à la persévérance scolaire peuvent être considérés sous trois angles : l’individu, l’établissement et la relation étudiante/étudiant-établissement (Fontaine et Peters, 2012).

Du point de vue des facteurs liés aux individus, des recherches récentes suggèrent l’importance de l’engagement de ces derniers dans leur programme d’études, particulièrement au cours de la première année; cet engagement serait étroitement associé à leur intégration sociale et scolaire (Tinto, 2006). C’est ce qu’observent Fontaine et Peters dans le cas du Québec :

 […] les étudiants qui abandonnent leurs études le font généralement lors de la première année du premier cycle universitaire, dans une proportion de 50 %, et la réussite scolaire au premier trimestre a un rôle déterminant sur le reste des études. De plus, les étudiants qui sont incertains quant à leurs intentions professionnelles sont plus enclins à abandonner leurs études de même que ceux qui travaillent plus de 15 heures par semaine

Fontaine et Peters, 2012, p. 42

D’autres facteurs influençant la rétention des étudiantes et étudiants en formation sont plutôt associés à l’établissement. Les travaux de Yorke et Thomas (2003) ont mis en évidence l’effet positif d’une approche centrée sur la personne :

Une approche centrée sur l’étudiant se caractérise par l’offre de diverses mesures visant à aider l’étudiant : un service d’aide dès le début des études pour les étudiants qui éprouvent des difficultés, du support pour la préparation à l’entrée à l’université, une organisation du curriculum qui réponde aux besoins des étudiants…

Fontaine et Peters, 2012, p. 37

Finalement, les recherches s’inscrivant dans une approche plus systémique pour étudier la rétention du point de vue de la relation étudiante/étudiant-établissement s’inspirent largement du modèle théorique de Tinto (1975) :

Ce modèle postule que les étudiants amorcent leurs études universitaires différemment selon leur bagage familial, leurs habiletés académiques, leurs intentions et leurs objectifs en regard de leur formation universitaire. C’est l’adéquation entre le bagage de l’étudiant et l’environnement universitaire qui aurait un effet déterminant sur la décision des étudiants de poursuivre ou non leurs études.

Fontaine et Peters, 2012, p. 38

Comme le résument Sauvé et al. (2007), la décision d’une étudiante ou d’un étudiant d’interrompre ou de poursuivre ses études ne peut donc pas être associée à un seul facteur.

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE

Dans le cadre de cette étude collaborative à caractère exploratoire, nous avons choisi de privilégier une étude de cas restreinte géographiquement afin de préserver les liens étroits entre notre objet et son contexte local, mais également dans le but d’examiner les enjeux sous le plus grand nombre d’aspects possible afin de bien les comprendre (Van der Maren, 1996). La réalisation de notre recherche s’est appuyée sur deux collectes de données distinctes : un questionnaire et des entretiens qualitatifs semi-dirigés.

Dans un premier temps, un questionnaire ciblant l’ensemble des étudiantes et étudiants du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue et de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a permis de recueillir des données sur les éléments les plus susceptibles d’influencer leurs décisions de s’inscrire en formation initiale. Le questionnaire a été diffusé par l’entremise des services des communications des deux établissements directement par courriel ainsi qu’au moyen des réseaux sociaux. Nous avons questionné des personnes inscrites dans un programme de formation à l’enseignement et d’autres dans un autre type de programme afin de comprendre ce qui a influencé le choix d’inscription. En parallèle, nous avons souhaité innover par rapport aux recherches dans le domaine et nous nous sommes intéressés : 1) aux étudiantes et étudiants du cégep n’ayant pas fait le choix des études en enseignement, pour mieux déterminer les éléments susceptibles d’influencer leur choix de programme universitaire; 2) aux étudiantes et étudiants universitaires qui étudient dans d’autres programmes d’études et qui n’ont donc pas fait le choix des études en enseignement, pour déterminer les éléments qui auraient pu influencer leur décision en ce sens. Le questionnaire a été distribué en ligne d’octobre à décembre 2018 et a permis de recueillir les réponses de 221 étudiantes et étudiants (50 du cégep, 79 à la formation initiale en enseignement et 92 d’autres programmes offerts).

