Comptes rendus bibliographiques

GINSBURGER, Nicolas, ROBIC, Marie-Claude et TISSIER Jean-Louis (2021) Géographes français en Seconde Guerre mondiale. Éditions de la Sorbonne, 442 p. (ISBN 979-10-351-0623-2)[Record]

  • Bertrand Lemartinel

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  • Bertrand Lemartinel
    Université de Perpignan

L’ouvrage est le produit actualisé de deux colloques qui se sont tenus en 2009 et 2010. Il rassemble les travaux de 15 auteurs français et étrangers qui brossent le tableau d’une géographie française confrontée aux noirceurs de l’époque peu étudiée de la Deuxième Guerre mondiale : dans sa substantielle Histoire de la Géographie française (1998), Paul Claval ne l’évoque pas. C’est dire l’intérêt de ce volume, sans doute rendu possible par la disparition des acteurs en place entre 1939 et 1945. Le livre se compose de quatre parties assez équilibrées, d’une centaine de pages chacune, qui couvrent à la fois les inégales difficultés des géographes pris dans l’étau de la guerre, l’occupation de l’État réputé français et le parcours de ceux qui l’ont vécue à l’étranger ou en exil. La première partie (103 p.), « Géographier sous contrainte en zones libre et occupée », rend compte de la fin d’un monde vidalien, qui est actée par « l’étrange défaite » et les décès d’A. Demangeon et J. Sion en 1940. Elle retrace des engagements et des carrières dont le devenir semble beaucoup devoir à des relations interpersonnelles. P. George et J. Dresch, pourtant communistes, pourtant menacés par le régime de Vichy, sont protégés par l’inspecteur Général Boucau ; ils ont une dynamique de carrière paradoxalement favorable, le premier au lycée Lakanal, le second à Caen où il remplace R. Musset… déporté. D’autres, peut-être parce qu’ils sont plus jeunes (J. Bastié, R. Dugrand, A. Blanc, M. Wolkowitsch), s’engagent hardiment dans la Résistance. On lit avec intérêt les portraits fouillés de P. Gourou, D. Faucher et M. Sorre (p. 63-116) dont les attitudes critiques à l’égard du racisme institutionnel tranchent avec bien des frilosités. M. Sorre, révoqué, déplacé, pas payé pendant six mois, remercie ironiquement le ministre (p. 90) d’avoir remis sur les rails sa carrière de géographe : la guerre lui fait penser la mondialisation, bien avant qu’elle ne devienne un lieu commun. Mais son analyse de l’écologie humaine ne trouve pas grâce aux yeux de J. Dresch – pourtant mieux servi par le sort – qui fustige une « géographie d’instituteur » (p. 114). La guerre ne fait pas oublier les réflexes de classe. La deuxième partie (83 p.), « Près de Vichy », brosse le portrait de géographes qui ont prêté leur concours à la prétendue Révolution nationale, soit par conviction maréchaliste, soit par « désir d’être utile ». Dans la première catégorie, on trouve L. Gachon, un enfant du peuple que son agrarisme pousse à soutenir Pétain, mais qui n’en est pas moins troublé par la suppression bourgeoise des Écoles normales. Cette ambiguïté – et sans aucun doute aussi, la modestie de ses origines – le desservent après la Libération : il peine à obtenir ensuite un poste de professeur. Le titre de la notice qui lui est consacrée – « La rencontre de trois mondes » – est révélateur des fractures multiples que n’efface pas le temps de guerre. Il n’est donc pas si étonnant que l’inspecteur Général de Vichy, H. Boucau (p. 147), certes germanophobe, antinazi et parfois philosoviétique, ait protégé le normalien Dresch, fils d’universitaire, et ait ensuite été défendu par lui à la Libération. Ce louvoiement, particulièrement bien décrit, est aussi celui de ceux dont le désir est d’être utiles. Dans cette catégorie, on trouve P. George (1942) et P. Deffontaines (1943) qui écrivent – avec prudence – des ouvrages scolaires édités dans un contexte « national » bien dans l’air du temps. Ils prêtent aussi leur concours aux approches géographiques de la décentralisation voulue par Vichy ; un tableau de synthèse des chargés …