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De longue date, on reconnaît au Canada la présence de deux communautés linguistiques comme fondatrices du pays, les francophones et les anglophones. Bien sûr, les communautés autochtones occupaient déjà le territoire et d’autres communautés de migrants s’y sont joint. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement du Canada reconnaît officiellement que le pays a un caractère bilingue. Ces deux populations sont cependant inégalement réparties : les francophones sont ainsi majoritaires au Québec, mais minoritaires dans les 12 autres provinces et territoires.

Dans ce contexte, faire le portrait des bibliothèques francophones en milieu minoritaire au Canada constitue tout un défi. Selon les données de la Société royale du Canada compilées en 2014, il existait 1 776 bibliothèques publiques au Canada en excluant le Québec, ainsi que 320 bibliothèques académiques, pour un total de 2 096 bibliothèques (Royal Society of Canada Expert Panel, 2014). À cela se rajoute un élément marquant du réseau des bibliothèques au Canada, le nombre d’associations. Comme le notent Margaret Beckman, Moshie Dahms et Lorne Bruce¸

Il existe au-delà de 150 associations de bibliothèques au Canada, y compris des associations nationales, provinciales, régionales, locales et ethniques, parfois regroupées selon leur vocation de bibliothèques publiques, universitaires, gouvernementales, scolaires et spécialisées. La première association créée est l’Ontario Library Association, en 1900. D’autres associations provinciales sont ensuite établies en Colombie-Britannique (1911), au Québec (1932), dans les Maritimes (1935), au Manitoba (1936), en Saskatchewan (1942), en Alberta (1944) et dans les Territoires du Nord-Ouest (1981).

Beckman, Dahms et Bruce, 2015

Or, comparons avec le portrait linguistique. Selon le recensement de 2016, la population canadienne comprenait 22,8 % de francophones, auxquels se rajoutent 17,9 % de population bilingue, soit une population desservie potentiellement en français de 40,7 %. Si on exclut le Québec, pas moins de 1 014 193 Canadiens sont francophones et 2 629 665 se déclarent bilingues, soit un bassin total de 3 653 858 personnes (Patrimoine canadien, 2019a). Dispersés à travers le pays, comment mesurer une offre de service qui réponde aux besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), soit les francophones hors-Québec dans le cas qui nous préoccupe ? Pour le gouvernement du Canada, le critère utilisé pour déterminer la présence d’une communauté significative est la présence d’« au moins une école dont la principale langue d’enseignement est la langue de la minorité » (Patrimoine canadien, 2019b), ce qui donne une liste de 334 communautés à travers le Canada.

Certes, il est difficile de mettre en corrélation ces données, mais il n’en demeure pas moins que :

  • Les bibliothèques constituent une infrastructure culturelle présente dans la plupart des localités ;

  • Il existe un grand nombre d’associations et de regroupements ;

  • La population francophone ou bilingue constitue un bassin important de lecteurs ou consommateurs de biens culturels ;

  • Le nombre de communautés disposant d’une ou plusieurs écoles francophones est assez impressionnant.

Or, malgré cette myriade d’organisations, de réseaux et de bibliothèques, la situation des bibliothèques servant les communautés francophones en milieu minoritaire canadien était, jusqu’à présent, marqué par l’isolement et l’absence de réseautage, pourtant une nécessité pour permettre aux bibliothèques de remplir pleinement leur rôle. Comme le soulignait Marthe Brideau, bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Champlain de l’Université de Moncton lors d’un panel en novembre 2021, en réponse à une question sur un souhaitable réseautage des bibliothécaires en milieu francophone minoritaire :

Ça serait une très bonne idée. Déjà, depuis la COVID, on se rencontre avec le réseau CLOSM, c’est une très grosse différence, on ne le faisait pas avant. C’est de ce réseau-là dont il faut se servir, déjà il y a des gens-là, puis avec le virtuel on pourrait vraiment le faire. (…) Je dois dire que du côté francophone c’est plus difficile (…). Nous autres, on est tellement pauvre, aussi, on a moins de personnel, de ressources (…). Un moment donné, j’ai vu que l’Université Sainte-Anne était là, qui avait de la difficulté à recruter une technicienne pour faire du catalogage. Finalement elle a réussi mais grâce à CLOSM, on s’est parlé, je pourrais faire quelque chose pour toi, ça ne s’est pas concrétisé, mais c’était un début

Brideau, novembre 2021

Le réseau CLOSM ? Il s’agit du Réseau des bibliothèques des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) de Bibliothèque et Archives Canada (BAC), mis sur pied en 2019. Mais avant d’y arriver, revenons un peu dans le passé. Après avoir revu les transformations survenues depuis les années 1940 au sein de ce qu’on appelle alors le Canada français et de leur impact sur les services de bibliothèques en français, nous reviendrons sur le contexte de l’engagement du gouvernement du Canada envers les langues officielles et ses conséquences pour BAC, pour finalement aborder les réalisations dudit Réseau CLOSM.