Dans un deuxième temps, 14 entretiens semi-structurés ont été réalisés, entre décembre 2018 et avril 2019, auprès de sept étudiantes et étudiante en formation à l’enseignement (les caractéristiques plus précises sont présentées dans le tableau 1), cinq membres du corps professoral en formation des maîtres et deux conseillers en orientation du cégep.

Tableau 1

Programme d’études des personnes interviewées

Programme d’études des personnes interviewées

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Ces entretiens visaient à assurer une compréhension fine des enjeux associés à l’attraction dans les programmes de formation, aux difficultés vécues par les étudiantes et étudiants, et aux facteurs pouvant influencer leur rétention dans le programme, mais également à faire émerger des pistes de solution pour les attirer et les retenir dans ces programmes. Sur le plan des solutions, les entrevues avec les conseillers en orientation ont été particulièrement éclairantes, puisqu’elles ont mis en évidence les questions et les principales inquiétudes des étudiantes et étudiants du cégep songeant à s’inscrire dans une formation en enseignement.

La stratégie d’analyse des données reposait sur une analyse quantitative de base permettant de produire des statistiques descriptives qui ont pu être étoffées par des analyses qualitatives thématiques réalisées à l’aide du logiciel NVivo 12.

ATTIRER ET RETENIR LES ÉTUDIANTES ET ÉTUDIANTS DANS LES PROGRAMMES DE FORMATION À L’ENSEIGNEMENT

L’attraction dans les programmes de formation initiale

Selon les données recueillies dans le questionnaire, 39 % des cégépiennes et cégépiens n’envisagent pas de s’inscrire dans un programme de formation à l’enseignement, contrairement à 32 % qui l’envisagent, et 29 % n’ont pas encore pris leur décision (figure 1). Quant aux étudiantes et étudiants de l’université, 63 % ont déjà envisagé d’entreprendre des études en enseignement. Ces résultats montrent qu’il existe un bassin important d’individus qui pensent ou ont déjà pensé devenir enseignantes ou enseignants, ce qui démontre un intérêt pour cette profession.

Figure 1

L’attractivité des programmes de formation à l’enseignement

L’attractivité des programmes de formation à l’enseignement

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Les entrevues soulèvent des pistes pour mieux comprendre les mobiles empêchant certaines personnes de choisir les programmes de formation en enseignement. Les conseillers et conseillères d’orientation du cégep signalent plusieurs inquiétudes soulevées par les étudiantes et étudiants envisageant de s’inscrire dans un tel programme, notamment des préoccupations à l’égard de la gestion de classe. D’autres présentent le profil relationnel que requiert la profession enseignante, mais doutent de leurs capacités à gérer les comportements perturbateurs. Des questions sont aussi soulevées sur la réelle lourdeur de la tâche; des proches les invitent à y réfléchir avant de s’engager. Pour les personnes intéressées par l’enseignement secondaire, la probabilité d’enseigner une matière autre que leur spécialisation en inquiète plusieurs. Cette éventualité les préoccupe et tend à influencer leur choix de programme. Finalement, une autre préoccupation fréquemment citée concerne la volonté de travailler à proximité de leur résidence. Les conseillers et conseillères en orientation mentionnent qu’il existe une tendance chez les étudiantes et étudiants de la région à choisir un programme qui leur permet de demeurer dans leur ville d’origine. Ces individus s’informent donc de la possibilité de choisir leur lieu de stage et de travail. Évidemment, le fait que l’attribution des postes soit faite en fonction de l’ancienneté et de la disponibilité des postes et des contrats en contrarie plusieurs.

Sur le plan du marché du travail, plusieurs personnes interviewées soulignent le peu d’attractivité de la profession pour les hommes, surtout dans un contexte d’emploi centré sur les mines, qui demande peu de formation et propose des conditions de travail très intéressantes. Les salaires proposés au personnel enseignant sont jugés peu attractifs, d’autant plus qu’en contexte de grave pénurie de main-d’oeuvre, une panoplie d’emplois bien rémunérés s’offre à eux dans plusieurs autres domaines. Le salaire est également mis en perspective avec les conditions d’emploi plus globales, comme le souligne une étudiante en éducation au préscolaire et en enseignement primaire :

