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L’année 2022 marque le 20e anniversaire de la revue Drogues, santé et société. Ces vingt années ont permis d’aborder, à travers les lunettes de disciplines diverses et variées, l’usage des drogues (dont l’alcool, le cannabis, les médicaments et les autres substances psychoactives), la pratique des jeux de hasard et d’argent, ainsi que les phénomènes et les enjeux apparentés.

Depuis la parution du premier numéro, le paysage social et politique a grandement évolué. Nous vivons aujourd’hui dans un monde qui, au sortir d’une pandémie mondiale, a élevé l’utilisation d’Internet à un rang de nécessité absolue dans nos vies quotidiennes. En outre, la crise des surdoses a pris une telle ampleur qu’elle peut désormais être considérée comme un enjeu de société difficile à endiguer tant qu’elle ne mobilisera pas davantage les décideurs politiques. Autrement, le cannabis pour tout motif d’usage est devenu légal au Canada, mais aussi dans quelques autres régions du monde. Avec tous les bouleversements sociaux qui ont ponctué ces deux dernières décennies, de nouvelles questions émergent et d’anciennes réponses sont appelées à être revues. Ainsi, nous sommes loin d’avoir tout dit ou fait dans l’univers des phénomènes et des enjeux associés à l’usage de substances et des pratiques à potentiel addictif. Ce numéro hors thème illustre bien la diversité des sujets abordés et des approches méthodologiques ou paradigmatiques utilisées.

En premier lieu, Trudeau-Guévin et ses collègues se questionnent sur la manière de définir et de dépister une utilisation problématique d’Internet chez les jeunes, en particulier dans un contexte où la vie sans son usage deviendrait extrêmement ardue. L’étude réalisée permet de trianguler les points de vue d’adolescents admis dans un centre de réadaptation en dépendance du Québec, ceux des intervenants qui les ont évalués à partir d’entrevues cliniques et les résultats obtenus en ayant recours à un instrument de mesure (Internet Addiction Test). Les constats établis démontrent que les trois perspectives convergent à 60 %. Ce qui est considéré comme problématique varie donc selon les perspectives propres à la personne qui juge la situation. Il en ressort tout de même un certain consensus. Ce dernier est cohérent avec les critères diagnostiques recensés dans la littérature voulant que la présence de méfaits, la difficulté de contrôle et le grand nombre d’heures passées en ligne contribuent principalement à définir une utilisation problématique d’Internet. Par-dessus tout, cette étude démontre l’importance de tenir compte d’une pluralité de visions pour dépister la présence d’un comportement jugé problématique.

Les perspectives et les points de vue sont aussi divers dans les discours entourant les politiques de légalisation du cannabis. Le texte de Lévesque présente une analyse comparée du cadrage des débats et des commissions parlementaires ayant eu lieu au Québec et en Ontario sur le sujet. L’auteur s’interroge sur la manière dont les différentes visions de la régulation du cannabis, de la prohibition revisitée (ou 2.0) à la commercialisation, en passant par une approche de santé publique et de réduction des méfaits, se reflètent dans les discours politiques et comment les acteurs impliqués dans le débat mettent de l’avant soit des arguments de nature morale ou épistémique. L’article permet de mieux comprendre comment ces différentes perspectives coexistent et évoluent dans la population générale et sont forgées en partie par les discours politiques.

L’actualité a aussi fait état de l’importante crise de décès par surdose en Amérique du Nord au cours des dernières années. Bien que la lumière soit souvent focalisée sur les opioïdes, l’article de Bertrand-Deschênes et de ses collègues nous indique que le phénomène s’étend à une pluralité de substances. À la demande d’un organisme communautaire, les auteurs ont réalisé une analyse de contenu de 340 rapports du Bureau du coroner du Québec datant de 2017 et portant sur des décès dont la cause probable est liée à la consommation d’au moins une substance. L’objectif de cette démarche était d’illustrer le contexte social et l’état de santé des personnes décédées afin de mettre en relief les déterminants sociaux de la santé, par exemple la présence de maladies chroniques et de troubles de santé mentale, ou encore la défavorisation matérielle et sociale, ayant pu mener à des inégalités sociales de santé et contribuer à ces décès évitables. Le texte invite à une réflexion approfondie sur la manière dont la société peut lutter contre les surdoses et convie les décideurs politiques à prendre acte des enjeux en cause.

Les questions relatives à l’usage de substances ne sont pas uniquement le fruit des bouleversements sociaux et politiques récents. La consommation de drogues chez les jeunes par exemple demeure toujours une source de préoccupation dans notre société, notamment quant à son rôle potentiellement contributif dans la perpétration d’actes criminels ou violents. L’étude longitudinale de Lacharité-Young et de ses collègues, réalisée auprès de jeunes Québécois et Québécoises fréquentant une école secondaire au courant de la décennie 2010, permet de pallier le manque de connaissances sur le sujet. Les résultats montrent des associations entre la consommation concomitante d’alcool et de cannabis, la polyconsommation, la vente de drogues et le fait de commettre des délits violents. Ils ne dénotent cependant pas d’effet d’interaction lié au genre ou au niveau d’impulsivité. Les constats établis démontrent surtout que la question demeure d’actualité et confirment le besoin de l’approfondir afin de mieux comprendre toutes les subtilités de ces associations et ainsi en prévenir plus adéquatement l’apparition auprès de la population jeune.

L’ensemble des articles de ce numéro hors thème démontre bien la richesse des réflexions ayant cours sur des phénomènes devenus d’actualité, qui interpellent aujourd’hui l’ensemble de la population et non seulement un cercle d’initiés ou d’experts. Il ne fait aucun doute. Nous pouvons en conclure que, vingt ans après sa création, Drogues, santé et société continue de mettre en lumière la richesse foisonnante de la recherche dans notre domaine. Nous soulignons donc cet anniversaire en étant convaincus que les 20 prochaines années seront marquées par de belles contributions d’auteurs qui feront avancer nos connaissances et nos réflexions sur la place de l’usage des drogues et des pratiques à potentiel addictif dans notre société.