Les racines historiques : la transformation du Canada français, les enjeux des langues officielles et les impacts sur les bibliothèques francophones en milieu minoritaire

Jusque dans les années 1960, l’ensemble des Canadiens français se voyait comme partie d’une entité organique, le Canada français. Cette francophonie se scinde dans les années 1960, prenant des dimensions davantage provinciales. Elle est le fait du développement d’une identité québécoise plus affirmée, distincte du Canada français d’avant la Révolution tranquille, et du développement d’un sentiment d’appartenance plus provincial, les francophones se désignant maintenant comme Franco-Ontariens, Franco-Manitobains ou autres expressions du genre (Allaire, 1999 : 13 ; Frenette, 1998). Par ailleurs, dans la foulée de l’adoption de la Loi sur les langues officielles par le parlement canadien en 1969, loi qui fait d’ailleurs l’objet de différents ajouts par la suite, le gouvernement fédéral et ses institutions, dont Bibliothèque et Archives Canada, vont adopter différentes mesures de soutien aux CLOSM. Ces deux phénomènes auront des impacts certains sur les bibliothèques francophones en milieu minoritaire.

Une association pionnière

L’Association canadienne des bibliothécaires de langue française (ACBLF) prend forme en 1948, deux ans à peine la création de l’Association canadienne des bibliothèques/Canadian Library Association. Elle fait suite à une refonte des statuts de l’Association canadienne des bibliothèques catholiques, elle-même bâtie sur les fondations de l’Association des bibliothèques paroissiales créée en 1943 (Gagnon, 1976 : 170). Au sein de l’ACBLF, le père Paul-Aimé Martin joue un rôle actif. Pour lui, le mandat de l’ACBLF est clair :

pour les bibliothèques, comme pour toutes les oeuvres de rayonnement culturel et de conquête apostolique, l’ère des francs-tireurs est dépassée, (…) la sauvegarde de nos droits comme le développement de notre culture exigent la coordination des initiatives privées et l’union de toutes les institutions catholiques et françaises

Cité dans Savard, 2003 : 8

Dès l’année suivante, elle compte de nombreux membres dans plusieurs régions canadiennes. Lorsque l’association dépose un mémoire devant la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada en 1949, elle soutient qu’elle représente

deux cent quatre-vingt-quinze membres répartis dans les provinces suivantes : Québec, Ontario, Maritimes, Manitoba, Colombie canadienne, Alberta. Les principales bibliothèques publiques et d’enseignement à tous les degrés (universités, séminaires, scolasticats, collèges classiques, écoles primaires), les bibliothèques paroissiales en font partie. L’A.C.B.F. se développant constamment représente donc l’opinion des bibliothécaires de langue française au Canada

ACBLF, 1949

Pendant longtemps, l’Association regroupe donc essentiellement des bénévoles oeuvrant dans une communauté religieuse, un séminaire, un collège ou une bibliothèque paroissiale : au congrès de 1960, sur 300 inscrits, on compte 150 religieux ou religieuses (Gagnon, 1976 : 171).

Outre la conférence annuelle, les activités de l’ACBLF sont concentrées autour de la publication de sa revue, dont la Revue des bibliothèques (1945-1947), Bibliotheca, puis Bulletin de l’Association canadienne des bibliothécaires de langue française (ACBLF) (1955-1972) (Savard, 2003 : 9), qui devient plus tard Documentation et bibliothèques. L’Association propose aussi divers documents de travail et dépose des mémoires aux différentes commissions d’enquête, dont à la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences au Canada, à la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels en 1954 et à la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1964.

Les mutations des années 1960 vont cependant l’affecter profondément. En effet, la tenue des États généraux du Canada français en 1967 marque une rupture dans ce qui était conçu comme le Canada français (Martel, 1997). Désormais, si au Québec se développe un sentiment national, ailleurs, la référence identitaire se veut davantage provinciale. Les grandes associations qui fédèrent les communautés francophones minoritaires se mettent en place par la suite dans les années 1970, comme la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada, fondée en 1975, et la Fédération culturelle canadienne-française, mise sur pied en 1977.

L’ACBLF se voit aussi touchée par ce mouvement de fond. Certes, se rappelle Jean-Rémi Brault,

Je sais seulement que je fus présent à un grand nombre de ces assemblées annuelles et qu’elles furent éminemment bénéfiques pour le jeune ignare que j’étais. Elles furent des lieux de rencontre irremplaçables. C’est là que j’ai rencontré des collègues avec qui j’ai pu développer des mécanismes de collaboration très efficaces