Moi, je suis tous les jours en train de dire à mon conjoint : j’ai plus de dettes étudiantes que toi, mais tu fais déjà deux fois mon salaire. Lui, y a juste un [diplôme du] cégep. […] non seulement on est payés peu, mais on est payés pour beaucoup moins d’heures que ce qu’on fait dans une semaine. On dit souvent que tout travail mérite un salaire, mais c’est pas vrai que dans le temps qui nous est attribué, on est capable de planifier, corriger, régler les situations de crise…

Finalement, plusieurs ont souligné l’incidence des discours négatifs sur la profession enseignante. L’image de la profession enseignante est négative, particulièrement celle véhiculée par les médias, mais également par certaines enseignantes et certains enseignants. Les bons côtés du travail enseignant font rarement la manchette, et les revendications syndicales présentent souvent les facettes négatives de la profession. Aussi, le fait que le public pense que la profession ne nécessite aucune expertise ne contribue pas à l’attrait dans la profession. Comme le souligne cette étudiante de 4e année :

Ils [ne] réalisent pas que c’est…On est bachelier. Y’en a même qui ont des maîtrises, des doctorats. C’est poussé comme études. J’pense qu’y comprennent pas. C’est des études supérieures, là. On ne parle pas de juste garder des enfants. Pis même à ça, garder des enfants aussi, c’est un gros métier. Mais, non, j’pense, c’est ça. Beaucoup de manque d’information.

Le questionnaire comprenait également des questions sur les éléments susceptibles de favoriser l’attraction vers les programmes de formation initiale. Plus spécifiquement, la question suivante a été posée : dans quelle mesure les éléments suivants auraient-ils pu vous convaincre d’entreprendre des études en enseignement? Le tableau 2 présente les éléments identifiés comme ayant beaucoup d’importance par les répondants.

Tableau 2

Éléments susceptibles d’influencer positivement l’attraction dans les programmes de formation initiale

Éléments susceptibles d’influencer positivement l’attraction dans les programmes de formation initiale

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Certains éléments ressortent avec acuité : il s’agit de l’accès plus facile à des postes permanents, des stages rémunérés, des bourses substantielles offertes, une promesse d’embauche à la fin de la formation, de meilleures perspectives d’avancement professionnel, un meilleur salaire et de meilleures conditions de travail. Au contraire, le questionnaire met en évidence le fait qu’une majorité d’étudiantes et d’étudiants croient que des conditions d’entrée plus faciles dans la formation, une formation continue obligatoire après la formation initiale et la création d’un ordre professionnel auraient peu d’effet sur leur décision.

Dans le cadre des entretiens, plusieurs moyens ont été proposés par les personnes interviewées pour influencer positivement l’attraction dans la profession. Presque toutes soulignent l’importance de travailler sur l’image de la profession, notamment en mettant en valeur les aspects positifs : le travail d’équipe, le côté « humain » de la profession, la motivation associée à la progression des élèves, les avantages liés aux horaires de travail. Par exemple, une professeure de l’université souligne :

Moi, je pense que ce qui contribue à les attirer dans la profession, c’est le fait que euh… l’enseignement est une profession qui est fondée essentiellement sur la communication puis la culture. Puis, c’est ce qui allume, je dirais, ce qui motive la plupart des jeunes qui se dirigent en formation à l’enseignement, d’abord le goût de communiquer, le goût de transmettre sa culture, ses passions, de faire apprendre aux élèves, de… d’allumer des étincelles, autrement dit, de… de provoquer des passions pour le sport, pour la lecture, pour l’écriture, pour les sciences, pour les mathématiques, ça, c’est… c’est les éléments forts de la profession enseignante.

Pour ce faire, plusieurs suggèrent d’organiser des campagnes de valorisation afin d’intéresser les jeunes à la profession et ainsi élargir le bassin de candidatures. On souligne également l’importance d’intervenir auprès des jeunes du secondaire en invitant le personnel enseignant à parler positivement de la profession et d’offrir des stages exploratoires dans les écoles pour les étudiantes et étudiants du cégep. Finalement, plusieurs suggèrent de diversifier le recrutement en ciblant des candidats et candidates de l’étranger ainsi que des adultes susceptibles d’être intéressés par l’enseignement comme deuxième carrière.

Il apparaît important de bonifier les programmes afin qu’ils répondent aux réalités du terrain. Par exemple, un professeur de l’université mentionne :

On est toujours dans la tension théorie-pratique, on en convient, mais je pense qu’on doit continuer de faire des efforts […] pour que l’écart soit moins grand entre la théorie et la pratique. Moi, je pense que ça, ça pourrait être un élément attractif.

