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La culture générale, notion à vocation de demeurer imprécise, est l’état des connaissances chez tout individu. Elle se présente aussi comme voie d’accès à une réflexion autonome mise en face de la nature, des individus, des sociétés et des problèmes qui les confrontent et pèsent sur les temps à venir. Souvent mésestimée par des tenants de la « raison instrumentale », elle échappe à la calculabilité. Sa quête est inassouvissable. Elle n’ouvre que sur des horizons. Et pourtant, comme tout apprentissage, celui de la culture générale peut être orienté, balisé. C’est la tâche à laquelle s’est attelé Marc Frustié. Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un MBA de l’Institut européen d’administration des affaires (Insead), Marc Frustié s’est vu confier la direction générale de diverses grandes entreprises. Il occupe depuis février 2019, les fonctions de directeur d’Euromaster France, filiale du groupe Michelin. L’idée qui aura germé dans son esprit est de livrer dans un petit guide « les clés d’entrée de la culture commune ». Elle s’est forgée dans le creuset d’une observation, d’un toisé : « Les livres et les interventions des hommes politiques, des intellectuels, de journalistes, des grands chefs industriels sont émaillés de références à un nombre relativement limité de textes et de connaissances. »

L’ambition du guide, l’auteur l’énonce en quatrième de couverture : « Communiquer de manière simple et vivante dans un essai de sept chapitres les idées générales qui structurent la culture occidentale ». Le propos simple ne sacrifie rien, nous assure-t-on, à la précision, « une exigence de la culture ». Chaque chapitre se referme sur une bibliographie sommaire intitulée « Pour aller plus loin ». Le premier chapitre propose des fondamentaux ; les trois influences majeures qui sont autant de piliers classiques de la culture occidentale, soit le « miracle grec » accompli par un peuple qui aura « presque tout inventé », le « miracle juif » réalisé par un autre qui fonda le monothéisme et donna un sens à l’histoire et, enfin, la révolution chrétienne qui aura fait de tout humain l’égal de son prochain devant l’Éternel. Au second chapitre, le plus long, l’auteur prévient du caractère incongru et « paradoxal » de son choix « audacieux ». Il invite ses lecteurs à passer sans transition de « l’antiquité classique à la révolution scientifique du XXe siècle ». Il y expose la théorie de la relativité générale, puis la théorie quantique. Après quoi, il fait visiter l’infiniment grand avec ses galaxies, ses étoiles, ses planètes, notre Terre, puis encore, l’infiniment petit avec ses atomes, ses particules, ses champs de forces en interaction. Le troisième chapitre est consacré à l’histoire de l’art en tant qu’histoire d’un parcours intellectuel et culturel en Occident. Dans sa démonstration, l’auteur s’inspire pour l’essentiel de l’Histoire de l’art de Gombrich. Il en présente les grands moments, les styles, le roman, le gothique, le classicisme, le baroque. L’art contemporain est évoqué à travers d’illustres représentants. Le quatrième traite de la culture des lettres. La littérature française y figure au premier rang. Empruntant cette distinction à Georges Pompidou, il distingue deux types de roman, ceux qui décrivent et ceux qui interrogent. Le cinquième chapitre aborde les idées politiques et économiques : les idées des Lumières, le libéralisme, la démocratie, certains régimes (présidentiels, parlementaires). Les idées économiques exposées sont celles des écoles dominantes, la classique ou libérale et la keynésienne. Devant les crises de 1929 et celle de 2009 [sic], Frustié rassure : les thèses libérales de l’économie de marché n’auront pas été fondamentalement remises en cause. Le chapitre VI est consacré aux nouvelles frontières de la culture générale. C’est l’occasion pour l’auteur d’examiner l’évolution de la Chine, « autre pôle de l’expérience humaine », et de décrire la complexité de l’islam, les rivalités séculaires entre sunnites et chiites ainsi que les aspirations salafistes et wahhabites. Certaines des clés que propose ce petit guide s’accordent sur la conception de la vie et de la culture générale de son auteur. Si elles ouvrent les portes de la littérature, des arts et des sciences, il s’en trouve pour initier les jeunes lecteurs à la culture d’entreprise. C’est l’objet du septième et dernier chapitre. L’auteur, qui y consacre autant de pages qu’à la culture des lettres, est d’avis que le XXIe siècle s’annonce être celui des entrepreneurs. En guise de conclusion, Frustié revient superficiellement sur la part accordée à certaines figures grecques et romaines, puis bifurque pour noter moins brièvement une absence, celle du vin « incontestable marqueur de la culture française » omniprésent sur les tables de France.

Certes, ce petit livre peut servir à initier de jeunes gens à la culture générale. Le vocabulaire et le ton sont justes, le niveau de difficulté adéquat. Ces qualités ne suffisent pas en regard de défauts qui sanctionnent et font démériter. Est peu excusable l’impasse faite sur les questions environnementales et sur les oeuvres de culture qui leur sont associées. Il est pourtant à prévoir que nombre de thèmes associés à l’environnement ne pourront longtemps être évités dans les épreuves des concours en vue desquelles ce guide aura été conçu. Se fait remarquer un désintérêt envers la culture technique lors même qu’elle est plus que jamais au coeur de transformations sociales majeures et accélérées. Son évocation dans le septième chapitre, comme s’il s’agissait d’une gemmation de la culture d’entreprise, ne dispose pas les jeunes lecteurs à saisir le rôle central et prothétique des techniques et des technologies dans la genèse des cultures. S’agissant de culture d’entreprise, l’auteur situe le début de son récit dans les années 1980 alors qu’il était possible d’esquisser les linéaments d’une généalogie de l’entrepreneuriat bien antérieure. Enfin, on pourra reprocher à l’auteur du Petit guide un souci de confection déficient. Nous retenons l’assemblage biscornu des chapitres, la conclusion décalée et les coquilles trop nombreuses et répétitives. Cet ensemble dépare regrettablement un travail à vocation pédagogique et propédeutique, originellement et symboliquement préconçu comme marque d’attention à la jeunesse.