Brault, 2004 : 33

Cependant, note-t-il, au tournant des années 1970, l’Association doit se renouveler. Deux enjeux majeurs la confrontent. D’une part, la professionnalisation croissante du milieu bousculait un peu le membership traditionnel, composé surtout de bénévoles. Ensuite, la pression nationaliste se faisait sentir : outre le sentiment national croissant, la vision pancanadienne correspondait mal au fait que 90 % des membres étaient Québécois, et comme les bibliothèques relèvent des provinces ou territoires, il y avait matière à réflexion (Brault, 2004 : 90). Pour ce faire, une Commission de révision des objectifs et des structures, présidée par Jean-Rémi Brault, est mise sur pied en 1971. Le rapport, remis en 1972, mène à la dissolution de l’ACBLF et son remplacement par l’ASTED en 1973. Selon Brault, « Pour les membres de notre Commission, il ne s’agissait pas de reléguer aux oubliettes un organisme désuet. Nous voulions seulement adapter un mode de regroupement aux besoins nouveaux et répondre plus efficacement aux attentes de la collectivité. » (Brault, 2004 : 94) Quoiqu’il en soit, les bibliothécaires francophones en milieu minoritaire étaient en quelque sorte devenus orphelins, désormais dispersés dans les différentes associations provinciales et au sein desquelles les enjeux francophones spécifiques demeurent marginaux.

Les langues officielles : un environnement complexe, un soutien indispensable

Depuis les années 1960, le contexte dans lequel opèrent les bibliothèques oeuvrant en milieu minoritaire s’est considérablement transformé. Tout d’abord, comme le notent Lorne Bruce et Elizabeth Hanson, le réseau des bibliothèques des provinces et des territoires se déploie plus largement, couvrant une large part du territoire. Les célébrations du Centenaire y contribuent particulièrement, car

en 1967, dans le cadre de projets du centenaire de la Confédération par tout le pays, plus de 100 bibliothèques sont construites ou rénovées ; 15 d’entre elles sont érigées dans des communautés de Terre-Neuve qui n’avaient jamais jusque-là disposé de bibliothèque publique. (Bruce et Hanson, 2007 : 47). Bientôt, ce réseau sera complété par nombre de regroupements, d’associations sectorielles ou régionales et d’organisations professionnelles.

Pourtant, en ce qui concerne les bibliothèques en milieu francophone minoritaire, ces décennies sont marquées par une relative absence tant des politiques publiques que de la recherche en ce qui concerne le rôle des bibliothèques en soutien aux CLOSM ainsi que par un réseautage somme toute limité, compensé très certainement par une débrouillardise et une volonté locale de maintenir des services aux communautés.

La présence de politiques publiques en matière de bibliothèques est cruciale pour assurer à celles-ci le soutien requis pour remplir leur rôle. Comme l’indiquent Bruce et Hanson,

entre les années 1960 et 1980, on assiste à des progrès et des bouleversements rapides dans l’adoption de politiques de bibliothèques publiques.

Bruce et Hanson, 2007 : 47

Or, comme celles-ci sont de responsabilité provinciale ou territoriale, appréhender le réseau canadien représente tout un défi (Wilson, 2008 ; Helling, 2012). En effet, on constate une diversité d’approches, que ce soit en terme de responsabilité ministérielle ou encore de délégation d’autorité au niveau local et régional. De plus, en ce qui concerne les bibliothèques publiques servant les communautés francophones en milieu minoritaire, le portrait est encore plus complexe, car on doit considérer non seulement les lois, politiques et règlements relatifs aux bibliothèques, mais aussi les mesures relatives aux régimes linguistiques de chaque province et territoire (Roy, 2021a et 2021b). De fait, la connaissance de cet encadrement était jusqu’à présent fort limitée, alors que recherche et réflexion partagées sur ces politiques et orientations pourraient mieux encadrer et soutenir le travail en milieu minoritaire.

L’enjeu des langues officielles est, du point de vue du gouvernement du Canada, pourtant déterminant. En effet, l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 font de celles-ci des pierres de touche de l’identité canadienne. Pourtant, ce n’est que dans les années 1980 que l’on incorpore à la loi initiale, qui ne visait que protéger les droits des individus dans leur interaction avec le gouvernement du Canada, le soutien à la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), soit les anglophones au Québec et les francophones au Canada. La loi est renforcée en 2005 pour forcer les administrations fédérales à adopter des mesures en ce sens. Ce n’est donc que relativement récemment que cette préoccupation émerge comme une obligation, renforcée par le fait que la loi constitutive de Bibliothèque Archives Canada, adoptée en 2004, lui impose « d’appuyer les milieux des archives et des bibliothèques ».

Pourtant, la documentation à l’égard du rôle des bibliothèques dans les communautés francophones minoritaires reste fort limitée. Il est probable que cet enjeu ait été intégré dans les enjeux relatifs au multiculturalisme. En effet, au tournant des années 1970, la reconnaissance du caractère multiculturel du Canada amène la Canadian Library Association à s’engager en faveur de collections en langues étrangères. Y donne suite en 1973 le Biblioservice multilingue de la Bibliothèque nationale du Canada (Houde, 1981 : 32). Suivront d’autres initiatives en soutien à ces collections, mais il faut convenir que cette approche est réductrice pour les communautés francophones minoritaires, qui se définissent rarement comme des « communautés ethniques ».