Plusieurs ont mis de l’avant les besoins de formation auprès des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage. D’autres ont souligné la pertinence des nouvelles modalités de formation telle la formation à temps partiel et en milieu de travail pour attirer des personnes candidates à la profession.

Finalement, les aspects financiers ont été abordés par plusieurs interviewés. L’idée de proposer une aide financière plus avantageuse pour faciliter la conciliation travail-études-famille et d’offrir des crédits d’impôt pour les frais d’inscription semble particulièrement pertinente. Dans un contexte local marqué par une forte pénurie de logements, l’accès plus facile à des logements abordables est aussi un enjeu. De nombreux étudiants et étudiantes soulignent enfin la pertinence d’un élargissement de l’offre de stages rémunérés[4].

La rétention dans les programmes de formation initiale

Dans le cadre du sondage, nous avons interrogé les étudiantes et étudiants actifs dans les différents programmes de formation initiale afin de savoir s’ils avaient déjà pensé quitter leur programme d’études. Selon nos résultats, 36,5 % d’entre eux y ont déjà songé (figure 2). Deux moments semblent particulièrement critiques dans leur réflexion, soit la première et la troisième année de formation.

Figure 2

Intention de quitter le programme d’études chez les étudiantes et étudiants en formation initiale (%)

Intention de quitter le programme d’études chez les étudiantes et étudiants en formation initiale (%)

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La raison la plus souvent invoquée est celle de la réorientation de carrière. Celle-ci peut être due au fait que la personne découvre, lors du stage, que son rêve ne correspond pas à la réalité du terrain, comme le souligne cette étudiante : « Quand on arrive en stage, des fois, ils voient la réalité d’un autre oeil. On ne s’attend pas à ça. Certains se disent : “Ah non, je ne suis pas prêt à faire ça.” » Le test de certification en français écrit pour l’enseignement peut être un obstacle à la poursuite des études en enseignement ou susciter des remises en question : « Je l’ai coulé une fois pis ça me fait tout le temps me demander : “Est-ce que c’est vraiment ma branche?” »

La plupart des répondantes et répondants trouvent qu’avec le temps, il devient difficile de concilier exigences des cours, préparation des stages et travail rémunéré. D’autres considèrent le programme de formation à l’éducation préscolaire et à l’enseignement primaire peu adapté pour les hommes, ce qui nuirait grandement à leur rétention dans ce programme à forte majorité féminine. Selon leurs dires, il faut être à l’écoute et capable de s’adapter pour répondre à leurs besoins afin d’attirer et de retenir davantage d’enseignants masculins à l’enseignement primaire.

Quant aux éléments susceptibles d’influencer positivement la rétention des étudiantes et étudiants dans les programmes, les membres du corps professoral soulignent la souplesse dans la reconnaissance des cours et des acquis, la variété de ressources impliquées dans leur cheminement et les évaluations en tenant compte des stages pour éviter la surcharge de travail.

Plusieurs étudiantes et étudiants mentionnent dans les entretiens qu’un système de mentorat dès la première année par des étudiantes et étudiants-mentors plus avancés permettrait de les soutenir et de les maintenir en formation. Finalement, dans un contexte de pénurie de personnel où plusieurs se retrouvent à faire de la suppléance dès la première année de formation, la nécessité d’adapter les modalités de la formation en fonction de cette réalité est souhaitée par la majorité.

Les stages rémunérés, pertinents et accessibles seraient également susceptibles d’influencer la rétention des étudiantes et étudiants. Ainsi, il serait prioritaire de s’assurer que les stagiaires n’ont pas à travailler pour subvenir à leurs besoins pendant les stages, et qu’ils ont tous accès à un milieu de stage adapté qui se situe à une distance raisonnable de leur lieu de résidence. Cela est particulièrement pertinent dans le contexte régional où les distances sont de plus de 100 km entre les principales villes.

DISCUSSION CONCLUSIVE

Notre étude visait à répondre à la question de recherche suivante : quels sont les facteurs susceptibles de favoriser l’attraction et la rétention des futurs enseignants et enseignantes dans les programmes de formation à l’enseignement? À la lumière des résultats présentés, certains constats émergent. Bien qu’ils soient étroitement liés au contexte particulier de la recherche (une région éloignée), ces constats peuvent fournir des pistes intéressantes de recherche et de réflexion pour comprendre le phénomène à l’échelle de la province.

