DossierMobilités

Présentation[Record]

  • Richard Bégin and
  • Gilles Mouëllic

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  • Richard Bégin
    Université de Montréal (Canada)

  • Gilles Mouëllic
    Université Rennes 2 (France)

Dans son livre Sociologie des mobilités, John Urry s’intéresse aux diverses « […] transformations matérielles en passe de refaçonner le “social”, et surtout les différentes mobilités qui, par le biais de nos différents sens – voyages imaginaires, transmission des images et de l’information, virtualités et déplacements physiques –, sont en train de reconstruire, matériellement, le “social comme société” en “social comme mobilité” » (2005, 16). Cette étude qui pose de manière critique la question de la mobilité comme paradigme sociologique à part entière, susceptible d’interpréter adéquatement les transformations sociales dues, entre autres, à la mondialisation, à la circulation des biens et à la culture touristique, rate de peu la question des appareils et dispositifs techniques d’enregistrement, de diffusion et de consommation audiovisuels. Or, ces appareils et dispositifs, de la caméra au téléphone en passant par le magnétophone, la tablette et les dispositifs nomades d’« audio-vision » (Michel Chion), engrangent une véritable transformation de nos habitudes cinématographiques en ce que le désir de miniaturisation technique dont ils sont le symptôme contribue non seulement à « reconstruire » le « social », mais à redéfinir ni plus ni moins le « cinéma comme mobilité ». Le présent dossier de la revue Cinémas a pour objectif de comprendre le « cinéma comme mobilité » dans son sens le plus large possible en interrogeant à la fois les contextes esthétique et technologique dans lesquels évoluent des appareils d’enregistrement de plus en plus légers et maniables, et l’environnement culturel et social de réception des sons et des images qui se veut de plus en plus nomade et itinérant. Si la question de la portabilité des appareils prend autant d’importance ici, c’est qu’elle est au coeur de ces « transformations matérielles » auxquelles fait référence John Urry et qui modifient significativement la définition même de ce qu’est le cinéma, autant dans la pratique que dans la consommation de celui-ci. Les articles qui composent ce dossier ont justement été choisis de manière à refléter à la fois l’hétérogénéité et l’ampleur de ces modifications. Ces articles offrent un panorama transhistorique et transmédiatique d’une problématique, la mobilité, qui n’émane pas seulement, comme on pourrait le croire, des récents développements en technologie mobile (miniaturisation, maniabilité, etc.), mais puise également dans une histoire des techniques au sein de laquelle la portabilité des appareils d’enregistrement et de diffusion ainsi que la mobilité des corps demeurent un point nodal. Dans un texte à valeur introductive, Laurent Guido montre comment, dès les années 1920, les théoriciens du cinéma, qui sont parfois eux-mêmes des cinéastes, pensent ensemble l’évolution des techniques d’enregistrement des images et l’invention de formes plastiques inédites. Ces réflexions que l’on qualifiera « d’avant-gardistes » s’inscrivent dans un contexte général où les moyens de communication modernes imposent le mouvement et la mobilité comme signes de modernité : on sait l’importance des images de trains, d’avions et de voitures dans l’histoire du cinéma. Si ces images célèbrent la photogénie de ces machines, elles ont aussi pour ambition, dans une perspective spectaculaire, de figurer les impressions visuelles et corporelles liées à la vitesse de déplacement. Les théoriciens s’emparent de ces figurations pour interroger à nouveaux frais le cinéma comme extension possible de la perception humaine, en portant leur attention notamment sur la danse comme « modèle d’une nouvelle forme de corporéité en mouvement ». Les cinéastes ne sont pas en reste, multipliant les expérimentations à partir des possibilités liées à la portabilité des nouveaux modèles de caméras. Cette portabilité des machines sera au coeur de l’avènement, à la fin des années 1950, de ce qu’on appellera, non sans une certaine confusion, « cinéma-vérité » …

Appendices