Si l’intérêt pour les collections multiculturelles persiste au cours des décennies qui suivent, on note par contre que la recherche sur les besoins spécifiques des communautés francophones minoritaires reste fort limitée. Certaines études de besoins ont été menées dans les années 1980, notamment en Ontario et en Alberta, mais plus globalement, comme le démontre la revue de littérature menée en 2021, les études sur le rôle des bibliothèques dans la vitalité des CLOSM, sur les politiques d’acquisition ou sur les autres mesures qui affecteraient les communautés francophones minoritaires totalisent moins d’une dizaine de titres (Roy, 2021a : 11-14). On reconnaît notamment le besoin de développement de politiques spécifiques (Russo, 2020), de développement des collections (Robineau et al., 2010 : 357) ou encore de considérer ces éléments dans la planification (Newman, 2008 : 25).

Quoiqu’il en soit, si les besoins existent, les bibliothécaires et bibliothèques ont cherché à partager savoirs et expertises, bien que cela ait été fait davantage dans un cadre provincial. Par exemple, les bibliothécaires francophones de l’Alberta ont créé une communauté de pratique, dont l’existence est avérée de 2011 à 2014, mais qui semble inactive depuis (« La communauté de pratique de bibliothèques albertaines. Services de bibliothèque en langue française de l’Alberta », s. d.). Par contre, deux associations jouent ce rôle fédérateur. Tout d’abord, en Ontario, une guilde des services en français est créée en 1974 et sera active jusqu’en 1991. Quatre ans plus tard, la section francophone de l’Association des bibliothèques de l’Ontario (ABO-Franco) est mise sur pied. Selon ses statuts, adoptés en 2011, elle a comme mission de « travailler activement au développement des services en français en milieux bibliothécaires dans la province, voir à ce que les bibliothèques reçoivent toute information pertinente en français et voir au marketing des services français. » (Ontario Library Association, 2011 : 1). De fait, ABO-Franco tient sa rencontre annuelle dans le cadre de la Super Conférence depuis 2007.

Un second regroupement est quant à lui situé au Manitoba, où la Fédération des bibliothèques des municipalités bilingues du Manitoba est constituée en 1995. La douzaine de bibliothèques qui en sont partie entendent « s’assurer que les bibliothèques des municipalités bilingues du Manitoba deviennent un des centres de vie intellectuelle et culturelle, de véritables plaques tournantes de l’information dans leurs communautés respectives. » (Fédération des bibliothèques des municipalités bilingues, s. d.). De même, plus récemment, la reconnaissance de l’apport francophone a été reconnu par le milieu : dans le cadre de la réorganisation de l’Association canadienne des bibliothèques en Fédération canadienne des associations de bibliothèques en 2016, une place est réservée au sein du conseil d’administration pour représenter les associations francophones.

Malgré tout, il manquait un espace pour favoriser le partage d’informations et tenter de fédérer tous ces efforts d’un océan à l’autre. C’est dans ce contexte que le Réseau des bibliothèques des CLOSM de BAC a été mis sur pied en 2019.

À la Bibliothèque nationale du Canada, qui devient BAC en 2004, Des efforts visant les bibliothèques communautés francophones minoritaires ont été faits dès le début des années 2000. En effet, Roch Carrier, alors à sa tête, entreprend en 2002 une tournée des bibliothèques canadiennes en milieu francophone minoritaire. Peu de traces ont été laissées de ces visites, mais à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, le journal local rapporte que sa visite a pour but de « rencontrer la communauté francophone afin de connaître leurs besoins en termes de produits offerts en français dans les bibliothèques publiques des T.N.-O. et de « rendre les services de la Bibliothèque nationale accessibles à toute la population, y compris aux francophones. » (Bérubé, 2002).

C’est cependant dans la foulée d’une réflexion sur comment mieux répondre à ses obligations statutaires de soutenir l’épanouissement – ou la vitalité – des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) qu’une approche de réseautage est adoptée en 2019. Depuis 2010, Bibliothèque et Archives Canada avait entrepris de revoir ses pratiques en soutien aux CLOSM, notamment par la mise en place de processus de consultation qui lui ont valu d’être cité comme une bonne pratique dans le Recueil de ressources sur les langues officielles 2017. Poussant plus loin la réflexion sur la mise en oeuvre de l’article 41, un rapport interne sur les meilleures pratiques utilisées par les institutions de mémoire fédérales soulignait que de telles consultations devraient se traduire par un dialogue permanent et formalisé dans un réseau entretenu et dont les informations sont partagées et valorisées (Roy, 2018).