Tout d’abord, l’attraction des futures enseignantes et futurs enseignants semble étroitement liée à l’image de la profession, souvent perçue comme négative, tant sur le plan de la tâche que des conditions de travail. Comme l’explique Maroy (2008) dans une étude menée en Belgique, la perte d’attractivité de la profession enseignante est associée à une perte de prestige social de la profession, mais également à la dégradation des conditions d’emploi et à l’évolution de la nature même du travail enseignant. Nos entretiens ont bien mis en évidence l’influence de ces mêmes éléments.

Dans les entretiens, plusieurs ont mis en lumière le rôle du personnel enseignant dans la construction de cette image négative de la profession, ce qui concorde avec les résultats de certaines enquêtes :

D’après les enquêtes menées dans un certain nombre de pays, l’image de soi des enseignants est relativement mauvaise et, en fait, plus mauvaise que l’opinion que le grand public se fait de la valeur de leur travail. Les modèles de comportement des enseignants auront vraisemblablement une grande influence sur l’intérêt que les jeunes manifesteront pour ce métier

Organisation de coopération et de développement économiques, 2005, p. 95

L’image négative de la profession est susceptible d’influencer directement les motivations intrinsèques des personnes potentiellement intéressées par l’enseignement. Dans notre étude, ce type de motivation apparaît déterminant dans le choix de la profession, à l’instar des résultats de recherche de D’Ascoli et Berger (2013). Les motivations intrinsèques sont sujettes à faire l’objet d’un arbitrage alors que l’enseignement pourrait représenter un choix par défaut, permettant à certaines personnes d’évoluer dans un emploi en lien avec des domaines d’intérêt en particulier, par attrait pour la discipline, l’amour des enfants, la volonté de transmettre leur passion, etc. (Berger et D’Ascoli, 2011). Toutefois, l’image négative de la profession est susceptible d’influer sur cet arbitrage en influençant les jeunes à se tourner vers d’autres professions jugées moins difficiles et proposant de meilleures conditions.

À cet effet, nos résultats ont montré l’incidence potentiellement positive sur l’attraction de différents éléments pouvant être associés à la motivation extrinsèque (Berger et D’Ascoli, 2011), notamment l’accès plus facile à des postes permanents, des stages rémunérés, des bourses substantielles, une promesse d’embauche à la fin de la formation, des meilleures perspectives d’avancement professionnel et un meilleur salaire. Ces éléments sont essentiellement associés aux conditions d’exercice et à la rémunération pendant la formation et durant la période d’insertion professionnelle. Il est donc possible que des leviers permettant d’influencer la motivation extrinsèque puissent contrer les effets négatifs de l’image de la profession sur les motivations intrinsèques des personnes envisageant une carrière dans l’enseignement, voire contribuer à influencer positivement cette image de la profession.

Il s’avère également important de s’assurer que les jeunes reçoivent des informations justes et pertinentes sur les différentes conditions de travail associées à la profession, ainsi que sur les règles qui régissent le recrutement, l’affectation et la mobilité. Cela pourrait permettre d’agir à la fois sur l’attraction en mettant en évidence les aspects positifs de la profession enseignante, mais aussi sur la rétention en renforçant l’assurance du choix de carrière avant même l’entrée dans les programmes de formation. On l’a vu : l’incertitude associée à l’intention professionnelle influence négativement l’abandon des étudiantes et étudiants en cours d’études (Fontaine et Peters, 2012).

Par ailleurs, la valorisation de la profession enseignante apparaît comme un moyen permettant d’agir sur la motivation intrinsèque des jeunes face à une carrière dans l’enseignement, mais également de diversifier le bassin des candidates et candidats potentiels. Comment redorer cette image du métier? L’Organisation de coopération et de développement économiques (2018, p. 34) suggère quelques pistes d’action :

Des campagnes médiatiques visant à rehausser l’image de la profession en soulignant l’importance qu’elle revêt pour la nation, sa technicité et sa complexité, et la stimulation intellectuelle qu’elle peut générer peuvent également aider [à renforcer l’attractivité de la profession]. Les pays qui souhaitent élargir l’éventail des antécédents et des expériences des enseignants pourraient se concentrer sur la promotion des avantages d’une carrière d’enseignant auprès des groupes sous-représentés dans le corps enseignant, tels que les hommes et les personnes issues de minorités[5].

