Abstracts
Résumé
Si le génocide amérindien est avéré, ses causes précises restent sujettes à discussion et le degré de l’intentionnalité qui en est à l’origine aussi. Selon une vision commune partagée par de nombreux historiens et démographes, la très grande majorité des Amérindiens disparue lors des premiers siècles de la colonisation le fut sous l’effet d’un « choc viral », en raison de leur vulnérabilité à l’égard des pathogènes venus d’Europe ou d’Afrique. D’où nous vient donc cette idée sur la vulnérabilité des Amérindiens à l’égard des « maladies des blancs » et sur le « choc viral » et est-elle bien fondée ? Cet article propose quelques pistes de recherche pour une archéologie de la représentation de la maladie comme raison principale de la disparition des Amérindiens. En ouverture du propos, une version caribéenne met d’abord à jour tout un autre pan de l’histoire, à savoir celui de la réaction des collectifs amérindiens de l’île de Curaçao face aux épidémies, en recourant aux plantes médicinales. Ce regard décalé nous invite à interroger de plus près la chronologie des épidémies telle que relatée dans les écrits et chroniques des premiers conquistadors pour ensuite poser la question de l’existence d’une pandémie à l’échelle continentale lors des premiers siècles de la colonisation. Parallèlement, l’article met en exergue l’impact du changement brutal de mode de vie, de l’esclavagisme, sans oublier la destruction des systèmes de santé via notamment la prohibition des plantes médicinales et les actes d’attaques biologiques, sur le développement des épidémies. L’article finit par proposer qu’après avoir servi à construire un discours politico-éthique sur la disparition des Amérindiens, ces arguments de vulnérabilité et de « choc viral », principaux supports d’une lecture de l’histoire de la disparition des Amérindiens selon l’angle de la maladie, ont nourri la cause eugéniste avant d’entrer dans le sens commun via un détournement des thèses malthusiennes et darwiniennes.
Mots-clés :
- pathogène,
- histoire de l’Amérique,
- savoirs médicinaux,
- plantes,
- altérité,
- génocide
Abstract
If the Amerindian genocide is proven, its precise causes remain subject to discussion, as does the degree of intentionality behind it. According to a common vision shared by many historians and demographers, the vast majority of Amerindians disappeared during the first centuries of colonization under the effect of a “viral clash”, because of their vulnerability to pathogens from Europe or Africa. So where does this idea about the vulnerability of Native Americans to “white people’s diseases” and “viral clash” come from, and is it well founded? This article proposes a few avenues of research for an archaeology of the representation of disease as the main reason for the disappearance of the Amerindians. In the opening of the subject, a Caribbean version first brings to light another side of the story, namely that of the reaction of the Amerindian collectives on the island of Curaçao to epidemics, using medicinal plants. This unconventional perspective invites us to take a closer look at the chronology of the epidemics as recounted in the writings and chronicles of the first conquistadors, and then to question the existence of a pandemic on a continental scale during the first centuries of colonization. At the same time, the article compares the impact of the brutal change in lifestyle, slavery, and the destruction of health systems, particularly through the prohibition of medicinal plants and acts of biological attacks, on the development of epidemics. The article ends by proposing that after having served to construct a political-ethical discourse on the disappearance of the Amerindians, these arguments of vulnerability and viral clash, the main supports for a reading of the history of the disappearance of the Amerindians according to the angle of the disease, nourished the eugenicist cause before entering into the common sense via a misinterpretation of the Malthusian and Darwinian theses.
Keywords:
- pathogen,
- history of America,
- medicinal knowledge,
- plants,
- otherness,
- genocide
Resumen
Si bien el genocidio amerindio está comprobado, sus causas precisas siguen siendo motivo de discusión, así como el grado de intencionalidad que yace en su origen. Según una versión común compartida por numerosos historiadores y demógrafos, la gran mayoría de los amerindios desparecidos durante los primeros siglos de la colonización lo fue bajo el impacto de un “choque viral”, como consecuencia de su vulnerabilidad con respecto a los patógenos llegados de Europa o de África. ¿De dónde viene entonces esta idea sobre la vulnerabilidad de los amerindios con respecto a las “enfermedades de los blancos” y sobre el “choque viral” y está bien fundada? Este artículo propone algunas pistas de investigación en favor de una arqueología de la representación de la enfermedad como razón principal de la desaparición de los amerindios. Para comenzar, una versión caribeña pone al día una parte diferente de la historia, es decir, la de la reacción de los colectivos amerindios de la Isla de Curaçao que recurrieron a las plantas medicinales ante las epidemias. Esta visión peculiar nos invita a interrogar más de cerca la cronología de las epidemias tal como ha sido relatada en las crónicas de los primeros conquistadores, para luego plantear la cuestión de una pandemia a escala continental durante los primeros siglos de la colonización. Al mismo tiempo, el artículo destaca el impacto que tuvieron sobre el desarrollo de las epidemias el cambio brutal de modo de vida, el esclavismo, la destrucción de los sistemas de salud, principalmente a través de la prohibición de las plantas medicinales, y los actos de ataques biológicos. El artículo finaliza proponiendo que, después de haber servido para construir un discurso político-ético sobre la desaparición de los amerindios, estos argumentos de vulnerabilidad y de choque viral, principales apoyos de una lectura de la historia de la desaparición de los amerindios según el ángulo de la enfermedad, han alimentado la causa eugenista antes de entrar en el sentido común a través de un desvío de las tesis maltusianistas y darwinianas.
Palabras clave:
- patógeno,
- historia de América,
- saberes medicinales,
- plantas,
- alteridad,
- genocidio
Appendices
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