En conséquence, sous la direction d’une nouvelle championne des langues officielles, dont le mandat est d’assurer un leadership institutionnel en promouvant les langues officielles et le respect les obligations de la Loi, il a été convenu en 2019 de réorienter la démarche de consultation pour la recentrer. Plutôt que de tenir des consultations avec des organismes représentant les CLOSM en général, il a été convenu, pour assurer des échanges efficaces, de rencontrer les acteurs oeuvrant sur le terrain à la protection et mise en valeur du patrimoine documentaire en milieu minoritaire. Cette approche, plus pertinente et liée plus étroitement au mandat de BAC, devait permettre d’échanger plus concrètement sur leurs besoins, d’autant plus que le personnel de BAC convié à ces rencontres était celui directement impliqué dans les opérations, facilitant alors le suivi. Deux réseaux des CLOSM sont alors mis en place cette même année, un réseau archivistique et un réseau des bibliothèques, chacun ayant son programme spécifique mais tenant également certaines activités en commun.

Le Réseau des bibliothèques des CLOSM

Comme le signale la page web de BAC dédiée aux CLOSM,

Ces réseaux couvrent une grande partie du pays et permettent des consultations efficaces avec des acteurs clés du patrimoine documentaire. Ils favorisent aussi les échanges sur les besoins et les programmes, tant à Bibliothèque et Archives Canada que dans les organismes membres. Enfin, ils facilitent la création de partenariats pour divers projets.

BAC, 2021

Plus spécifiquement, le Réseau des bibliothèques entend soutenir l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) en favorisant une action concertée en faveur du patrimoine documentaire, particulièrement en bibliothèque. Pour ce faire, il regroupe les intervenants intéressés, rassemblés sous trois catégories. Il y a d’abord les membres, qui sont des organisations telles que des bibliothèques publiques, universitaires ou communautaires ou encore des associations tel ABO-Franco, et qui ont droit de vote. Ensuite, le personnel désigné par les organisations membres et qui participent de plein droit aux activités du réseau ou encore des personnes-ressources sont reconnues comme participants. Finalement, des observateurs peuvent aussi être aussi être admis aux rencontres. Le soutien logistique est quant à lui assumé par BAC.

Depuis sa mise sur pied, le Réseau s’est développé de manière organique, permettant l’intégration des personnes et organismes intéressés tout en équilibrant représentativité et efficacité. Outre deux ou trois rencontres régulières par année, qui permettent de faire le point sur la situation et les divers projets en cours parmi les membres, le Réseau est également impliqué, seul ou conjointement avec le Réseau archivistique, dans des activités de partage et de diffusion d’information, de recherche ainsi que de promotion du rôle des bibliothèques dans les communautés francophones en milieu minoritaire. Après seulement deux ans, on peut dire que le résultat est impressionnant.

Le partage et la diffusion d’information

Certes, les rencontres régulières permettent des mises à jour sur des dossiers d’importance tels que, par exemple, sur la tenue et les conclusions des États généraux sur le livre en langue française, qui ont eu lieu en septembre 2021 à Tunis (Tunisie). À cette occasion, diverses recommandations ont été adoptées pour favoriser, au sein de la francophonie, l’adoption de mesures touchant l’ensemble de la chaîne du livre, ce qui pourrait soutenir le travail des bibliothèques oeuvrant en milieu francophone minoritaire (États généraux du livre en français, 2021).

C’est également par la tenue de panels diffusés en ligne que le Réseau se fait connaître et fait reconnaître l’apport des bibliothèques à la vitalité des CLOSM. Ainsi, le 29 novembre 2021, en marge des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire au Canada, organisé conjointement par l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) et la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA), près d’une cinquantaine de personnes ont assisté à un panel portant sur les apports, enjeux, défis et opportunités des archives et bibliothèques universitaires en situation linguistique minoritaire. Organisé par les deux réseaux des CLOSM de BAC, il regroupait comme panelistes Marthe Brideau Bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Champlain, Université de Moncton ; Valérie Lapointe-Gagnon, professeure agrégée, Faculté Saint-Jean, Université de l’Alberta ; et Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales, ACUFC.

(« Panel… », 2021). De même, dans le cadre de la Super conférence OLA 2022, un panel était présenté sous le thème « Se rassembler pour valoriser les bibliothèques en milieu minoritaire : Bibliothèque et Archives Canada et le réseau des bibliothèques des communautés de langue officielle en situation minoritaire ». regroupant divers participants au Réseau, leurs présentations portaient sur la dynamique et les enjeux qui confrontent les bibliothèques et bibliothécaires en milieu minoritaire. (Se rassembler… », 2002)

Un autre volet de partage d’information qui favorise la consolidation des réseaux et le soutien mutuel est la publication, par Bibliothèque et Archives canada, du bulletin bimensuel Le patrimoine documentaire et les Communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) = Documentary heritage and Official Language Minority Communities (OLMCs)[1]. Publié depuis 2020, on y trouve un relevé de l’actualité concernant nos partenaires, sur les langues officielles au Canada, la recherche sur les CLOSM ainsi qu’une revue de presse présentant une sélection d’articles relatifs au patrimoine documentaire, au patrimoine et à la culture en général, ainsi qu’aux enjeux relatifs aux langues officielles à travers le pays. Le Bulletin est d’intérêt pour les archivistes et les bibliothécaires, les analystes, les membres des CLOSM mais aussi les chercheurs universitaires et autres personnes intéressées.