La pertinence de mettre des enseignantes et des enseignants au premier plan de ces campagnes de valorisation a été discutée par plusieurs intervenants dans le cadre de nos entretiens; cette piste peut avoir une influence sur l’intérêt des jeunes à l’égard du métier (Organisation de coopération et de développement économiques, 2005).

En ce qui concerne la rétention en cours de formation, deux moments semblent particulièrement critiques dans les intentions de quitter le programme : la première et la troisième année de formation. Selon les statistiques et les intervenants et intervenantes de l’Université rencontrés, beaucoup quittent effectivement le programme après leur premier stage, quand ils se rendent compte de la réalité du terrain et de la lourdeur de la tâche, ce qui touche directement leur motivation intrinsèque à l’égard de la profession.

Les stages sont donc une étape cruciale dans la persévérance ou l’abandon des études en enseignement, et plusieurs personnes interviewées ont mentionné la grande pertinence de mettre en place des systèmes d’accompagnement par les pairs au sein des programmes de formation. Selon Lebel et al. (2012), qui se sont intéressés aux stagiaires en difficulté dans les programmes de formation initiale, il est commun d’observer chez ceux-ci une faible confiance en eux et une difficulté à transférer les acquis de la formation initiale dans la pratique. De plus, le développement de stratégies d’apprentissage et de gestion efficace des ressources joue un rôle sur le plan de la réussite scolaire. Parallèlement, la mise en place de tels systèmes d’accompagnement permettrait d’intervenir sur l’engagement dans les études, particulièrement au cours de la première année. Comme l’indique Tinto (2006), l’engagement serait étroitement associé à l’intégration sociale et scolaire. Certaines caractéristiques du milieu seraient susceptibles d’avoir des effets positifs sur la rétention des étudiantes et étudiants, particulièrement au cours de leur première année d’études. En lien avec l’approche privilégiée par Yorke et Thomas (2003), une approche centrée sur des mesures d’aide en début de formation pour les individus en difficulté serait susceptible d’influencer positivement la persévérance : l’accompagnement et le mentorat par les pairs, le soutien pour l’accès à des logements ainsi que l’organisation d’un curriculum et de stages tenant compte des besoins et des réalités des étudiantes et étudiants.

Pour intervenir à la fois sur l’attraction et la rétention des futures enseignantes et futurs enseignants, nos résultats mettent non seulement de l’avant la flexibilité et l’adaptabilité de la formation offerte au regard des besoins des étudiantes et étudiants, mais également des conditions favorisant leurs apprentissages et le maintien de conditions de vie décentes. La tenue des stages en emploi est un bon exemple qui montre la capacité des universités à s’adapter aux besoins des milieux ainsi qu’aux besoins financiers des étudiantes et étudiants. À l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, il a été décidé, en concertation avec les centres de services scolaires, qu’il n’y aurait aucun cours les vendredis afin de permettre aux étudiantes et étudiants de faire de la suppléance dans les écoles. Les lieux de formation (université et stages) près de la résidence des étudiantes et étudiants semblent également avoir une incidence sur l’accès aux études supérieures. Ainsi, plus une personne habite loin de l’université, soit à plus de 40 km, plus cela tend à influencer l’accès et la poursuite des études (Frenette et Zeman, 2007). Des placements en stage à proximité du lieu de résidence des étudiantes et étudiants seraient donc positifs sur leur rétention dans les programmes.

Enfin, l’élargissement des bassins naturels de candidats et de candidates semble particulièrement pertinent dans le contexte régional. Actuellement, de nouvelles offres de formation visent plus particulièrement le personnel enseignant non légalement qualifié ou des personnes qui détiennent des diplômes de premier cycle dans des disciplines enseignées au secondaire, notamment. Ces candidats et candidates sont généralement plus âgés, ont souvent des familles et travaillent à temps plein. Des stratégies visant à assurer leur rétention jusqu’à la fin de leurs études devront également être mises en place pour leur permettre de faire face aux défis bien particuliers qui se posent à eux.