La conférence nationale de mai 2021

Parmi ces initiatives, la tenue en mai 2021 d’une conférence nationale sous le thème Archives et bibliothèques dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire – Enjeux et devenir a certes été un événement marquant, tant pour le Réseau que pour l’ensemble du milieu du patrimoine documentaire des CLOSM. En effet, malgré une presque absence de regards sur l’apport des archives et des bibliothèques à la vitalité des CLOSM, ces deux domaines contribuent néanmoins de manière décisive à la mémoire collective et à l’enracinement de ces communautés tout autant qu’à leur expression culturelle, et donc à leur vitalité. La conférence nationale visait donc à faire état de la recherche, à lancer de nouvelles pistes de réflexion prometteuses et à consolider les partenariats entre BAC et les milieux universitaire et associatif. Réunissant des chercheurs universitaires, des professionnels du milieu du patrimoine documentaire et des participants provenant de milieux associatifs intéressés, dont les sociétés d’histoire, la conférence, tenue en ligne et en traduction simultanée, comprenait une séance d’ouverture où, après un mot de deux ministres, l’autrice acadienne France Daigle parlait de son rapport au patrimoine documentaire. Suivaient quatre panels de discussion sur l’état des lieux du patrimoine documentaire en milieu minoritaire, portant respectivement sur le patrimoine documentaire et la vitalité mémorielle ; les relations des archives et bibliothèques avec la littérature, tant comme mémoires de la création que sources d’inspiration ; les politiques requises pour soutenir l’accès et lever les barrières linguistiques ; et enfin comment mieux représenter les CLOSM dans les collections. Deux cafés-rencontres étaient également tenus pour permettre aux participants d’échanger sur des sujets reliés à la thématique d’ensemble[2].

Fruit d’un partenariat entre Bibliothèque et Archives Canada (BAC), le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l’Université d’Ottawa et l’Association des bibliothèques de l’Ontario-Franco (ABO-Franco), avec le soutien actif des réseaux archivistique et de bibliothèques des CLOSM, soutenus par BAC, la conférence a été un véritable succès. Au total, 14 présentations ont été faites sur l’apport du patrimoine documentaire à la vitalité et à la mémoire, sur sa relation à la création littéraire, sur les politiques requises pour assurer l’accès et le développement ainsi que sur les mesures à adopter une meilleure représentativité des CLOSM dans les collections. Au total, 184 personnes ont participé en tout ou en partie aux sessions. Pour en assurer la pérennité, un ouvrage collectif y donnera suite. Publié dans la collection Études canadiennes des Presses de l’Université d’Ottawa, ce collectif, également le fruit d’un partenariat, est prévu sortir des presses en 2023. Or, non seulement la Conférence a-t-elle rencontré ses objectifs de débattre d’enjeux significatifs reliés au patrimoine documentaire, mais elle a aussi permis de mettre en lumière le rôle essentiel des archives et bibliothèques dans la vie des CLOSM, ce qui a été reconnu tant par la ministre Mona Fortier que par le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge (voir infra).

La recherche

La mise en valeur du rôle-clé joué par les archives et bibliothèques dans la vitalité des CLOSM doit s’appuyer sur des données probantes. En ce sens, la recherche, tant menée à BAC que par ses partenaires du Réseau, a permis de fonder sur des bases solides le développement d’une action concertée. Deux dimensions ont fait l’objet d’investigations et de rapports, le premier sur l’apport de la mémoire et du patrimoine à la vitalité des CLOSM, le second sur les politiques relatives aux enjeux des langues officielles dans les bibliothèques canadiennes.

Un premier élément concerne la place du patrimoine documentaire et son apport à la vitalité des communautés francophones minoritaires au Canada. Depuis les années 1980, de nombreuses études se sont penchées sur le concept de vitalité des CLOSM, car il s’agit de définir comment on peut soutenir le développement ou l’épanouissement de ces communautés. De fait, ce concept est au coeur même des mesures de soutien que doivent prendre les institutions du gouvernement du Canada pour favoriser l’épanouissement des CLOSM. Pourtant, malgré un grand nombre d’études sur le concept, toute la dimension de la mémoire et du patrimoine, pourtant essentielles pour l’identité et l’enracinement de ces communautés, était pratiquement laissée pour compte. C’est afin de corriger cette situation qu’un rapport sur la place de la mémoire dans l’épanouissement des CLOSM a été rendu public en 2021 (Roy, 2021c), proposant le concept de vitalité mémorielle comme fondement pour une action conséquente des archives et bibliothèques.

En effet, en tant qu’agent culturel, les bibliothèques jouent un rôle primordial dans la préservation et mise en valeur de la mémoire collective, y compris des minorités desservies. Comme le mentionne David R. Lankes,

L’importance des bibliothèques pour la préservation de notre patrimoine culturel n’est pas un argument souvent évoqué de nos jours. Au cours des 30 dernières années, l’accent a été mis sur l’information et les ressources ayant un impact direct et immédiat sur la recherche, l’apprentissage et les loisirs.

Lankes, 2018 : 45

Il insiste même sur le rôle crucial des bibliothèques dans l’inscription dans le temps des communautés :

Notre histoire et les différentes manières dont nous nous représentons notre passé sont des éléments essentiels pour nous projeter dans l’avenir. Ceci étant dit, il faut maintenant attendre de nos bibliothèques qu’elles agissent non seulement comme des entrepôts des oeuvres des grands hommes du passé, mais qu’elles préservent notre histoire telle qu’elle se déroule aujourd’hui. […] Nous avons besoin d’avoir notre histoire à portée de la main pour pouvoir l’intégrer à notre avenir.

Lankes, 2018 : 46-47

C’est dans perspective que le concept de vitalité mémorielle permet aux institutions de mémoire, dont les bibliothèques, permet de mieux définir comment elles peuvent soutenir la vitalité des CLOSM. Comme le souligne Raymond Théberge, le commissaire aux langues officielles du gouvernement du Canada, dasn son allocution du 20 mai 2021,

Je constate que les aspects du patrimoine et des bibliothèques comme indices de vitalité n’ont pas été considérés au même titre que les indices démographiques et géographiques, par exemple. Il est clair qu’avec l’évolution des communautés, et de notre compréhension collective de ce qui favorise leur vitalité, notre définition de la vitalité communautaire doit aussi évoluer. (…) Cette réflexion sur la vitalité mémorielle est, à bien des égards, un travail de pionnier, mais elle est aussi très importante [en italiques dans le texte], car elle profitera à long terme aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Théberge, 2021

Concernant plus spécifiquement les bibliothèques, il poursuit :

Avec l’ère de l’information numérique, notre idée de ce que représente le patrimoine et la façon dont on peut y accéder évolue, et donc, nos attentes envers les ressources et les services que les bibliothèques offrent évoluent également.

Évidemment, ce virage numérique présente des occasions et apporte des défis. Mais ce qui ne change pas, c’est le fait que les expériences des communautés de langue officielle en situation minoritaire, leurs histoires, leurs défis et leurs succès, font partie de leur identité. Le besoin de protéger cette mémoire, qui est au coeur des communautés et qui témoigne de l’évolution de leur identité, reste fondamental.

Théberge, 2021

Le second volet des recherches menées porte sur les mesures législatives et politiques relatives à l’encadrement des langues officielles (LO) en ce qui a trait à l’acquisition, à la description et aux services en bibliothèque dans les provinces et territoires (P/T). Dès les premières rencontres, cette dimension est identifiée comme un enjeu stratégique. D’ailleurs, comme le signale le manifeste de l’UNESCO publié en 1994, les politiques publiques sont déterminantes pour que les bibliothèques publiques remplissent correctement leurs missions fondamentales, dont celles de « contribuer à faire connaître le patrimoine culturel et apprécier les arts, le progrès scientifique et l’innovation » et d’ « encourager le dialogue interculturel et favoriser la diversité culturelle » (UNESCO, 1994 : 2). Dans cet esprit, dès la deuxième rencontre du Réseau en janvier 2020, le chercheur Richard A. Russo est invité à présenter sa recherche sur les politiques d’acquisition des bibliothèques oeuvrant en milieu francophone minoritaire en Saskatchewan (Russo, 2019). Dans la foulée, deux projets émergent.

D’une part, sur le plan des politiques publiques, il est convenu d’examiner ces lois et politiques dans les provinces et territoires (P/T). Après une revue de littérature et un survol des mesures prises en vertu des différentes lois sur les bibliothèques, le portrait demeure insatisfaisant, car il faut tenir compte également du cadre législatif et politique des langues officielles. Une fois complété cette deuxième ronde, le rapport préliminaire est validé auprès d’experts, et de membres du réseau, donnant lieu à la publication en octobre 2021 d’un rapport en deux parties, la première présentant une vue d’ensemble (Roy, 2021a) et la seconde des portraits par province et territoires (Roy, 2021b). Ensemble, ces documents jettent de la lumière sur une situation méconnue mais plus complexe qu’il n’y paraissait au départ. En effet, la revue de littérature fait état d’un nombre limité d’études, malgré l’importance de la question, mais aussi d’une méconnaissance des mesures d’encadrement adoptées par les P/T. Si initialement un seul règlement soutenant les bibliothèques était connu, le tableau qui en résulte est beaucoup plus complexe : au moins quatre provinces ont adopté des règlements concernant le soutien aux bibliothèques servant des communautés francophones minoritaires, et nombre de politiques et documents ont aussi été adoptés, mais révélant d’importantes différences entre les P/T, considérant la variété de structures de gouvernance. Des documents de planification stratégique ont aussi été identifiés, mais dont la mise en oeuvre a été limitée. Globalement, en ce qui a trait aux politiques publiques, l’ensemble de ces mesures sont marquées par leur insuffisance ainsi que leur manque de précision et de de cohérence, probablement du fait que cet enjeu des langues officielles a été peu abordé ou analysé. Considérant le rôle d’agent culturel des bibliothèques, on note aussi une absence de perspective permettant de considérer globalement, plutôt que seulement dans quelques fonctions, l’enjeu du soutien aux CLOSM.

D’autre part, cette même rencontre du Réseau permet la constitution d’une équipe de recherche qui s’est penché sur les politiques d’acquisition en français. Regroupant Céline Gareau-Brennan et Sarah Shaughnessy de l’University of Alberta, Hélène Carrier et Catherine Lachaîne de l’Université d’Ottawa ainsi que Nadia Caidi de l’Université de Toronto, le groupe a procédé par sondage, dont l’appel a été notamment publié sur le site Librarianship.ca (« Call for participation… », 2021). Si les résultats préliminaires ont été présentés lors de la Conférence nationale de mai 2021, une version plus complète le fut lors de la SuperConférence de la Ontario Library Association en février 2022. Un article est également prévu dans le collectif qui fait suite à la Conférence nationale de mai 2021.

Conclusion

Entrant dans sa troisième année, le Réseau des bibliothèques des CLOSM de BAC a permis de favoriser un réseautage inédit pour des bibliothécaires oeuvrant souvent isolément et faisant face à des défis spécifiques. C’est pourquoi les participants y trouvent un intérêt certain. Comme le mentionne Sarah Saughnessy, bibliothécaire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta,

Le contact avec d’autres bibliothécaires dans une situation similaire est utile en soi ; nous pouvons partager des idées et des luttes qui nous sont communes mais qui sont uniques dans nos contextes. Au-delà, nous rencontrons d’autres personnes intéressées par des projets similaires et une collaboration peut en découler. J’ai personnellement participé à un projet de recherche avec d’autres membres des CLOSM que j’ai rencontrés grâce au réseau.

Shaughnessy, 2022

De même, pour Pamela Maher, de l’Université Sainte-Anne en Nouvelle-Écosse, la réalisation la plus remarquable du Réseau a été de « créer un réseau qui n’existait d’aucune façon avant », dont le défi est de « simplement continuer et pas laisser tomber l’initiative », alors qu’on doit renforcer le réseau de manière à « préparer les membres pour s’appuyer dans nos initiatives communes de façon efficace que ce soit auprès des gouvernements ou nos réseaux en bibliothéconomie » (Maher, 2022). Car un enjeu est très certainement la reconnaissance du rôle crucial que jouent ces bibliothèques pour les communautés francophones minoritaires. Comme l’indique Denis Lacroix, également bibliothécaire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta,

Il y a un manque de reconnaissance des gestionnaires et des politiciens que les bibliothèques et les bibliothécaires francophones sont des éléments essentiels qui contribuent de manière importante à la vitalité de la communauté minoritaire. Ce défi prend en partie racine dans la méconnaissance des CLOSM et de leur valeur intrinsèque à la société canadienne. Ceci entraîne nécessairement une précarisation financière des bibliothèques francophones minoritaires, car elles sont perçues comme étant une parmi tant d’autres.

Lacroix, 2022

Les défis du travail en milieu francophone minoritaire sont nombreux : aux tâches régulières, déjà nombreuses, se rajoutent un contexte d’isolement, de ressources limitées et de tant d’autres difficultés. Par contre, l’existence du Réseau, quoique fragile, permet de développer une approche concertée. Comme l’a noté le panel d’experts chargé de valider le rapport sur les mesures d’encadrement

Aucune bibliothèque ne travaille de façon isolée ; elles travaillent en réseaux et en consortiums, tout particulièrement en ce qui concerne le développement et la gestion de collections numériques. De nombreux réseaux existent déjà. Cependant, le réseautage communautaire des bibliothèques desservant les CLOSM pourrait être renforcé, notamment autour de services et de collections numériques partagés et dans la représentation auprès des autorités provinciales et nationales pour soutenir leurs priorités.

Roy, 2021a : 33

En somme, le réseau permet de favoriser ce partage et cette reconnaissance publique du rôle des bibliothèques et des bibliothécaires servant les communautés francophones en milieu minoritaire. Un travail essentiel qui commence à être reconnu, comme en témoigne – c’est le mot de la fin – ce commentaire de Raymond Théberge, le commissaire aux langues officielles, qui soulignait, en mai 2021 :

Nous avons besoin d’archivistes pour recueillir et préserver l’histoire, de bibliothécaires pour la cataloguer et la rendre accessible, d’historiens pour l’interpréter et la communiquer, et de la volonté de nos institutions fédérales de contribuer à la protection du patrimoine de nos communautés.

Théberge, 2021

Bref, un chantier qui se doit d’être poursuivi et soutenu…